Salif Sadio, le mystérieux

Qui est ce chef militaire ? Pourquoi reste-t-il le plus radical des dirigeants de la rébellion casamançaise ? Sa récente défaite signe-t-elle le début de la fin d’un conflit, qui dure depuis bientôt vingt-cinq ans ?

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

Une fois encore, le chef rebelle du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) a pu passer à travers les mailles du filet et prendre la fuite. Après un mois, presque jour pour jour, d’intenses combats ponctués de pilonnage à l’arme lourde, les forces armées bissauguinéennes ont fini par chasser, le 13 avril, Salif Sadio de son quartier général de Baraka-Mandioka, une localité située non loin de São Domingos, à cheval sur la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, dont les abords sont truffés de mines antipersonnel. Un énième épisode du conflit qui secoue la province du sud du Sénégal depuis près de vingt-cinq ans s’achève banalement dans le maquis. Sadio et ce qui lui reste de ses quelque trois cents hommes sont en « débandade », cachés quelque part dans la forêt.
Le président João Bernardo Vieira, dit « Niño », a pris sa revanche sur son ennemi intime, celui qui, en 1999, avait militairement soutenu son tombeur, le général bissauguinéen Ansumane Mané, mort en novembre 2000 au cours d’une tentative de putsch contre le président Kumba Yala. Niño a également rendu un fier service à son ami et homologue sénégalais Abdoulaye Wade, qui n’avait pas hésité il y a cinq ans à mettre à prix la tête de l’indépendantiste casamançais, alors présumé coupable d’une série d’attaques sanglantes dans la région. Ce dont il est régulièrement accusé depuis qu’il a pris le maquis au début des années 1980. Au point de passer pour l’élément le plus radical de la branche armée du MFDC, celui qui ne connaît pas d’autres degrés que le premier : la force.
Et, à en croire les rares journalistes qui l’ont rencontré – deux en dix ans, dont Ibrahima Gassama, correspondant de Sud FM en Casamance, qu’il a reçu en octobre 2005 -, l’on chercherait vainement chez lui, au détour d’une phrase ou d’un mot, une trace de roublardise ou de mythomanie. Même – et c’est rare – quand une caméra, un magnétophone ou un appareil photo rôdent à ses côtés, Salif Sadio apparaît étonnamment égal à lui-même : sec, direct, voire comminatoire. Il sait écouter, note tout dans un carnet ou un agenda, mais ne supporte pas d’être interrompu ou contredit. C’est peut-être l’un des secrets de sa longévité dans la guérilla. Son intransigeance, et sa culture, également. Même s’il a quitté, en classe de seconde, le lycée Djignabo de Ziguinchor, la capitale régionale, Sadio est resté curieux de tout. Il lit beaucoup, à commencer par le Coran dont certains des versets émaillent sa conversation, mais aussi les journaux.
Dans son quartier général en pleine forêt et à la lisière de Baraka-Mandioka, une dizaine de cases éparpillées, il ratait rarement un journal à la télé ou à la radio. Quand il n’est pas en manuvre avec ses hommes, il aime à flotter dans un boubou blanc, coiffé d’un bonnet de la même couleur agrémenté d’un petit miroir en forme de triangle. L’accoutrement ajoute au côté à la fois mystique et mystérieux de ce quinquagénaire autoproclamé chef d’état-major d’Atika (la branche armée du mouvement), craint et respecté de ses troupes. Qui règle ses problèmes au kalachnikov, comme, à la fin de l’année 2000 et en juin 2001, au plus fort des luttes de factions pour le commandement militaire du Front Sud. Sadio, que ses adversaires ont trop rapidement cru définitivement affaibli par la disparition de Mané, a fait face aux troupes du président Kumba Yala soutenues par Léopold Sagna, alors à la tête de l’aile militaire du MFDC – officiellement du moins – et avait même fini par capturer ce dernier et l’aurait fait exécuter, lui et certains de ses éléments.
Aux feux de la rampe, qui entourent les négociations entre gouvernement et rébellion engagées depuis 1993, Salif Sadio préfère la chaleur du maquis. Surtout depuis la mort du général Mané, son mentor, son fournisseur d’armes et son parrain, le seul à avoir obtenu de lui qu’il assiste au processus de dialogue lancé en 1999 à Banjul, lequel, comme ceux qui l’ont précédé, n’a pas débouché sur le retour d’une paix durable. Et ce n’est pas après avoir déclaré qu’il « ne rentrera à la maison qu’une fois [qu’il aura] chassé le Sénégal » qu’il rejoindra les pourparlers que le pouvoir poursuit avec le MFDC et son chef historique, l’abbé Diamacoune Senghor, auquel Sadio voue un respect sans faille. Ce qui ne l’empêche pas de contrevenir à ses appels au dialogue, car pour lui le prêtre n’est pas libre de ses mouvements et de ses paroles, il « est prisonnier du Sénégal », même si Abdoulaye Wade le reçoit au Palais. En clair, le président sénégalais, qui croyait que l’alternance qu’il incarne devait suffire à la Casamance, n’en a pas encore fini avec la rébellion ni, surtout, avec l’un de ses éléments les plus imprévisibles.
Wade avait pourtant bien commencé en déclarant à Jeune Afrique en mai 2000 : « On a beaucoup pataugé dans ce dossier. Nombre d’intermédiaires, fortement rétribués d’ailleurs, ont profité de la crédulité de mon prédécesseur [Abdou Diouf, NDLR], comme certains exploitent la misère du monde. [] Dès mon arrivée, j’ai pris la décision d’écarter tous les intermédiaires. C’est un problème national et j’interdis aux étrangers d’y interférer. [] J’entamerai des discussions avec les chefs militaires de la rébellion. » Parole tenue, mais le volontarisme du chef de l’État sénégalais n’a pas suffi à ramener la paix, faute sans doute d’interlocuteur unique dans un mouvement politiquement et militairement divisé.
Le naufrage meurtrier, en septembre 2002, du Joola, le ferry reliant Dakar à la Casamance, est perçu comme le symbole de cet échec. L’incapacité du pouvoir à venir à bout de Salif Sadio en est un autre : l’homme, originaire de Kartiak, non loin de Diouloulou, dans le département de Bignona – où vit son père, militant actif du Parti démocratique sénégalais (PDS, du président Wade) -, court toujours, persuadé qu’il ne sortira du maquis qu’à l’indépendance de la Casamance. Et il n’a jamais de mots assez durs pour fustiger les faux révolutionnaires ainsi que les faux patriotes qui n’ont pas de vision à long terme. La sienne le mènera-t-il loin ?

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