Sénégal : la révision de la Constitution adoptée à l’Assemblée nationale
Les députés sénégalais ont adopté le 4 mai le projet de révision constitutionnelle visant à supprimer le poste de Premier ministre. Avec seulement 7 voix contre et 7 abstentions, l’opposition a brillé par son absence.
Moins d’un mois après l’annonce de la volonté de Macky Sall de supprimer le poste de Premier ministre, l’Assemblée nationale sénégalaise a adopté le 4 mai le projet de révision de la Constitution avec 124 voix pour, 7 contre et 7 abstentions. Si l’issue du vote ne fut pas une surprise – la coalition présidentielle disposant d’une majorité qualifiée des 3/5e, suffisante pour entériner la révision constitutionnelle –, le très faible nombre de voix contre interroge.
Malgré les 38 sièges que comptent les députés de la minorité et la contestation soulevée par l’opposition pendant les neuf heures de débat qui ont précédé le vote, seuls sept parlementaires se sont opposés au projet de loi, sept autres se sont abstenus. L’opposition a également brillé par l’absence de certaines de ses principales figures, à l’instar du député Ousmane Sonko, arrivé troisième à l’élection présidentielle du 24 février 2019. « Il était en déplacement à Bignona », justifie un membre de son équipe.
Présents dans l’hémicycle, sept députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) ont décidé de s’abstenir, face à « une loi sans intérêt ». « Le PDS refuse de participer au vote d’une révision pour laquelle le président n’a pas jugé nécessaire de discuter avec les différents acteurs politiques. Ni d’en parler durant sa campagne et qui n’a pour seul objet que de rendre le pouvoir de Macky Sall monocéphale », confie le député Toussaint Manga.
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L’opposition aux abonnés absents ?
Déjà à l’annonce du projet de révision, l’opposition n’avait pas, ou très peu, réagi. Il aura fallu attendre plus de trois semaines pour que les quatre candidats à la présidentielle – Ousmane Sonko, Idrissa Seck, Issa Sall et Madické Niang – publient un timide communiqué commun, déplorant que « des modifications aussi substantielles de la Constitution aient été initiées en l’absence de toute forme de concertation ».
« Ce projet de loi aurait dû faire l’objet d’une concertation ou être annoncé par votre candidat lors de la campagne électorale », a renchéri Aïssatou Sabara dans l’hémicycle. En effet, la suppression du poste du Premier ministre ne figurait pas dans le programme du candidat Macky Sall pour la présidentielle de février. Pas plus qu’il n’a été soumis au vote des citoyens lors du référendum de 2016 portant sur la révision de la Constitution. Bien que l’idée soit apparue dès le premier mandat de Macky Sall, selon un proche de la présidence.
« Avec ce projet, le chef de l’État n’est plus le chef de l’exécutif, il est l’exécutif lui-même. Or, la démocratie nécessite une déconcentration du pouvoir. Avec cette révision constitutionnelle, l’instabilité institutionnelle deviendra la règle », a mis en garde Cheikh Mamadou Abiboulaye Dieye.
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« Les pouvoirs exorbitants de Macky Sall »
Parmi les arguments mis en avant par les parlementaires opposés au texte : le basculement vers un « régime présidentialiste » jugé autoritaire. « Cette révision viendra renforcer les pouvoirs déjà exorbitants du président de la République », a fustigé la députée de l’opposition Aïssatou Sabara lors des débats.
Du côté de l’exécutif, on martèle la nécessité d’accélérer la mise en œuvre des réformes et de passer en mode « fast track » pour atteindre l’émergence. Le mandat présidentiel étant passé de sept à cinq ans, l’exécutif veut « faire sauter les goulots d’étranglement ». Seul à la tête de l’exécutif, Macky Sall pourra ainsi « être lui-même au contact direct avec les niveaux administratifs » chargés d’appliquer ses politiques.
Un risque de blocages institutionnels ?
Pour les quelques membres de l’opposition présents dans l’hémicycle, cette nouvelle Constitution « signe la mort du gouvernement en tant qu’institution », selon les mots de Cheikh Mamadou Abiboulaye Dieye, député non-inscrit. Pour cause, selon la nouvelle loi fondamentale, le gouvernement n’est plus tenu de rendre des comptes à l’Assemblée qui pouvait jusqu’ici voter la confiance et déposer une motion de censure à son endroit. À l’inverse, l’exécutif ne serait plus en mesure de dissoudre l’Assemblée nationale. « Il s’agissait de deux armes de dissuasion dont disposaient les deux institutions. En se retirant le droit de dissoudre l’Assemblée, le président permet à l’Assemblée de gagner en sérénité, donc en indépendance », a justifié le garde des Sceaux Malick Sall, qui représentait le gouvernement.
Mamadou Diop Decroix, vice-président du groupe parlementaire Liberté et démocratie, s’est fendu d’une intervention virulente à l’endroit de l’ « Empereur » Macky Sall. Pour le député, cette révision vise à empêcher l’opposition de désigner un Premier ministre si elle obtient la majorité parlementaire aux législatives de 2022. « Cela entraînera de nombreux blocages, car l’Assemblée trouvera des moyens pour saboter le travail [de Macky Sall] et l’empêcher de gouverner », promet-il.
Si la révision est censée supprimer le pouvoir de l’exécutif de dissoudre l’Assemblée, l’opposition craint que l’article 52 de la nouvelle Constitution ne l’y autorise quand même, en cas de blocages institutionnels. « Lorsque les institutions de la République (…) sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut (…) prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions », dispose l’article en question.
Vers une réforme de l’administration
« Cette révision constitutionnelle permettra de mettre en œuvre plus rapidement les réformes nécessaires pour atteindre les orientations et objectifs de la majorité, notamment autour du Plan Sénégal émergent (PSE) », estime quant à lui Pape Biram Touré, vice-président du groupe parlementaire majoritaire Benno Bokk Yaakaar.
Désormais seul aux manettes, Macky Sall entend à présent s’atteler à une réforme en profondeur de l’administration pour la rendre « plus efficace, plus diligente », comme il l’a appelé de ses vœux lors de son discours d’investiture le 2 avril. Pour cela, il devrait notamment mettre l’accent sur la décentralisation des administrations. Des réformes qui seront annoncées sous peu, l’exécutif étant désormais en mode « fast track » face à une opposition quasi inaudible.
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