Nigeria : les forces de l’ordre suspectées d’être impliquées dans des agressions sexuelles
Plusieurs Nigérianes affirment avoir été victimes d’agressions sexuelles – dont des viols – commises par des membres des forces de l’ordre, selon les témoignages des femmes. Des accusations auxquelles la police n’a pas encore réagi.
« Au Nigeria, être une femme, jeune, c’est déjà un crime », assène Jenny*. Interpellée il y a deux semaines à Abuja, alors qu’elle rentrait chez elle, la jeune femme affirme avoir été violée par ceux censés la protéger.
« Vers 21 h 30 ou 22 h 00, je marchais pour rentrer chez moi quand la police m’a arrêtée, m’accusant d’« être dehors tard ». Ils m’ont demandé de payer 4 000 nairas (10 euros), mais je n’avais pas d’argent sur moi », raconte à l’AFP cette maquilleuse de 25 ans.
« Ils m’ont emmenée dans des fourrés, derrière un bâtiment. Ils étaient quatre. Ils m’ont molestée, et pendant que trois me maintenaient de force, l’un d’entre eux m’a violée, sans préservatif ».
Lors de deux raids spectaculaires, les 17 et 26 avril, des dizaines de femmes ont été arrêtées dans des boites de nuit, des bars à strip-tease, des hôtels ou dans les rues de la capitale fédérale nigériane au prétexte qu’elles se prostituaient – ce que plusieurs d’entre elles ont fermement nié.
Le scandale, relayé dans la presse, a provoqué une vague d’indignation sur les réseaux sociaux et relancé le débat sur les droits des femmes dans la société nigériane.
Les témoignages recueillis par l’AFP, accablants, font état de rafles arbitraires et de multiples agressions sexuelles, par une force d’intervention spéciale mixte composée d’agents administratifs du territoire de la capitale fédérale (FCT) et de policiers.
L’avocat et activiste Martin Obono, qui se trouvait au commissariat de police d’Utako la nuit du 26 avril, a été le premier à lancer l’alerte : « J’ai vu les filles descendre des véhicules en hurlant. Certaines saignaient et m’ont dit qu’elles avaient été violées avec des objets lors de leur transfert ».
« Il y avait une mère avec son bébé de deux mois, ils ne lui ont pas permis de l’allaiter malgré ses supplications et ses pleurs jusqu’à ce qu’une femme officier intervienne », a-t-il expliqué à l’AFP.
« Péché religieux »
Ce vendredi-là, Blessing*, 22 ans, était invitée à une soirée reggae dans un hôtel d’Abuja et achetait une bouteille d’eau à la réception lorsque les forces de l’ordre ont fait irruption.
« Ils m’ont trainée dehors en me traitant de prostituée, et m’ont emmenée au commissariat d’Utako », raconte Blessing, qui décrit une opération coup de poing impliquant « de nombreux fourgons et pick-up ».
« Ils ont ramassé environ 70 filles. Les policiers venaient nous provoquer dans notre cellule, ils nous regardaient nous changer, nous touchaient la poitrine et nous ont gazé plusieurs fois » au gaz lacrymogène, assure-t-elle.
Selon Blessing, une soixantaine de filles ont finalement pu rentrer chez elles: « certaines ont payé des pots-de-vin, d’autres ont accepté de coucher avec des policiers pour être libérées. Il y a un immeuble en construction dans le commissariat. C’est là qu’ils allaient ».
Un porte-parole de la police d’Abuja a répondu à l’AFP qu’il ne serait pas disponible « avant le mois prochain ». Les multiples appels et messages envoyés à d’autres responsables de la police fédérale sont également restés sans réponse.
Le patron de la police des polices, Abayomi Shogunle, a toutefois rappelé sur son compte Twitter officiel à « ceux qui font du bruit » que « la prostitution est un crime puni par loi » au Nigeria, sans répondre des allégations de viols.
« La prostitution est un péché selon les deux religions » dominantes (islam et christianisme), a-t-il déclaré, ajoutant notamment que « la médecine dit que la prostitution propage le sida » ou que « les prostituées ne paient pas d’impôts ».
Déjà condamné
Lundi, 27 des jeunes femmes arrêtées le mois dernier ont été présentées devant un tribunal d’Abuja et ont été condamnées à un mois de prison avec sursis et à une amende de 3 000 nairas (7,4 euros) pour prostitution.
Dans une lettre ouverte, 72 intellectuels, militants et ONG de défense des droits de l’homme ont condamné la semaine dernière « l’humiliation publique, les agressions et le harcèlement sexuel de plus de cent femmes » lors de ces raids.
Ils se disent « choqués par la condamnation d’un grand nombre d’entre elles lors d’un procès inéquitable » et demandent « aux autorités fédérales (…) d’enquêter sur toutes les allégations de sévices et de violences, y compris de viols, dont ces femmes ont été victimes ».
La plupart des 27 condamnées ont en outre été « forcées de plaider coupables avant même d’avoir accès à un avocat, en échange de leur liberté », a affirmé à l’AFP Me Jennifer Ogbogu, qui a défendu plusieurs d’entre elles lors du procès. « Certaines étaient des prostituées, d’autres non, mais en aucun cas cela peut justifier que leurs droits soient ainsi bafoués ».
Ce n’est pas la première fois que les forces de l’ordre nigérianes sont accusées d’agression sexuelle sous couvert de vouloir faire respecter les bonnes moeurs.
En octobre 2017, la Cour de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest avait déjà condamné le gouvernement nigérian à payer 18 millions de nairas (45 000 euros) de dommages et intérêts à trois femmes « illégalement arrêtées, détenues et déclarées prostituées » à Abuja par la même force qui a opéré les récents raids nocturnes.
« Ils savent que nous sommes faibles, et ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains », estime Jenny, la voix tremblante. « Tout ça doit cesser, ils doivent être punis ».
*Les prénoms ont été changés pour garantir l’anonymat des victimes
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