Maroc : pourquoi le débat sur les conditions de désignation du chef du gouvernement refait surface

Les partis marocains anticipent déjà les prochaines élections législatives – prévues pour 2021 – , à en croire le débat qui resurgit sur l’article 47 de la Constitution, prévoyant que c’est au sein de la formation arrivée en tête du scrutin que le roi choisit le futur chef du gouvernement. Jeune Afrique vous explique pourquoi.

La Chambre des représentants du Maroc (image d’illustration). © DR

La Chambre des représentants du Maroc (image d’illustration). © DR

CRETOIS Jules

Publié le 3 mai 2019 Lecture : 3 minutes.

Des « cancres dans une cour de récréation, qui s’agitent parce qu’ils sont mécontents de leurs résultats ». Les mots du ministre des Affaires générales et de la gouvernance, Lahcen Daoudi, à propos des défenseurs de la réforme de l’article 47 de la Constitution, ont le mérite de la franchise.

Cette disposition, qui oblige le roi à « nommer le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête de l’élection des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats », est devenu une question clivante au sein de la classe politique marocaine.

la suite après cette publicité

>>> À LIRE – Maroc – Nizar Baraka : « Nous fonçons dans le mur en klaxonnant ! »

Le débat autour de cet article est né en 2016, lors du blocage politique qui avait duré plus de six mois, consécutivement à la victoire du Parti de la justice et du développement (PJD) aux élections législatives, et surtout à sa difficulté à former un gouvernement car dépourvu de majorité absolue. Abdelilah Benkirane, alors secrétaire général du PJD, chef du gouvernement sortant et vainqueur des législatives de 2016, ayant échoué, Mohammed VI avait nommé pour le remplacer Saadeddine El Othmani, issu du même parti.

L’Istiqlal, l’USFP et le RNI à la manœuvre

Si la loi fondamentale contraint le souverain à choisir le chef du gouvernement dans les rangs de la formation arrivée en tête du scrutin, elle ne prévoit rien en cas d’incapacité à former une majorité. Le Parti authenticité et modernité (PAM), réputé plus proche du Palais que le PJD dont il est un farouche opposant, était arrivé second aux législatives. Le secrétaire général du PAM à l’époque, Ilyas El Omari, avait argué que l’introduction de l’article 47 dans la nouvelle Constitution de 2011 était une initiative du PJD.

À l’aune du prochain scrutin législatif, prévu pour 2021, l’hypothèse d’un blocage dans la formation d’un gouvernement refait surface

L’article 47 a été conçu comme la garantie d’un exercice démocratique. Mais à l’aune du prochain scrutin législatif, prévu pour 2021, l’hypothèse d’un blocage dans la formation d’un gouvernement refait surface. Pour les partisans de la réforme, qui savent bien que le PJD est la première formation du pays en terme de mobilisation militante, l’enjeu serait d’introduire une clause selon laquelle le chef du gouvernement peut être choisi en dehors du parti arrivé en tête des élections législatives.

la suite après cette publicité

C’est l’Istiqlal qui a, le premier, mis le sujet sur la table. Dès la rentrée parlementaire 2018, le parti de la balance a exprimé son point de vue : l’article 47 ne permet pas toujours de former des majorités solides. Une autre vieille écurie, l’Union socialiste des forces populaires (USFP), s’est vite alignée sur une position similaire. C’est désormais au tour du Rassemblement national des indépendants (RNI) d’appuyer à fond l’idée d’un changement concernant le mode de nomination du chef de gouvernement. Le mouvement du ministre de l’Agriculture et grand patron Aziz Akhannouch est certes membre de la majorité gouvernementale, mais a surtout été au centre du bras de fer et du blocage politique de 2016. Avec la perte de vitesse du PAM, le RNI est aujourd’hui l’une des principales formations qui semble encore en mesure de faire barrage au PJD.

« Pourquoi seul l’article 47 ? », s’interroge le PPS

Lors d’une conférence ce 25 avril, Rachid Talbi Alami, ministre des Sports et membre du bureau politique du RNI, a assuré qu’il n’était pas nécessaire de mener une réforme constitutionnelle, mais simplement d’amender la loi fondamentale afin de corriger le tir. Le ministre n’a toutefois pas explicité les moyens d’y parvenir. « On voit mal comment la Constitution pourrait être réformée d’ici aux prochaines élections », nuance le politologue et enseignant en droit Mustapha Sehimi.

la suite après cette publicité

>>> À LIRE – Nabil Benabdallah : « Au Maroc, la redistribution des richesses n’est pas pensée »

Pour le PJD, certain de sa puissance politique, c’est clair : ces appels prouvent le « désespoir » de leurs adversaires, selon les mots du chef de gouvernement El Othmani, rapportés par le quotidien Al Ahdath Al Maghribia. Seul le Parti du progrès et du socialisme (PPS) s’est pour l’instant rangé du côté des islamistes.

« Nous nous interrogeons : pourquoi parler seulement de l’article 47 ? Est-ce pour pouvoir priver le parti arrivé en tête de constituer un gouvernement ? Ça semble être l’unique objectif de certains », souligne Nabil Benabdallah, interrogé par Jeune Afrique. Pour le secrétaire général du PPS, des discussions en vue d’une modification de ce seul passage, c’est niet. En revanche, l’intéressé se dit ouvert : « Quelques années après son adoption, il y a plusieurs points qui peuvent poser question dans leur application concrète. Nous devons les répertorier de manière collective et réfléchir à de possibles ajustements. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Imposition : au Maroc, « 80 % des recettes fiscales sont apportées par 0,8 % des entreprises »

Contenus partenaires