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Les grands opérateurs internationaux observent le retour au calme avec intérêt, et beaucoup se préparent à revenir en force.

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

Les missions d’hommes d’affaires européens se succèdent : les Allemands en avril dernier, les Français en janvier, les Belges deux fois par an À quelques mois des élections, tous viennent prendre le pouls du Congo « pacifié » et jauger les opportunités offertes par l’après-transition. Avec les réserves naturelles les plus importantes du continent, le pays retrouve tout son intérêt Qualifié de scandale géologique par les hommes de Léopold II lors de sa conquête, il recèle la moitié des ressources mondiales de cobalt, métal prisé dans l’aéronautique, des réserves inestimables de cuivre, d’étain, de tantale, de zinc, d’uranium, de bois, de diamant, d’or Et représente potentiellement, avec plus de 60 millions d’habitants, le deuxième plus grand marché de consommation d’Afrique subsaharienne, derrière le Nigeria.
Reste que le Congo n’est pas un pays comme les autres. Après avoir subi la dictature de Mobutu puis l’autocratie de Laurent-Désiré Kabila, les opérateurs économiques doivent jouer depuis 2003 avec un pouvoir éclaté entre les différentes factions d’un gouvernement de réconciliation sous tutelle internationale. « On ne peut pas faire d’affaires sans accepter de se salir les mains, lâche un chef d’entreprise installé à Kinshasa. Mais il y a de jolis coups à réaliser pour les audacieux et les opportunistes. » Si les multinationales sont encore réticentes, des aventuriers – chinois, indiens, libanais, russes et parfois grecs – n’ont pas hésité à s’installer ou à conforter leurs positions. Présents dans le commerce et l’exploitation des minerais, leurs activités relèvent en grande partie de l’économie informelle et échappent à tout contrôle. Les matières premières congolaises alimentent les différents comptoirs commerciaux des États voisins, avec lesquels le pays partage huit frontières poreuses. Le trafic de minerais organisé à partir des pays frontaliers comme le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda atteint des proportions telles que les autorités de Kinshasa le qualifient de pillage.
Les biens courants de consommation entrent également de manière frauduleuse pour approvisionner les différentes régions du pays qui ne peuvent être ravitaillées par l’unique port de Matadi en raison d’axes routiers impraticables à l’intérieur. À l’Est, les équipements TV, hi-fi, vidéo, le matériel ménager, les produits alimentaires sont essentiellement importés par les Chinois, les Libanais, et des Congolais qui font leurs emplettes à Dubaï, Singapour ou Shanghai et acheminent leurs marchandises via le port de Dar es-Salaam, en Tanzanie. La majorité des transactions se fait en dollars depuis 2001, quand les autorités ont accepté les devises étrangères comme moyen de paiement.
Les perspectives de retour à la paix ont également incité les entreprises minières à reprendre position dans les grandes exploitations du pays. La Gécamines, l’entreprise publique propriétaire de la quasi-totalité des mines du Katanga, a passé de nouveaux contrats de partenariat avec plusieurs entrepreneurs étrangers : KMT, une filiale du canadien Adastra Minerals, le groupe américain Phelps Dodge, le belge George Forest, l’homme d’affaires israélien Dan Gertler ou encore la société sud-africaine Mwana Africa, dont on suppose qu’elle agit pour AngloAmerican. De Beers a pour sa part conclu des accords avec la Minière de Bakwanga (Miba) au Kasaï pour l’exploration de gisements diamantifères. L’or de l’Ituri suscite l’intérêt du sud-africain AngloAshanti, de l’australien Moto Gold et de Mwana Africa, qui ont obtenu de participer à l’exploitation d’une partie des réserves de l’Office des mines d’or de Kilo-Moto (Okimo). On se prend même à rêver de pétrole. En août 2004, le français Perenco a racheté les actifs de Chevron et produit actuellement 25 000 barils/jour dans le Bas-Congo et au large de ses côtes. Mais les compagnies pétrolières lorgnent sur les importantes réserves enfouies au fond du lac Albert, à cheval entre la RD Congo et l’Ouganda. Leur exploitation ne sera toutefois possible que si le climat politique s’apaise entre Kinshasa et Kampala. La production forestière devrait, par ailleurs, connaître un essor important dans les années à venir. La Banque mondiale, qui a financé la délimitation de 60 millions d’hectares, estime le potentiel entre 6 millions et 10 millions de m3 de bois par an. Les sociétés asiatiques sont sur les rangs, et des ONG s’inquiètent déjà pour l’avenir des Pygmées
Si les services financiers, les télécoms, l’immobilier ou encore la construction sont des secteurs déjà très dynamiques, les investissements étrangers restent néanmoins très limités au regard des potentialités du pays. Échaudées par les guerres successives, par une certaine « culture » des affaires – on parle de commissions avoisinant les 30 % pour obtenir un marché – et par un environnement juridico-économique problématique, les multinationales sont encore réticentes à s’engager. À moins de trouver des financements sécurisés, de type Banque mondiale. « Il ne faut pas croire que tout va redémarrer du jour au lendemain. Les grands groupes ne reviendront pas avant trois ou quatre ans, une fois sûrs de pouvoir se projeter dans le long terme », explique un banquier de Kinshasa. La reprise est également liée à l’amélioration du cadre macroéconomique et à la libéralisation des activités. Certes, de nombreux progrès ont été enregistrés depuis 2001. Le pays est passé de la récession à une croissance de 6,5 % cette année, la monnaie est stable, l’inflation à peu près maîtrisée (357 % en 2001 et 21,6 % en 2005), et les dépenses de l’État sont dorénavant mieux contrôlées. Néanmoins, les institutions de Bretton Woods ont constaté un certain relâchement des efforts à l’approche des élections. « Outre une explosion des frais de mission, on constate que les différentes composantes au pouvoir cherchent à faire passer en force leurs projets. Il s’agit de trouver de l’argent frais pour financer la campagne », commente un diplomate européen. Le prochain gouvernement devra rectifier le tir, poursuivre l’assainissement de l’environnement et améliorer les rentrées fiscales. Les recettes publiques sont passées de 100 millions de dollars en 2001 à 290 millions en 2005. Mais il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg. Alors que l’économie informelle représente encore 80 % des activités, le potentiel de recouvrement des taxes est immense. À condition d’élargir l’assiette fiscale, de lutter efficacement contre la corruption, un mal endémique qui touche toutes les activités, et, surtout, de travailler dans un pays pacifié.
En attendant, la population continue à souffrir au quotidien « La paix est essentielle, mais elle ne remplit pas nos assiettes. La grande majorité des Congolais n’a qu’un repas par jour, explique René, officier de police. Le prochain président devra soulager les maux de la population. Rien que pour cela, nous irons voter en masse. » Selon une étude publiée par la revue médicale britannique Lancet en janvier dernier, le Congo est le théâtre de la plus grave crise humanitaire mondiale. Près de quatre millions de personnes sont mortes entre 1998 et 2004, victimes indirectes de deux guerres sanglantes et des exactions des milices. La majorité des décès est due aux maladies qui ne peuvent être soignées en raison de l’effondrement des services de santé publique. L’est du pays est la région la plus touchée en raison de la présence de divers groupes armés. Mais les habitants de Kinshasa, qui compte plus de 8 millions d’habitants, peinent également à joindre les deux bouts. La venue de la Monuc a provoqué une inflation des prix. Environ 20 dollars pour un sac de riz (25 kg), plus de 7 dollars pour 5 litres d’huile, près de 10 dollars le kilo de viande rouge fraîche, et au minimum 3 dollars pour un petit poulet À ce rythme, la ménagère a vite fait d’épuiser son budget mensuel.

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