À la découverte du Sud tunisien

De la palmeraie de Tozeur à l’île de Djerba, en passant par Tamerza, Gafsa, Gabès et Tataouine.

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 8 minutes.

A Tunis, mes amis m’avaient donné ce conseil : pour visiter les oasis de montagne, l’idéal est d’utiliser un 4×4, dans le cadre d’un circuit organisé par une agence locale de tourisme. À mon arrivée à l’aéroport de Tozeur (450 km au sud-ouest de la capitale), j’ai loué une petite voiture italienne, me promettant de m’arrêter là où l’état de la chaussée ne me permettrait plus d’avancer.
Je n’aurai pas à regretter mon choix. Dans ce Sud tunisien que je découvrais, le réseau routier est, comme partout dans le pays, d’excellente qualité : revêtements en très bon état, signalisation précise
Quittant la magnifique oasis de Tozeur, dont j’ai surtout noté l’enfilade d’hôtels somptueux dominant la palmeraie, je prends la direction de la frontière algérienne. Après avoir longé le chott el-Gharsa, lac marin asséché où les dépôts de sel interdisent toute végétation, la route passe au pied de Chebika avant de serpenter vers Tamerza, un des hauts lieux touristiques de la région. On y vient pour admirer la palmeraie plantée au bord du lit d’un oued. Le torrent qui la traverse se transforme en cascade sous laquelle viennent se baigner les enfants du coin.
De Tamerza à Gafsa, le voyageur parcourt une centaine de kilomètres à travers une steppe à la végétation rare où paissent troupeaux de moutons, de chèvres et de dromadaires. Ces derniers, me dit-on, sont destinés à la boucherie, mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui mange de cette viande On est dans la région des phosphates, une des principales richesses du sous-sol tunisien. À Redeyef et à Moulares, par exemple, l’activité est à l’évidence dominée par l’exploitation minière.
Un arrêt dans le chef-lieu du gouvernorat me conforte dans une opinion que je m’étais déjà faite en voyageant ailleurs dans le pays. Si l’on doit trouver une ligne de fracture en Tunisie, ce n’est pas tant entre le Nord et le Sud qu’entre l’intérieur et le littoral. De Bizerte à Zarzis, en passant par Nabeul ou Sousse, les cités du bord de mer sont toutes coquettes et animées. Tout comme Le Kef, Béja ou Kasserine, pour ne prendre que ces exemples, Gafsa fait moins riche. Les chiffres confirment cette impression : la population est largement concentrée sur le littoral. Les activités économiques, aussi, et pas seulement le tourisme, somme toute limité à quelques aires comme Hammamet-Nabeul, Sousse-Monastir et Djerba. Extraits autour de Gafsa, les phosphates sont ainsi transformés à 150 km de là, à Gabès.
Justement, après Gafsa, je suis très agréablement surpris par Gabès, la troisième ville du pays (après Tunis et Sfax). Avant de pénétrer au cur de la cité, on longe une immense palmeraie, la seule du pays à s’étendre jusqu’à la mer. Mais Gabès séduit aussi par ses avenues arborées, ses constructions typiquement tunisiennes – murs blancs, volets et autres éléments de décoration du plus beau bleu -, et son souk où l’on peut aussi bien acheter des bijoux et des poteries que des épices et du poisson séché. La ville est également célèbre pour son henné, cette poudre à base de plantes dont les femmes teignent leurs mains et leurs cheveux. Parallèlement, les activités industrielles et portuaires impriment à la cité un dynamisme manifeste.
Cap plus au Sud et changement de décor à Matmata, fameuse pour ses maisons troglodytes. Creusées à 4 m ou 5 m de profondeur, ces habitations fraîches en été et tièdes en hiver s’organisent autour de puits de 5 m à 10 m de diamètre. Des enfants me font visiter l’une d’elles. Des meubles et des ustensiles disposés dans les niches qui servent de pièces laissent à penser qu’elles sont encore habitées. Il n’en est rien. Les habitants ont tous construit des maisons « normales » à l’entrée de leur ancienne résidence souterraine. Un homme rencontré dans les parages m’explique que l’administration prohibe ce type d’habitat. Notamment pour des raisons de sécurité, les sables argileux étant extrêmement friables.
Cette interdiction, qui m’apparaît fondée, m’inspire une réflexion plus générale. Omniprésents dans tous les domaines de la vie économique et sociale – pour ne pas parler de la sphère politique -, les services étatiques sont pesants mais aussi d’une réelle efficacité. Le constat est valable pour la circulation routière. Nul doute que les innombrables contrôles auxquels sont soumis les automobilistes sont agaçants. Mais ils obligent ceux-ci à limiter leur vitesse et doivent nécessairement aider à la diminution des accidents.
De toute façon, pas question de passer la surmutipliée en parcourant les vastes espaces qui mènent au sud de Matmata, vers Médenine. Les buttes rocheuses vierges de végétation qui défilent devant moi évoquent des paysages lunaires. C’est ici, d’ailleurs, qu’a été tourné en partie le célèbre film Star Wars. Ailleurs, le djebel est entaillé de profondes gorges qui ne sont pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le Grand Canyon du Colorado.
Cette zone très inhospitalière a pourtant fait l’objet d’une occupation humaine très ancienne dont les traces sont bien visibles. Partout, des ouvrages de petite hydraulique permettent de maîtriser les eaux de ruissellement dans les ravins et les oueds. Derrière de petits barrages de terre sont aménagés des champs, où poussent surtout des oliviers.
On est ici en terre berbère, et l’on en distingue la spécificité dans la tenue des femmes, de longues robes chatoyantes qui me rappellent celles des Kabyles en Algérie. Mais j’ai lu que les berbérophones ne constituent guère plus de 1 % de la population tunisienne. Celle-ci, et je m’en ferai souvent la remarque lors de mon périple, se caractérise par sa très grande homogénéité. De Tabarka, au Nord-Ouest, à Ben Guerdane, à la frontière libyenne, on parle le même arabe dialectal. Les habitudes alimentaires et, semble-t-il, les pratiques culturelles ne varient guère.
Cette cohésion nationale est encore renforcée par l’essor du tourisme intérieur. Comme en Europe, les Tunisiens de la classe moyenne prennent leur voiture pour aller découvrir leur pays. Ceux qui en ont les moyens se retrouvent dans les hôtels qui ont poussé un peu partout, aux côtés des Occidentaux ou de touristes venus d’autres pays arabes. À cela s’ajoute le développement des voyages scolaires. Au cours de ce voyage, j’ai croisé, en goguette à Gabès, un groupe d’élèves originaires de Mahdia, près de Sousse À Matmata, j’ai passé une soirée – animée – en compagnie d’enfants de salariés de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS)
Dans mon esprit, Tataouine, c’était le bout du monde. À l’époque coloniale, cette ville présaharienne abritait les Bat’d’Af'(bataillons d’Afrique) où l’armée française expédiait les fortes têtes. Je découvre une cité charmante, qui n’a rien à voir avec sa sinistre réputation et où je succombe aux propositions d’un marchand de tapis, l’un des attraits de la région. L’autre, ce sont les ksour, ces impressionnants greniers collectifs nichés sur les hauteurs montagneuses. Je pars à la découverte de celui de Ksour Ouled Soltane, à une quinzaine de kilomètres de Tataouine. L’excursion en vaut la peine. Un guide m’explique comment les tribus berbères stockaient leurs provisions de céréales, de dattes ou d’huile d’olive dans ces entrepôts faits de terre et de bois dont les cellules, les ghorfas, se chevauchent sur quatre ou cinq étages.
Tout cela appartient au passé. L’économie nomade ne subsiste plus, en Tunisie, que dans le Grand Sud. Ici, malgré la dureté de l’environnement, les signes de la modernité s’affichent clairement. Le moindre village dispose de l’électricité et de l’eau courante. Sans oublier les écoles, dont la multiplication a permis au pays d’atteindre un taux de scolarisation proche de 100 %.
Les efforts consentis par l’État pour équiper l’ensemble du territoire sont encore plus évidents dans ces régions semi-désertiques à l’habitat dispersé. À défaut d’arbres, la campagne est hérissée de pylônes électriques. J’imagine que les réseaux de téléphonie mobile sont tout aussi denses. Le pays compte quelque 4 millions d’utilisateurs de portables pour 10 millions d’habitants.
Pour rejoindre Djerba, l’île aux Lotophages chantée par Homère, je choisis de passer par Médenine, centre urbain à vocation agricole me dit ma documentation – merci au Petit Futé et au guide des Éditions du Jaguar ! -, et Zarzis, coquette cité côtière dont la vocation balnéaire s’affirme. De là, on emprunte la « chaussée romaine », longue d’environ 6 km, qui relie l’île au continent. À Djerba, le touriste en quête d’un toit a l’embarras du choix. Sur la côte orientale, les hôtels et clubs de vacances se succèdent en chapelet, par dizaines. À la basse saison, une très belle chambre dans un établissement de luxe ne coûte pas plus de 40 dinars (26 euros) par personne. Mais si l’accueil est charmant, la qualité des prestations n’est pas toujours à la hauteur. Télévision ou téléphone en panne, robinetterie défectueuse : il y a presque toujours quelque chose qui cloche. Quant à la restauration, certes très économique, elle est, dans l’ensemble, médiocre. C’est que, pour être compétitifs sur les marchés européens, les hôteliers affichent des prix défiant toute concurrence, mais s’efforcent ensuite de réduire drastiquement leurs coûts. Cette stratégie est critiquée par les responsables de l’Office du tourisme.
On en prend son parti, et, pour échapper à l’ambiance touristique de la zone côtière, on s’enfonce au cur de cette île d’à peine plus de 500 km2. Les villages se sont urbanisés, mais la campagne a été miraculeusement préservée. À côté des traditionnels menzels, demeures protégées par de hauts murs et coiffées de petites coupoles, des maisons modernes poussent au milieu de vergers plantés de figuiers, d’amandiers et d’orangers alors que des chèvres broutent sous les oliviers et les palmiers.
Djerba, ce sont aussi les souks très vivants de la capitale, Houmt Souk, et la fameuse synagogue de la Ghriba. Cette dernière est probablement, après le palais présidentiel de Carthage, l’un des endroits les mieux protégés du pays. L’attentat du 11 avril 2002, qui coûta la vie à vingt et une personnes, a laissé des traces. Pour accéder à l’édifice, il faut passer sous un portique de détection tandis que des miradors encadrent de tous côtés ce haut lieu du judaïsme nord-africain.
L’atmosphère reste pourtant bon enfant. J’écoute un jeune juif du cru vanter à des visiteurs français les réalisations du régime. Il prêche un convaincu : si ce n’est l’extrême indigence de la presse locale, rien d’apparent ne permet de contester les progrès accomplis par ce pays dans la voie du développement.

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