Rodrigo de Rato y Figaredo

Libéral convaincu tout en étant à l’écoute des pays du Sud, le directeur général du FMI a tenu, lors de sa récente tournée sur le continent, un langage de fermeté, mais aussi porteur d’espoir.

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 12 minutes.

Ministre de l’Économie de José María Aznar de 1996 à 2004, Rodrigo de Rato y Figaredo incarne le miracle ibérique dans toute sa splendeur. Croissance exceptionnelle, réduction spectaculaire du chômage Ce baron du Parti populaire (PP) peut s’enorgueillir d’un bilan plutôt flatteur. À tel point que son nom a figuré un temps sur la liste des « Premiers ministrables » espagnols. Le destin en a décidé autrement. Appuyé par son pays et par le Royaume-Uni, il accède au poste de directeur général du Fonds monétaire international (FMI) le 7 juin 2004. Une fonction sur mesure pour imposer ses idées libérales. Car de Rato compte imprimer son empreinte et redorer le blason de l’institution qu’il dirige. Il travaille depuis un an sur une grande réforme du Fonds qui doit permettre de mieux prendre en compte les évolutions des marchés financiers internationaux. L’Espagnol souhaite, par ailleurs, accroître la représentation des États du Sud au sein du conseil d’administration du FMI et préconise une plus grande ouverture des pays du Nord aux produits des plus pauvres.
Né à Madrid en 1949, Rodrigo de Rato est titulaire d’un MBA et d’un doctorat en économie. Élu député pour la première fois en 1982, ce vétéran du PP fréquente la scène politique madrilène depuis plus de vingt ans et n’a donc pas le profil technocratique de ses prédécesseurs, le Français Michel Camdessus et l’Allemand Horst Köhler. Ferme et déterminé, mais toujours courtois, fidèle à ses convictions, mais à l’écoute des besoins des pays du Sud, à l’aise avec les chefs d’État comme avec les journalistes, le directeur général du Fonds est un politicien dans l’âme. Peu familier des questions de développement à son arrivée, il a multiplié les voyages, notamment en Afrique. Sa dernière tournée au sud du Sahara (13-17 mars) lui a permis de rencontrer plusieurs chefs d’État : Fradique de Menezes de São Tomé, Denis Sassou Nguesso du Congo, François Bozizé de Centrafrique, Omar Bongo Ondimba du Gabon, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de Guinée équatoriale, Levy Mwanawasa de Zambie. Accompagné du directeur Afrique de l’institution, Abdoulaye Bio-Tchané, il a tenu un langage de fermeté mais aussi porteur d’espoir. « L’Afrique est à un tournant de son histoire », a-t-il déclaré en évoquant la hausse des cours des matières premières (voir J.A. n° 2362) et le programme d’allègement de la dette des pays du continent. Dénonçant la mauvaise gouvernance, la corruption, l’incapacité à diversifier l’économie pour sortir du « tout-pétrole », il a exhorté les dirigeants africains à faire preuve de responsabilité, à améliorer l’environnement des affaires et à investir dans les secteurs sociaux (éducation, santé et infrastructures). Et surtout à ne pas laisser la dette atteindre de nouveau des niveaux insoutenables.

Jeune Afrique : Vous revenez d’une tournée d’une semaine en Afrique. Comment s’annonce 2006 pour les pays du continent ?
Rodrigo de Rato : Les perspectives macroéconomiques sont bonnes. L’Afrique enregistre la croissance la plus soutenue de ces vingt-cinq dernières années. L’inflation est contenue à moins de 10 % dans la plupart des pays. Autant de signes positifs, même si les progrès enregistrés ne parviennent pas à changer suffisamment le quotidien des populations. Le moment est propice pour enclencher des dynamiques de développement : l’Afrique est au cur de l’agenda international des grandes puissances depuis plus d’un an, les bailleurs de fonds accordent de substantielles remises de dette, les cours des matières premières, spécialement du pétrole, sont en forte hausse, et une plus grande ouverture des marchés occidentaux aux pays africains se profile à terme.
Les Africains sauront-ils profiter de cette conjoncture favorable ?
C’est à eux que revient le soin de saisir ces nouvelles opportunités. La pauvreté touche 68 % de la population en Zambie. Il est urgent d’inverser la tendance. Le travail effectué dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique [Nepad] doit permettre aux dirigeants du continent de mettre leurs pays sur les rails du développement. Le processus sera long. Il est impossible de changer une société en trois ou quatre ans. C’est un travail de longue haleine qui demande un investissement minimal de quinze à vingt ans.
Êtes-vous d’accord avec Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, lorsqu’il affirme que l’aide internationale ne doit plus être accordée sur la base de promesses mais de résultats ?
Tout à fait. C’est pour cela que nous avons prévu plusieurs étapes intermédiaires dans le processus d’annulation de dette. L’octroi définitif des remises est consenti lorsque les États montrent leur capacité à bien utiliser les fonds disponibles pour réduire la pauvreté.
Wolfowitz décerne à l’occasion des bons et des mauvais points aux pays africains. N’avez-vous pas peur qu’il vous dépouille de vos prérogatives ?
La collaboration entre le FMI et la Banque est essentielle. L’attribution des remises de dette a toujours constitué une décision commune. La Banque est concernée au premier chef puisque le montant de ses annulations [40 milliards de dollars] est plus important que le nôtre [5 milliards de dollars]. Elle a également un rôle prépondérant à jouer pour que les pays africains respectent un équilibre macroéconomique et s’engagent dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Tout au long de votre séjour africain, vous avez exhorté les pays pétroliers à ne pas contracter le « mal hollandais », l’or noir paralysant le développement des autres activités et la bonne gouvernance
Beaucoup reste à faire dans les pays du golfe de Guinée. La première démarche consiste à assurer la stabilité macroéconomique pour générer une croissance durable, attirer les investissements privés et favoriser le commerce. Il s’agira ensuite de se doter d’institutions fiscales et financières fiables, reconnues et performantes. Ce point est essentiel si les pays pétroliers veulent bénéficier pleinement des effets de la mondialisation et non pas seulement tirer des revenus ponctuels de la vente de leurs hydrocarbures ou de quelques produits agricoles. Un cadre macroéconomique adéquat permet de développer les secteurs productifs et d’améliorer la valeur ajoutée tirée des matières premières ainsi que de sortir de la seule logique de l’aide. Un pays comme la Zambie fonctionne avec un budget de l’État alimenté à hauteur de 30 % par les bailleurs de fonds. C’est beaucoup trop. Le pays doit élargir son assiette fiscale et compter sur ses propres ressources pour financer l’éducation, la santé ou encore les activités sociales. L’Afrique n’a pas seulement besoin d’investisseurs dans les matières premières. Elle doit également offrir un environnement économique attractif pour les entreprises qui veulent se lancer dans la production industrielle, l’hôtellerie ou encore la grande distribution.
De nombreux dérapages budgétaires sont observés à chaque grande échéance électorale, comme lors des derniers scrutins au Gabon et au Cameroun. Comment y remédier ?
Au Gabon, on a observé parfois un dérapage de 5,4 points du PIB lors de la présidentielle de 2005. Pour enrayer ce phénomène, les pays africains doivent se doter d’institutions transparentes et indépendantes. Il est par exemple indispensable d’avoir une Banque centrale indépendante qui signale les éventuelles dérives économiques. Le rôle que joue la Banque centrale en Afrique du Sud est significatif à cet égard et doit être souligné. Malheureusement, il s’agit du seul exemple sur le continent. Le rôle du Parlement consiste également à réaliser un contrôle effectif des dépenses du gouvernement. La société civile et les médias doivent enfin veiller au grain pour éviter les dérapages.
La République du Congo vient de passer le point de décision qui marque le début du processus d’annulation de sa dette. Beaucoup reste néanmoins à faire en matière de bonne gouvernance
J’ai récemment parlé avec le président Denis Sassou Nguesso en marge du dernier sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale [Cemac], à Bata. Les autorités congolaises sont sur la bonne voie. Le pays adhère à l’Initiative sur la transparence des industries extractives [EITI] et publie régulièrement les audits liés à ses activités pétrolières. Toutefois, le Congo ne doit pas se contenter de publier des rapports mais en appliquer les recommandations.
Est-ce à dire, par exemple, que le pays ne doit plus cacher ses revenus pétroliers pour échapper aux fonds vautours qui ont racheté une partie de la dette congolaise et cherchent à se faire rembourser ?
Nous n’avons pas pour vocation de prendre part aux négociations entre un pays et ses créanciers privés. Nous avons simplement conseillé au président congolais de reprendre langue avec le Club de Londres, qui gère les dettes privées. Les autorités nous ont assuré qu’elles allaient discuter avec leurs créanciers. Un pays doit être en règle avec ses bailleurs pour pouvoir espérer voir sa dette annulée.
Le Zimbabwe est sous la menace de sanctions du FMI
Le Zimbabwe est dans une situation macroéconomique et de gouvernance préoccupante avec une inflation incontrôlée de plus de 900 % et une baisse du PIB de près de 6,5 % en un an. Harare est suspendu provisoirement de vote au conseil d’administration du FMI. Nous attendons une meilleure collaboration du gouvernement en matière d’informations financières et monétaires.
L’après-arap Moi a suscité beaucoup d’espoirs au Kenya. Mais force est de constater que les problèmes de gouvernance persistent
Le Kenya a obtenu une croissance de 4 % l’an dernier et une inflation d’environ 10 %, ce qui reste maîtrisable. Mais la politique gouvernementale peine à trouver sa voie en matière de lutte contre la corruption. Les autorités doivent y remédier si elles veulent que les partenaires multilatéraux et bilatéraux reprennent leur programme d’assistance. Il y a urgence alors que le pays est confronté à de graves problèmes de sécheresse qui affectent la production agricole.
La Chine n’exige aucun effort en matière de droits de l’homme et de bonne gouvernance pour attribuer ses aides. N’avez-vous pas peur qu’elle sape le travail du FMI ?
La Chine est la bienvenue comme nouveau partenaire de l’Afrique d’autant que son aide, généralement sous forme de dons et de subventions, n’accroît pas la dette des pays. Nous invitons Pékin et les autres pays du Sud à rejoindre le cercle des donateurs pour harmoniser et homogénéiser les programmes d’aide au développement.
La dette africaine demeure très lourde malgré les concessions accordées par les pays riches à Gleneagles en juillet 2005. Doit-on faire plus en matière d’allègement ?
L’annulation de la dette est un instrument efficace, mais une généralisation à tous les pays et à tous les niveaux de revenus me semble difficile. Cela pourrait entraîner une baisse des dons et des aides concessionnelles. Il faut également prendre en compte le cas de pays comme l’Afrique du Sud et le Botswana, qui sont en mesure d’emprunter sur le marché international. Nous ne voulons pas les en empêcher en annulant leur dette. Plus globalement, le développement de l’Afrique doit reposer sur le financement privé. Pétrole, mines, banques et services comme la grande distribution Les opportunités d’investir ne manquent pas.
Cela repose aussi sur la formalisation de l’économie
Le Royaume-Uni a fait un important travail de formalisation des activités et d’amélioration de son cadre des affaires dans les années 1980 ; l’Espagne, plus récemment. L’Afrique doit passer par là si elle ne veut pas rester en marge de la globalisation. Plusieurs obstacles doivent être levés. L’Afrique a le marché de l’emploi le plus étroit de la planète [le salaire minimum officiel est plus élevé que le revenu par habitant. Si bien que les entreprises préfèrent rester dans l’informel pour ne pas avoir à s’aligner sur le salaire officiel, NDLR]. Les possibilités d’achat ou de location de terrain sont également compliquées et peuvent prendre de très longues années, quand elles ne sont pas impossibles. Pour ouvrir un hôtel dans certains pays, il faut remplir plus de soixante-dix documents administratifs. En Zambie, il est nécessaire de se déplacer à la capitale, Lusaka, pour signer une autorisation d’ouverture de commerce. Les gouvernements doivent améliorer l’environnement des affaires pour permettre aux opérateurs d’accroître leur productivité. Les producteurs de coton ne tireront de bénéfices du démantèlement des aides américaines que s’ils améliorent leur rentabilité. Sinon, ce seront les Brésiliens qui en profiteront, car ils sont déjà plus compétitifs et mieux organisés.
Est-ce une barrière psychologique qui empêche les Africains d’entrer de plain-pied dans le grand marché mondial ?
Je suis sceptique quant à ces barrières psychologiques. J’ai entendu les mêmes choses en Europe : les citoyens de la Communauté ne pouvaient prétendument pas faire la même chose que les Américains. Nous y sommes parvenus. C’est avant tout une question de volonté politique et de qualité des dirigeants dans la mise en uvre des réformes structurelles. Les pays du continent doivent également profiter de l’expérience des groupes étrangers pour capter les investissements et se familiariser avec les techniques modernes de production et de commercialisation. C’est le seul moyen pour que le continent ait une croissance de 6 % à 7 % dans les vingt-cinq prochaines années. Et là, le spectre de la pauvreté reculera. Ce n’est pas qu’une question de dette.
Les pays riches ne leur facilitent pas la tâche en imposant des restrictions commerciales et diverses (sanitaire, certification, etc.) aux produits en provenance d’Afrique
Le commerce est la pierre angulaire du développement. Il est donc indispensable que les pays occidentaux ouvrent davantage leurs frontières commerciales aux pays du Sud et lèvent leurs barrières tarifaires et non tarifaires. Parallèlement, les échanges interafricains doivent progresser. Aux dirigeants du continent de favoriser l’essor du commerce en baissant leurs droits de douane, en améliorant leurs infrastructures routières et de télécommunications et en réduisant les complications administratives.
Les institutions de Bretton Woods semblent moins intransigeantes que par le passé, du moins plus patientes, en matière de privatisation des compagnies cotonnières africaines ou de certaines caisses de commercialisation des produits de base comme le Cocoa Board au Ghana.
Les privatisations d’entreprises agro-industrielles ont été réalisées avec plus ou moins de réussite. Nous tenons toujours à ouvrir les activités de production et de commercialisation à la concurrence. Cette compétition est source d’amélioration des revenus pour les opérateurs économiques et de meilleur fonctionnement des filières. L’expérience montre, par ailleurs, que les entreprises privées sont généralement plus dynamiques que les sociétés publiques. Il faut néanmoins procéder au cas par cas et ne pas agir dans la précipitation, d’autant que la libéralisation des activités entraîne d’importantes modifications sociales. Faut-il privatiser certaines structures comme le Cocoa Board ? Le démantèlement de la Caisse de stabilisation des prix du cacao en Côte d’Ivoire a montré ses limites, et le Cocoa Board montre actuellement son efficacité.
Vous préconisez un aggiornamento du FMI
Je prépare actuellement un certain nombre de propositions que je soumettrai aux administrateurs du FMI lors de la réunion annuelle à Singapour, en septembre prochain. La surveillance est au centre de nos activités. Or, dans un monde globalisé, elle joue un rôle de plus en plus important. Il est nécessaire de trouver des instruments de contrôle de plus en plus performants. Nous devons également renforcer l’appui technique. Ne nous bornons pas à dresser des constats, mais aidons davantage les gouvernements à améliorer le fonctionnement de leurs administrations et à y voir plus clair dans leur politique générale. L’autre grand aspect de la réforme concerne la surveillance des marchés financiers. La puissance économique privée est à la base de l’évolution mondiale. Comment cela fonctionne-t-il dans l’économie réelle ? Quelles sont les incidences des marchés financiers sur les déséquilibres globaux ? Comment les pays développés et en développement doivent-ils en saisir les opportunités et se protéger par rapport au risque de volatilité ? Notre rôle est d’apporter des réponses. Enfin, le FMI réalise un travail important en matière de collecte et de fourniture d’informations économiques, monétaires et financières. Nos bases statistiques sont fréquemment consultées et appréciées pour leur justesse. On doit convaincre les gouvernements de nous fournir les données les plus complètes sur leur économie dans le cadre des consultations de l’article 4 et les inciter à diffuser ces informations auprès du grand public. Vous seriez surpris de voir le nombre de pays développés qui ne jouent pas le jeu en la matière.
Les États-Unis, par exemple
Pas seulement. Vous pouvez également franchir l’Atlantique ; nombre de pays européens rechignent à nous fournir certaines données économiques.
Vous appelez à une meilleure représentation des pays du Sud au conseil d’administration du FMI. Que proposez-vous ?
Historiquement, le FMI donne à ses membres un droit de vote correspondant à leur poids économique, contrairement à l’Organisation mondiale du commerce [OMC], qui accorde le même droit à chaque pays. Le FMI a débuté avec moins de 50 pays en 1944 et fonctionne aujourd’hui avec 184, le poids économique de certaines nations émergentes ayant beaucoup évolué ces quinze dernières années. Je propose donc de revoir la répartition des quotas et de donner à l’avenir plus de droits aux pays émergents et en développement. Dans quelle mesure ? Je soumettrai cette question aux administrateurs en septembre.

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