Le défi marocain

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Tanger, Maroc. C’est ici, voilà un demi-siècle, que j’ai foulé pour la première fois le sol africain. C’était l’année où le Maroc accédait à l’indépendance tandis que l’Europe entamait le retrait de ses colonies d’Afrique. Le Maroc était parmi les pays chanceux. La France et l’Espagne s’en retiraient pratiquement sans combattre, et le royaume n’a jamais sombré dans le chaos comme tant de pays africains.
Contrairement à de nombreux États créés par le colonialisme, le Maroc n’a jamais été un pays artificiel. Ses frontières ont été tracées et négociées tout au long des siècles, les dynasties s’y sont succédé, mais le Maroc et la monarchie remontent jusqu’au VIIIe siècle. Le Maroc peut se targuer d’avoir été le premier pays à reconnaître l’indépendance des États-Unis, et il n’a été colonisé qu’au début du XXe siècle lorsque Français et Espagnols se sont entendus pour partager son territoire.
En 1956, les Français, ayant perdu l’Indochine et essayant de se maintenir dans l’Algérie toute proche, décidèrent de quitter pacifiquement le Maroc. Les Espagnols ont fait de même, excepté pour deux présides minuscules situées sur le détroit de Gibraltar. Le roi Mohammed V est revenu de son exil forcé à la Réunion et le pays a pu jouir de sa liberté retrouvée.
Les soldats français se sont embarqués pour rentrer en métropole ou pour se rendre en Algérie, où le colonialisme s’attardait avant de mourir de mort violente.
La ville de Tanger, elle-même située en zone internationale, avait été gouvernée par un consortium d’États étrangers et traînait une réputation de permissivité et de bohème. Des écrivains américains tels que Paul Bowles, William Burroughs ou Allen Ginsberg s’y étaient installés pour fuir les contraintes, mais la plupart, à l’exception de Bowles, sont partis avec les banquiers et les hommes d’affaires étrangers lorsque Tanger a été réintégré à l’État marocain.
Les cinquante dernières années n’ont pas été faciles. Hassan II, le successeur de Mohammed V, a dû faire face à des coups d’État, à des invasions extérieures et à des tentatives d’assassinat, et il a gouverné d’une main de fer. Mais, au cours des années 1990, il a desserré l’étreinte, et son fils Mohammed VI, qui est monté sur le trône en 1999, a accéléré la politique de réformes. En comparaison avec ce qui s’est passé dans la plupart des pays arabes ou d’Afrique subsaharienne, le Maroc a pris son essor en douceur.
Mohammed VI, 42 ans, a institué une commission [l’Instance Équité et Réconciliation, NDLR] chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrées sous le règne de son père. Son rapport, publié en janvier, contenait des révélations dramatiques sur la pratique de la torture, les disparitions, les assassinats.
Selon tous les témoignages, le nouveau roi est décidé à poursuivre les réformes et à modifier le code de la famille pour améliorer le statut de la femme.
Le Maroc n’est pas une démocratie au sens où nous l’entendons, mais il y a des partis politiques, un Parlement, des élections et, surtout, le pays semble sérieusement engagé sur la voie des réformes. Mais ce sera une course contre la montre. Le taux d’alphabétisation reste trop bas et celui de la pauvreté trop élevé. Alors qu’on pensait aux États-Unis, que les passions et les poisons politiques du Moyen-Orient épargneraient ce pays très à l’écart, « la terre la plus lointaine du soleil couchant », comme l’appelaient jadis les Arabes, les attentats de Casablanca en 2003, perpétrés par des islamistes locaux, ont mis fin au mythe de l’exception marocaine.

Les États-Unis et l’Europe ont grandement intérêt à voir le Maroc réussir, et ils le savent. Ils envisagent de lever les restrictions commerciales pour mieux intégrer le Maroc dans l’économie occidentale. Un Maroc avec un islam tolérant, modéré, nullement en guerre avec l’Occident, constitue le meilleur espoir pour l’Occident. Et que le roi, descendant du prophète Mohammed, soit ici « à la fois chef d’État et pape », comme me l’a expliqué un diplomate, donne la meilleure chance de succès aux réformes démocratiques initiées par la monarchie. Pour les idéologues de l’administration Bush, la démocratie devrait gagner le Grand Moyen-Orient comme elle s’est répandue en Europe de l’Est. Il suffirait que les rois, émirs, dictateurs soient tous emportés dans un grand chambardement comparable à l’effondrement de l’URSS. Et l’Irak devait inaugurer la nouvelle ère de liberté.
Mais l’invasion américaine n’a fait qu’aggraver la situation, et son échec spectaculaire a partout encouragé l’extrémisme islamiste. Si la démocratie, la stabilité, la modernité doivent se développer dans cette région du monde, ce sera lentement et progressivement, comme le Maroc tente de le faire – et non à travers les exhortations péremptoires et naïves de l’administration Bush, qui ne font que rendre plus difficile la tâche des réformistes.

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* H.D.S. Greenway, éditorialiste du Boston Globe.

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