La copie plutôt que l’original

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Au box-office, dans tous les pays où l’on mesure avec précision le succès des films, on peut constater ces temps-ci une certaine domination des longs-métrages les moins originaux, les moins inattendus. Au sens propre de ces termes : en Amérique comme en Europe, en effet, une bonne partie des meilleures audiences provient d’uvres qui ne risquent guère de surprendre le spectateur puisqu’il s’agit soit de suites d’un précédent film – c’est le cas le plus répandu -, soit de remakes.
À la mi-avril, en France, par exemple, le film d’animation L’Âge de glace 2, qui entend surfer sur le succès du premier opus portant le même titre, écrase tous les autres dans le classement des entrées de la semaine (quatre fois plus de spectateurs que le deuxième) malgré la sortie concomitante du dernier Francis Veber (La Doublure, avec Gad Elmaleh) ou d’un long-métrage sur et avec l’idole nationale Johnny Hallyday (Jean-Philippe). La suite du palmarès confirme ce succès des séries avec trois autres suites dans les dix premiers : Basic Instinct 2, Destination finale 3 et Big Mama 2. Et il ne faut pas croire qu’il s’agit là d’une spécialité américaine puisque le plus grand succès de l’année sur les écrans de l’Hexagone se nomme Les Bronzés 3.
Il suffit de remarquer que, sous son titre original Ice Age 2-The Meltdown, on retrouve cette même semaine en tête du box-office le même long-métrage aux États-Unis, en Allemagne, au Brésil, en Espagne ou au Mexique pour comprendre l’étendue du phénomène. Mieux encore : si l’on regarde les résultats sur les cinquante-deux dernières semaines des films sortis dans les plus grands pays, on s’aperçoit que les deux gagnants sont encore deux suites : Harry Potter and the Goblet of Fire et Star Wars : Episode III-Revenge of The Sith. En France même, le plus grand succès des temps récents, Les Choristes, était justement un remake (de La Cage aux rossignols, de Jean Dréville, sorti en 1945). Tout comme le film le plus primé aux récents Césars, De battre mon cur s’est arrêté de Jacques Audiard, inspiré de Fingers de James Toback, réalisé en 1978.
Côté remakes, on ne sera pas en reste dans les temps à venir si l’on en croit une récente enquête du journal Le Film français. Alain Corneau, déjà auteur d’excellents polars pour le grand écran, éprouve en effet le besoin de se confronter à l’un de ses maîtres : il réalisera à la fin de l’année, avec un casting prestigieux (Daniel Auteuil, Monica Belluci, Fabrice Luchini, Éric Cantona, Jacques Dutronc), un nouveau Deuxième souffle, espérant rivaliser avec le chef-d’uvre de Jean-Pierre Melville. Pour ce qui est des Américains, Martin Scorsese proposera prochainement Departed, réalisé d’après le polar hong-kongais Infernal Affairs. La société de production de Robert de Niro, Tribeca, a acheté pour sa part les droits de 36 Quai des Orfèvres, l’un des grands succès de 2005 en France, pour en proposer un remake. Et on pourrait multiplier les exemples.
Certes, le phénomène n’est pas nouveau. Le cinéma revisite depuis fort longtemps les histoires qui ont séduit le public. Le premier véritable remake, assure-t-on, daterait de 1938, l’Américain John Cromwell réalisant cette année-là Algiers d’après Pépé le Moko de Julien Duvivier, sorti en 1937. Quant aux suites, du Parrain (un des rares cas, d’ailleurs, où le deuxième film fut meilleur que le premier) à Rocky (on n’arrive même plus à se souvenir s’il y en a eu 5 ou 6 !), elles sont devenues populaires depuis longtemps. Mais il semble que la mondialisation du cinéma tout comme la conversion croissante des studios hollywoodiens et de leurs émules au tout-marketing aient amplifié ce qui n’était jusque-là qu’une tendance. L’industrie y gagne ce que, sauf exception, la création, donc ce qui fait l’essence de l’art, y perd. Espérons simplement qu’au moins une partie de l’argent ainsi vite gagné par les studios sera réinvestie dans des projets originaux

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