Diplomatie tous azimut

Bouteflika reçoit de nombreuses personnalités étrangères, et ses émissaires sillonnent la planète. Pourquoi cette frénésie ?

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 6 minutes.

Le président Abdelaziz Bouteflika a repris ses visites sur le terrain. Il avait quelque peu délaissé l’intérieur du pays depuis ses soucis de santé qui lui avaient valu une lourde intervention chirurgicale, le 27 novembre 2005, à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, et un mois de convalescence. Multipliant les inaugurations, fustigeant ministres et responsables locaux pour les retards accumulés dans la mise en uvre de son programme de soutien à la croissance (60 milliards de dollars d’investissements publics), « Boutef » ne néglige pas pour autant les relations internationales. Dans un discours prononcé le 16 avril à Constantine, le chef de l’État a accusé la France coloniale de génocide contre l’identité algérienne, une déclaration qui compromet encore un peu plus la perspective d’un traité d’amitié entre les deux pays. « Alger s’aligne sur Washington au détriment de son partenaire traditionnel, Paris », notent les médias hexagonaux et une partie de la presse indépendante algérienne.
Une conclusion quelque peu hâtive. Inspirée par l’échec du séjour algérois (10 et 11 avril) de Philippe Douste-Blazy, le ministre français des Affaires étrangères, censé accélérer le processus de signature du traité d’amitié, ce jugement a été conforté par un concours de circonstances. Au lendemain de la visite du chef de la diplomatie française, son homologue algérien, Mohamed Bedjaoui, s’envole pour la capitale fédérale américaine pour rencontrer la secrétaire d’État Condoleezza Rice. Au cours de sa visite, Bedjaoui déclare que « les États-Unis sont notre premier partenaire ». Cette déclaration, qui se fonde sur les chiffres du commerce extérieur algérien (avec 12 milliards de dollars en 2005, les États-Unis confortent leur position de premier importateur de produits algériens), est trop vite interprétée comme un bouleversement d’alliance stratégique dans la région. Les arcanes diplomatiques de l’Algérie de « Boutef » sont autrement plus complexes.
Un bâtiment de guerre de la marine russe mouillait encore dans la rade d’Alger à l’issue de manuvres communes avec la marine algérienne que le général Gaïd Salah, chef d’état-major, se rendait, le 17 avril, à Washington pour s’entretenir avec les responsables du Pentagone. Au moment où Bedjaoui quittait la capitale fédérale, son ministre délégué, Abdelkader Messahel, rencontrait, à Moscou, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères. La même semaine, le président Abdelaziz Bouteflika avait dépêché deux émissaires en Afrique. Le premier, Mohamed Salah Dembri, ambassadeur d’Algérie à Londres, s’est rendu à Dakar, porteur d’un message urgent pour le président Abdoulaye Wade. Le second, Abdelkader Messahel, a rencontré à Brazzaville Denis Sassou Nguesso, président en exercice de l’Union africaine (UA).
Cette frénésie diplomatique obéit-elle à un agenda précis ? La proximité de la session du Conseil de sécurité (l’Algérie est membre non permanent jusqu’au 31 décembre 2006) consacrée au rapport du secrétaire général des Nations unies, le Ghanéen Kofi Annan, sur le Sahara occidental, prévue le 30 avril, pourrait inciter à une réponse affirmative. « Ce raisonnement est tout à fait farfelu, s’indigne un collaborateur de Bouteflika. L’affaire du Sahara occidental est certes importante, car elle concerne notre région, mais elle ne constitue pas le centre de gravité de notre diplomatie. »
Alger ne boude pas son plaisir. Isolée et boycottée quand les convulsions de la fièvre islamiste l’agitaient durant les années 1990 (le seul chef d’État à s’y être rendu alors est le Ghanéen Jerry Rawlings), l’Algérie est redevenue une destination privilégiée pour les grands de ce monde : du Brésilien Lula au Russe Poutine en passant par le Sud-Coréen Roh Moo-Hyun. Alger a retrouvé, par ailleurs, toute son influence dans les instances panafricaines, grâce à la mise en place d’un mécanisme de concertation permanente avec deux capitales déterminantes sur le plan continental : Abuja et Pretoria.
Le retour de l’Algérie sur le devant de la scène internationale doit beaucoup au talent de son président, père de la diplomatie postindépendance (il a été ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1979), mais pas seulement.
L’envolée des cours du pétrole a permis de disposer d’un confortable matelas de devises (60 milliards de réserves de change), accentuant son intérêt commercial. En outre, la réforme de la loi sur les hydrocarbures adoptée après moult tergiversations, en 2003, a permis une exploration et une exploitation plus efficaces. La découverte de nouveaux gisements gaziers et pétroliers le confirme. Aujourd’hui, l’Algérie produit l’équivalent de 4 millions de barils-équivalent pétrole par jour, ce qui en fait un acteur majeur sur le marché mondial de l’énergie, traversé par les pires incertitudes de son histoire. Autre élément fondamental au bénéfice de l’Algérie pétrolière : ses engagements commerciaux, notamment en matière de livraison de pétrole brut ou de gaz, ont toujours été respectés, même au moment où les salafistes commettaient les attentats les plus meurtriers. « C’est un partenaire qui a forcé l’admiration du marché », note un expert pétrolier, évoquant le problème de livraison de gaz russe compromis par le moindre incident diplomatique ou climatique, nettement moins dramatique que la situation vécue par l’Algérie durant la « décennie de braise ». Mais l’Algérie n’a pas que du pétrole.
Alors que l’accord d’association avec l’Union européenne était en pleine discussion, une commissaire de l’UE se rend, en 2004, à Alger avec pour objectif d’aider les Algériens à préparer leurs dossiers pour une réunion prévue les semaines suivantes. Quelle ne fut pas sa surprise de voir ses interlocuteurs lui présenter des dossiers déjà ficelés, prêts à être discutés. Les diplomates algériens ont en effet souvent une parfaite connaissance des dossiers qui désarçonne leurs interlocuteurs. Ainsi en est-il du projet de réforme de la Ligue arabe, présenté par les Algériens, soutenu par les Tunisiens, à la veille du sommet de l’organisation en mars 2005. Les Égyptiens, rétifs à toute idée de changement, avaient profité de la complexité de la tâche pour tenter de retarder la création d’un Parlement et d’un Conseil de sécurité arabes et, surtout, s’opposer à l’idée d’introduire le concept de majorité pour la prise de décision au détriment du consensus en vigueur. Le dossier soumis par « Boutef » à ses pairs était si solide que le président Hosni Moubarak a dû faire marche arrière.
La multiplication des visites de personnalités en Algérie et de responsables algériens à l’étranger constitue un véritable déploiement de la diplomatie algérienne : une promesse électorale du candidat Abdelaziz Bouteflika durant la campagne pour la présidentielle d’avril 1999. Les observateurs ont tort de s’étonner des retards de la signature du traité d’amitié entre l’Algérie et la France. Depuis son retour aux affaires, la République algérienne démocratique et populaire a signé une dizaine de traités d’amitié ou de partenariat exceptionnel : Espagne, Italie, Chine, Inde ou Portugal. Elle a assaini la plupart des contentieux qui plombaient son image et contribué à améliorer ses relations avec des pays des cinq continents. Elle a relancé la coopération avec l’Amérique latine (après Washington, Bedjaoui s’est rendu à Brasília) et l’Asie du Sud-Est. Son expérience douloureuse lui confère un rôle essentiel dans la guerre mondiale contre le terrorisme, d’où le regain d’intérêt de Washington pour cet ex-allié de l’Union soviétique. L’épreuve de la guerre civile a conforté la position du diplomate algérien : « Nous nous sommes sortis tout seuls de la crise, et nous ne devons rien à personne », affirme-t-on à El-Mouradia.
Matelas de dollars, nouvelles découvertes d’hydrocarbures, sollicitude de la puissance unipolaire, présence régulière dans les forums de riches, statut de pays émergent Arrogante Algérie ? « Pas le moins du monde, assure un africaniste de « Boutef ». Nous accordons autant d’importance à la visite du ministre nigérien de l’Intérieur [les 18 et 19 avril, NDLR] qu’au séjour de notre chef de la diplomatie à Washington. » Sauf que ce dernier est revenu des États-Unis avec la promesse d’une prochaine visite de Condoleezza Rice, la première depuis sa prise de fonctions.

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