« Lutter contre le tabac est un combat politique »

Considérée comme une priorité au Nord, la lutte contre le tabagisme fait doucement des émules au Sud, comme au Niger. Inoussa Saouna, militant antitabac, explique pourquoi l’Afrique doit agir.

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Après la ratification de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en août 2005, le Niger a adopté le 30 mars dernier une loi antitabac. C’est le premier à le faire sur les vingt-sept États africains qui ont ratifié la convention internationale. Une grande victoire pour le président de SOS-Tabagisme Niger et l’un des fondateurs de l’Observatoire du tabac en Afrique francophone, Inoussa Saouna, qui se bat depuis 1999 contre les méfaits du tabac.

Jeune Afrique : Comment a commencé votre action ?
Inoussa Saouna : Voyant que le monde entier s’engageait dans une lutte contre ce fléau, nous avons décidé en 1999 de créer SOS-Tabagisme Niger. Notre premier combat a été de faire prendre conscience aux autorités, aux hommes politiques et aux médias l’enjeu sanitaire, social et économique que représente le tabagisme, et de faire ensuite adopter des mesures en ce sens. Le contexte international et le processus de négociation de la convention de l’OMS ont récemment joué en notre faveur. C’est en application de cette convention que le Parlement du Niger vient de doter notre pays d’une loi antitabac.
Vous ne craignez pas que cette loi connaisse le même sort que celle qui avait été promulguée puis annulée au Sénégal en 1981 ?
Le contexte est différent aujourd’hui. À l’époque, le Sénégal avait passé une loi très restrictive, en avance sur la convention de l’OMS et même sur la loi Evin (en France). Les lobbies l’ont fait annuler. Nous avons eu connaissance de documents qui le prouvent. Notamment un mémo de Philip Morris, qui craignait que le Sénégal ne soit pris en exemple par d’autres pays africains. Au Niger, la loi a été proposée par le gouvernement en collaboration avec notre organisation. Elle a d’abord été adoptée en Conseil des ministres, puis à l’Assemblée nationale à l’unanimité. Je ne pense pas qu’on oserait se ridiculiser en l’annulant.
Que dit cette loi ?
Elle interdit d’abord toute forme de publicité directe et indirecte. C’est le moyen essentiel dont disposaient les marques pour favoriser le tabagisme auprès des jeunes. Elles sponsorisaient des manifestations culturelles ou sportives, distribuaient gratuitement des cigarettes appelées « dégustations », utilisaient l’image de jeunes filles pour attirer les garçons… La loi interdit également la vente aux mineurs, la vente au détail et la vente ambulante. Désormais, les marchands de tabac se verront assigner des endroits précis pour éviter les abords des écoles, des hôpitaux et de certains services publics. Enfin, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Bien entendu, ces dispositions seront très difficiles à appliquer. On l’a vu en France avec la loi Evin, qui n’est pas vraiment respectée aujourd’hui. Mais quand elle entrera en vigueur, au moins pourra-t-on mesurer son application et se battre pour qu’elle soit améliorée.
Comment faire respecter la loi ?
Les cigarettiers ont manipulé certains journalistes nigériens, qui l’ont présentée comme une loi contre la liberté de fumer. C’est pour cela qu’il ne faut pas s’en tenir à la répression. Il y a un énorme travail à faire au niveau de l’information et de l’éducation. C’est dans l’intérêt de tous qu’il y ait une législation qui empêche les fumeurs de polluer les lieux publics, les moyens de transport, les marchés… Et les gens sont en droit de savoir que, des années durant, ils se sont fait manipuler par l’industrie du tabac et par des stratégies d’embrigadement.
Par exemple ?
À la veille de l’examen de la loi, en novembre, la Britsh American Tobacco a organisé une cérémonie à Hamdallaye, un village situé à 30 km de Niamey. Soi-disant pour faire don d’un château d’eau à la population. Ils ont invité des ministres, des députés et des journalistes pour l’inauguration. Les télévisions ont retransmis des images d’eau jaillissant et des villageois en liesse. En réalité, il s’agissait d’une mascarade. Trois mois plus tard, nous nous sommes rendus sur le site. Il y avait effectivement un château d’eau, mais pas une seule goutte d’eau. Les villageois nous ont expliqué que la veille de la cérémonie, des gens étaient venus de nuit avec une citerne pour remplir le château d’eau
Que disent les statistiques sur la consommation de tabac en Afrique ?
Les études réalisées par l’OMS montrent que d’ici à 2020 il y aura 10 millions de décès liés au tabagisme dans le monde, dont 7 millions dans les pays pauvres. L’industrie du tabac le sait aussi : pour compenser la perte du marché estimée à 8 % en Europe occidentale, elle prévoit une augmentation de 16 % dans les pays d’Afrique subsaharienne. Là où la législation est vacante et où la corruption règne.
Le Niger est particulièrement concerné par la contrebande…
Absolument. La plupart des cigarettes qui sont en vente au Niger proviennent du port de Cotounou, d’Accra, de Lomé… C’est une mafia bien organisée. L’implication de certaines personnalités au plus haut sommet de l’État est avérée. C’est pourquoi, dans la loi qui vient d’être adoptée, on n’a pas évoqué la contrebande ou le commerce illicite du tabac. En soulevant ce point de prime abord, on aurait risqué de bloquer tout le processus. Mais on compte bien y revenir.
À l’échelle du continent, où en est la lutte antitabac ?
Le Burkina Faso, le Togo, le Mali, sont assez engagés, mais l’Afrique australe est très en avance sur nous. Pourtant, ce sont des producteurs de tabac. La lutte contre le tabagisme est d’abord un combat politique. Les dirigeants ignorent encore trop souvent les réels méfaits à long terme du tabagisme. Beaucoup pensent que la priorité des programmes de santé publique doit aller aux maladies où les morts sont rapidement visibles, comme le sida ou le paludisme. Mais les choses évoluent. En Afrique aussi, avec un tout petit peu de courage politique, on pourra se prémunir contre ce fléau.

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