À N’Djamena sous les bombes

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Arrivée nocturne à l’aéroport Hassan-Djamous le mardi 11 avril. Bichara, le régisseur du film Daratt de Mahamat Saleh Haroun, dont je suis venu suivre le tournage, m’apprend que les rebelles du FUC se sont emparés dans la journée de la ville de Mongo, à moins de 350 km. Dans les rues sombres et désertes, la tension n’a rien de palpable pour qui ne connaît pas N’Djamena, silencieuse et calme comme un vaste village. Le lendemain matin, le tournage se poursuit avec une légère fébrilité, et l’on monte le volume de la radio à chaque nouveau flash de Radio France internationale (RFI) lors de nos déplacements en voiture. Au soir, les rebelles ont encore progressé, ils sont désormais à moins d’une heure de N’Djamena. Dans un état partagé entre alerte et excitation, je m’en retourne à l’hôtel Kempinski, bâtiment ultramoderne offert au Tchad par les Libyens, situé à l’entrée nord-est de la ville, en face duquel se trouve l’Assemblée nationale. À l’écart de l’équipe de tournage, seul dans ce grand palace sans touristes, on se croirait partout sauf en Afrique, tant le luxe et l’anonymat de l’endroit semblent trancher avec la misère alentour du quartier Diguel-Est, no man’s land étendu à perte de vue.

Le réveil, à 6 heures, vient rappeler brusquement la réalité des lieux et de la situation d’alerte de la veille : une longue saillie de mitrailleuse suivie d’une terrible détonation font trembler les murs. Lever en catastrophe, je me précipite dans le couloir du cinquième étage, vide, avec un petit sac à dos dans lequel j’ai réuni dans l’urgence quelques affaires. Dans les escaliers de secours, quatre militaires américains, dont un vieux baroudeur au visage de héros de série B des années 1950, me disent de filer au sous-sol tandis que le bruit des détonations indique que les combats ont lieu tout autour de l’hôtel. Là, une trentaine de personnes encombrent les couloirs gris et la grande salle blanchâtre qui nous servent de refuge. Réaction paradoxale de réconfort et de panique : d’un côté, le bâtiment est d’une solidité qui en fait le plus sûr refuge de la ville ; de l’autre, son isolement et l’absence de sécurité à l’entrée en font un parfait coupe-gorge. L’attente, martelée par les explosions, la vibration des murs et le fracas des armes lourdes qui font rage alentour, est d’autant plus insoutenable que nous apprenons qu’un pan de grille ainsi que le cabanon de gardiennage situé à l’avant de la cour de l’hôtel viennent d’être détruits par un obus.
Les militaires américains, seuls éléments armés parmi notre petit groupe de Tchadiens, Libyens et Français, viennent régulièrement nous informer de la situation. La direction est en relation téléphonique permanente avec l’extérieur, et nous apprenons que l’ambassadeur de France, informé de l’existence de combats dans cette zone, « prend note » des événements décrits. Plusieurs fois l’hôtel est touché, les détonations faisant tressaillir tout le monde malgré les blagues lancées pour détendre l’atmosphère. Deux heures plus tard, la tension baisse lorsque les bruits des mitrailleuses et des obus se font plus lointains. Les langues se délient et certains s’endorment assis. Place, vers 10 h 30, à la découverte des dégâts : une foule de badauds surexcités s’est agglutinée autour du cadavre d’un rebelle gisant devant la grille d’entrée. La guérite du gardien est éventrée, tandis que quelques vitres de l’hôtel ont été brisées par les projectiles. Outre certaines arcades de marbre trouées de tout leur long et un mur criblé de balles, la grande cour est recouverte d’un voile poussiéreux. Déjà, la vie semble avoir repris son cours sur l’avenue Georges-Pompidou.

la suite après cette publicité

Cadavres recouverts d’herbages et voitures calcinées jonchent le sol, pick-up gouvernementaux et chars défilent tandis que la population alentour a repris sa marche. À plat ventre face à la vitre du cinquième étage, les militaires américains surveillent la situation pour prévenir toute attaque. Quelques salves d’armes légères se font entendre. Joint par téléphone, Haroun pense tourner l’après-midi même. À 16 heures, Idriss Déby Itno sera en face, au Palais du 15-Janvier que les rebelles ont pris pour la présidence. Alors qu’une lourde odeur de poudre empuantit encore l’air brûlant, la première bataille à N’Djamena depuis 1982 semble déjà appartenir au passé. ¦

* Vincent Malausa est journaliste, critique aux Cahiers du cinéma.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires