Rap et révolte
Ici, tout se termine par des chansons. Urbaine et fille d’un pays « par terre », la tendance hip-hop tient le haut du pavé.
En matière musicale, la République démocratique du Congo n’est pas seulement la terre des « ambianceurs ». Le rap y a fait son apparition il y a une quinzaine d’années, lorsque les signes d’affaiblissement du système Mobutu commençaient à se multiplier. Depuis, bien que le géant ndombolo lui fasse encore de l’ombre, le rap n’a cessé de s’imposer un peu partout dans le pays. Avec quelques noms qui se détachent, comme Bawuta Kin, KMS, KSB, Shomsy Solo, Marshal Dixon, PNB (Pensée nègre brute) à Kinshasa, Kamikaz, NMB, MC Kaleh, Jaccuzi, Luboom Konnexion, ADKS, Menes, Lion, Aneck, Luda, Tatedy, Kaïman, CA à Lubumbashi, ou encore Passy à Kisangani.
Limitée à ses débuts à une petite bourgeoisie kinoise aisée, c’est à partir de la fin des années 1990 que la marmite hip-hop a commencé à vraiment s’emballer, passant des quartiers chic aux banlieues défavorisées des grandes villes congolaises. Ce changement social s’est accompagné de l’émergence de nouveaux thèmes, carrément contestataires. Et pour cause. La génération rap, essentiellement urbaine et fille d’un pays « par terre », est celle qui a surtout connu la descente aux enfers du géant congolais, avec sa foule de problèmes : le sida, la misère, le phénomène shégué (« enfants de la rue »), la guerre et l’interminable transition politique. Du coup, « on chante la vie, le quotidien, on chante tout ce que l’on voit. On parle du positif et du négatif, de notre culture perdue, de notre Afrique, de la race noire. On pleure nos morts, mais on chante aussi l’amour, la paix », précise l’un des rappeurs de ADKS.
Le changement opéré à la fin des années 1990 a également été musical. Le hip-hop made in RDC n’hésite pas à colorer ses rythmes d’une touche africaine, avec parfois un zeste de ndombolo, histoire de séduire un public encore très accroc à ce genre musical. Souvent, des instruments traditionnels – bandjo, likembe, marimba, ngoma, kombo – rivalisent avec la guitare électrique. Si les chanteurs de rap, de rnb et autres folk hip-hop chantent en français, ils lui associent du lingala, du kikongo, du swahili et d’autres langues nationales.
Les rappeurs de Lubumbashi, pour leur part, affirment qu’ils sont les numéros un du rap congolais en termes d’écriture musicale et de richesse des textes. « La plupart de nos musiciens sont des diplômés, car Lshi est la ville qui compte le plus de lettrés au Congo. Le niveau d’études y est plus poussé qu’ailleurs. Les rappeurs de Kin réfléchissent à partir du ndombolo et de la rumba. Ils chantent surtout la femme et l’amour. Nous, nous chantons la révolte », affirme Dopa, l’un des rappeurs de Luboom Konnexion, par ailleurs directeur artistique du groupe, qui a remporté le trophée du meilleur spectacle hip-hop lors du festival de musique Nzenze, qui s’est tenu à Lubumbashi en janvier 2006.
Les rappeurs lushois n’y vont pas par quatre chemins : « On m’a volé mon enfance, avec des bottes et des armes, mon terrain de jeu est devenu des crottes et des larmes », chante Luboom Konnexion. Dans « France Congo », autre titre phare du groupe, le pays est comparé à un navire en train de couler : « Reflet de mon continent, on n’a rien à faire, si ce n’est te livrer nos phrases. Réalité qui t’écrase, comment ça se passe là-bas ? Ici c’est le naufrage ! » Tout aussi frondeur est Kamikaz, alias Michel Kabunda, la fine fleur du rap katangais, dont la chanson « Démagogie » dénonce les maux du pays : « Je dis stop à la famine, à la manipulation, à la mutinerie, aux enfants-soldats, aux soi-disant tentatives de coups d’État, aux attaques à mains armées, On veut la démocratie et non le mot démocratie, on veut la paix et non le mot paix » Peu importe si la contestation ne plaît guère aux autorités. Il faut secouer le cocotier de la misère et de l’injustice. Du coup, vaille que vaille, les rappeurs congolais usent sans modération de cette arme qu’est leur mode d’expression, « parce que c’est avant tout un moyen de dire la vérité, rien de plus. Le message, c’est la lettre ; le rythme, c’est l’enveloppe », martèle Kamikaz.
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