Cartes sur table

Réseaux, Françafrique, « biens mal acquis », pétrole, élections, pénurie d’électricité… Le chef de l’État congolais se confie. Interview exclusive.

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 19 minutes.

«Le recours aux gages sur les ressources pétrolières futures pour financer le budget de l’État est banni. Les instructions données directement aux sociétés pétrolières et forestières pour financer les dépenses, souvent d’ailleurs hors budget, sont aussi proscrites. » Ces quelques lignes ne sont pas extraites du dernier document du FMI sur le Congo ou d’un rapport de l’ONG Global Witness spécialisée dans les revenus de l’or noir, mais de la très officielle circulaire du ministère congolais des Finances fixant les modalités d’exécution et de contrôle du budget 2008. Preuve que quelque chose a changé, tout au moins au niveau de la sémantique, dans ce pays où tout – argent, politique, développement, mais aussi critiques sur les thèmes récurrents de l’opacité, des réseaux et de la Françafrique – tourne autour du pétrole.

À un an d’une élection présidentielle à laquelle il sera évidemment candidat, Denis Sassou Nguesso, 65 ans, s’efforce, au cours de cet entretien recueilli dans sa résidence de Mpila à Brazzaville, de faire preuve de la même volonté de transparence. Sur tous les sujets abordés, et surtout sur ceux qui fâchent, le président congolais livre sa part de vérité avec l’habileté du professionnel rompu à contourner les ornières et les obstacles de la piste. Le fait d’être sur le chemin d’une réélection annoncée en 2009, celui aussi d’être courtisé par les investisseurs étrangers qui remplissent les hôtels de Brazzaville et de Pointe-Noire, celui enfin d’être envié pour ses cent millions de barils à 100 dollars l’unité et son taux de croissance à 9 %, donne, il est vrai, de la marge de manuvre et surtout de l’assurance à un homme qui n’en manquait déjà pas. « Sassou Nguesso est une mangue qui a trop mûri », titrait il y a peu le journal d’opposition La Rue meurt. À en juger par sa pugnacité, la mangue en question est encore solidement accrochée sur l’arbre.

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Jeune Afrique : Vous êtes, avec Mouammar Kadhafi, l’un des deux médiateurs désignés par l’Union africaine dans le conflit du Tchad. Comment analysez-vous la dernière bataille de N’Djamena : guerre civile ou agression étrangère ?

Denis Sassou Nguesso : Ce qui s’est passé en février n’est que la répétition des événements d’avril 2006. Même configuration et mêmes protagonistes. Chacun connaît également la relation étroite qui existe entre la crise du Darfour et la stabilité du Tchad. Je ne nie pas qu’il existe des problèmes internes dans ce pays, lesquels ont été discutés, si ce n’est résolus, dans le cadre du dialogue politique. Mais la clé, c’est le Darfour, son drame et ses conséquences.

Pour Idriss Déby Itno, la clé – et l’ennemi – c’est le Soudan. Partagez-vous cette analyse ?

Je suis médiateur dans cette affaire, n’attendez donc pas de moi que j’indexe tel ou tel. Cela dit, on ne peut qu’être troublé par la quantité de matériel dont disposaient les troupes rebelles. Trois cents véhicules, des armes lourdes, des munitions à profusion. Tout cela n’est pas tombé du ciel.

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Le président sénégalais Abdoulaye Wade vous avait-il informé de sa volonté d’organiser à Dakar un sommet Tchad-Soudan, en marge de la Conférence de l’OCI ?

Oui. Le frère Kadhafi et moi-même étions naturellement au courant. Nous avons d’ailleurs encouragé le président Wade. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

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Trois des leaders de l’opposition tchadienne ont été arrêtés lors des événements de N’Djamena. L’un d’entre eux, Ibni Oumar Mahamat Saleh, est toujours porté disparu. En avez-vous parlé avec Idriss Déby Itno lors de votre rencontre à Kinshasa le 10 mars ?

Bien sûr. Cela nous préoccupe tous. Mais nous voulons faire confiance au président Déby Itno. Une commission d’enquête internationale a été mise en place. Nous attendons avec intérêt ses conclusions.

Le bruit a couru avec insistance selon lequel vous auriez proposé à Idriss Déby Itno de lui envoyer du matériel, des troupes et de l’argent alors que la bataille faisait rage. C’est exact ?

L’Union africaine a très clairement signifié, lors du sommet d’Addis début février, que tout pays membre qui souhaitait aider concrètement le gouvernement tchadien était libre de le faire. Pour autant, le Congo n’a pas pris la décision d’envoyer des troupes à N’Djamena.

Autre dossier sensible de ces dernières semaines : le Kenya. Quelle est votre analyse ?

C’est un gâchis, pour le Kenya et pour l’Afrique, lié à des mauvaises pratiques politiques. Je peux comprendre que les populations n’aient pas encore intégré les nuances de la contestation démocratique – après tout, il s’agit là d’un long processus. Mais les élites, les politiciens, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, savent ce qu’ils font quand ils manipulent les consciences. Nous avons vécu cela au Congo à l’époque de Pascal Lissouba, l’ancien président. Avec des résultats plus terribles encore qu’au Kenya.

Ce qu’a fait Raila Odinga au Kenya et le résultat auquel il est parvenu en forçant le président Kibaki à composer avec lui ne vont-ils pas donner des idées à vos propres opposants pour 2009, date de la prochaine élection présidentielle ?

Est-ce bien sage de vouloir reproduire ici les violences de Nairobi et de la Rift Valley ? Au Congo, il y a dix ans, nous avons touché le fond. J’ai donc du mal à imaginer qu’un aventurier politique, qui serait assez fou pour vouloir entraîner les Congolais dans une nouvelle guerre civile, puisse cette fois être suivi.

Pour éviter tout risque de ce type, ne suffit-il pas d’organiser des élections transparentes et démocratiques ?

C’est une condition, mais pas une condition absolue. L’élection parfaite n’existe pas, et même les vieilles démocraties occidentales ont leur lot de contestations postélectorales. Le problème, c’est le recours à la violence.

Un an ou presque après l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, avez-vous perçu une rupture dans les relations entre la France et l’Afrique ?

J’ai rencontré le président Sarkozy à deux reprises depuis son élection. Et j’ai eu avec lui les mêmes conversations, sur les dossiers bilatéraux, que j’avais avec ses prédécesseurs : des discussions transparentes portant sur les relations entre le Congo et la France. Par ailleurs, sur le plan global, le président Sarkozy a exprimé sa vision de l’Afrique en deux temps, à Dakar et tout récemment au Cap. Ce qu’il a dit à Dakar et que les Africains dans leur quasi-totalité n’ont pas approuvé, il a tenu à le corriger au Cap. C’est une bonne démarche.

Fermeture de certaines bases militaires, révision des accords de défense vous êtes d’accord.

Je n’ai pas à l’être, ou l’inverse, puisque le Congo n’est pas concerné. Pour le reste, plus l’Afrique s’assume militairement par elle-même, mieux c’est. Cela va dans le sens de l’Histoire.

La rupture, c’est aussi la mort programmée de la Françafrique et la fin des réseaux parallèles. Que répondez-vous à l’ex-secrétaire d’État français à la Coopération Jean-Marie Bockel, qui s’est fait l’avocat de ce qui précède ?

Rien. En tout cas, pas à ce monsieur. À vous, je dis que la Françafrique n’a aucun sens à mes yeux et que, si réseaux il y a eu, ils étaient l’incarnation d’une forme de néocolonialisme et de paternalisme que nous avons toujours combattus. À l’époque du socialisme dans notre pays, ces réseaux étaient contre nous et voulaient nous déstabiliser. Confondre les relations d’amitié personnelle que j’ai entretenues par exemple avec le président Chirac et les réseaux dont parlent les médias relève donc de l’amalgame et de la malveillance. Deux chefs d’État peuvent être amis tout en respectant la souveraineté de l’autre. Le Congo n’a rien à voir avec les réseaux.

Parleriez-vous également d’amitié personnelle pour qualifier vos rapports avec Nicolas Sarkozy ?

Je dirais que nous avons des rapports cordiaux.

Votre voisin, le président gabonais Omar Bongo Ondimba, a mobilisé ministres, députés et médias pour protester contre les déclarations de Jean-Marie Bockel, puis contre la diffusion récente, sur des chaînes publiques de la télévision française, de reportages sur ses propriétés en France. Ces déclarations et ces reportages vous concernaient aussi. Or vous n’avez rien dit. Pourquoi ?

Je pense que l’on peut aussi maîtriser cela par le silence. Réagir permet à ceux qui vous ont agressé d’exister. Je ne veux pas leur faire cet honneur.

Tout de même : Omar Bongo Ondimba aurait trente-trois propriétés en France, vous-même et vos proches, dix-huit. Tout cela est consigné dans un rapport de police, dont la teneur a été remise aux ONG, puis aux médias. Cela ne vous gêne pas ?

Disons que cela ne m’étonne pas, émanant d’ONG que nous avons vues à l’uvre, main dans la main avec les fonds vautours qui cherchaient à vampiriser les recettes du Congo. Ces gens-là n’ont aucune qualité pour nous dispenser des leçons de morale. Maintenant, les médias. Je n’hésite pas à qualifier leur action d’acharnement gratuit avec volonté de nuire. Ce qu’ils font relève de la subversion et de la tentative de déstabilisation. Et ce qui me pose problème, c’est qu’il s’agit souvent de médias du service public, bénéficiant de fuites émanant d’administrations elles aussi publiques.

Voulez-vous dire par là qu’il y a un double jeu des autorités françaises ?

Je me demande simplement comment réagiraient les autorités françaises si les médias congolais s’en prenaient à elles de la même manière. Ce que le président Bongo Ondimba a voulu signifier en faisant refouler du Gabon un Français en situation irrégulière est très simple : ce que vous nous faites, nous pouvons aussi vous le faire.

Irez-vous jusque-là, vous aussi ?

Pour l’instant, non. Mais si la campagne hostile continue, nous envisagerons d’autres méthodes.

Au cur de la polémique : votre villa du Vésinet, non loin de Paris, que les téléspectateurs français ont pu découvrir récemment, vue du trottoir

Parlons-en, de cette villa. Elle a été achetée il y a vingt-cinq ans, dans un état miteux, une quasi-ruine avec des fuites partout et une ligne de chemin de fer à proximité. Mes enfants y ont vécu quand ils étaient étudiants. Moi-même j’y ai habité pendant ma traversée du désert et des dizaines et des dizaines de Congolais y ont défilé, y ont mangé, y ont dormi. Certains, malades, y sont restés pendant des semaines. Il y a quelque temps, cette villa a été retapée.

Avec des robinets en or et du marbre de Carrare ?

Ceux qui prétendent cela n’y sont jamais entrés. C’est grotesque. Devrais-je laisser les caméras filmer ma salle de bains pour prouver le contraire ? Et pourquoi ceux qui s’acharnent sur cette malheureuse villa ne disent-ils pas que les Champs-Élysées ont été rachetés par les émirs du Golfe et la mafia russe ? Voilà un bon sujet d’enquête. Il est vrai que s’en prendre à un chef d’État africain et raconter n’importe quoi sur lui – dix-huit propriétés ! – est beaucoup moins dangereux, même si cela s’apparente à du racisme.

Le Congo vient de signer un accord avec les fonds vautours, mettant un terme à une guérilla financière qui durait depuis des années. Le communiqué officiel parle de transaction entre votre gouvernement et ses créanciers américains. Peut-on en savoir plus ?

Il y a eu négociation, puis compromis. Nous avons liquidé cette dette en des termes qui ne lèsent pas nos autres créanciers, avec lesquels nous avons conclu des accords dans le cadre des clubs de Paris et de Londres.

Le Congo a donc dû payer.

C’est évident. Mais pas ce qui était réclamé au départ et qui était proprement exorbitant.

Les fonds vautours contre le Congo, c’est donc bien fini ?

C’est fini. Cette bataille nous aura pris beaucoup de temps et d’énergie. Mais elle nous aura permis d’apprendre le monde impitoyable de la finance internationale ainsi que ses liens avec la politique, les ONG et les médias. Ce ne fut pas inutile.

Le pétrole à 110 dollars le baril, c’est une bénédiction ou une malédiction ?

Ne soyons pas hypocrites. Ce n’est pas une malédiction. À une condition : savoir en profiter pour préparer l’après-pétrole. C’est exactement ce que nous faisons. Le pétrole, c’est 80 % de nos recettes, et cet argent ne sert pas à faire la fête.

En toute transparence ?

L’intégralité des recettes pétrolières est budgétisée, et le budget est discuté et révisé par le Parlement en séance publique. Les lignes de crédit de la présidence sont elles aussi publiques. Quant à notre société pétrolière, la SNPC, elle a été auscultée des dizaines de fois et ses audits sont programmés par la Banque mondiale. Que voulez-vous de plus ? Que ceux qui nous donnent des leçons de bonne gouvernance s’occupent d’abord de leurs SDF et de leurs banlieues à risques. On verra ensuite.

Et la corruption ? Que faites-vous pour la réduire – si ce n’est pour l’éradiquer ?

Parlons d’abord des corrupteurs : pour la plupart, il ne s’agit pas de Congolais. C’est le Nord, les pays riches, qui nous les envoient. C’est l’espèce la plus nocive, celle qui peut vous détruire tout un secteur douanier, celle qui vous expédie des conteneurs de champagne Laurent-Perrier sous le label d’eau de Perrier moyennant un pot-de-vin de 1 million de F CFA glissé sous la table à un fonctionnaire véreux. Que les riches s’attaquent aux gros corrupteurs, et ce sera beaucoup plus facile pour nous de sanctionner les petits corrompus. Nous avons mis en place au Congo des structures de lutte anticorruption, mais face à l’omerta des gros, si le Nord ne nous aide pas, le combat est inégal.

La percée chinoise en Afrique inquiète les Européens. À tort ou à raison ?

On ne peut vouloir une chose et son contraire. Exiger de l’Afrique qu’elle s’adapte à la mondialisation et s’effrayer de ses conséquences. Le Congo entretient des relations diplomatiques avec la Chine populaire depuis 1964. Je me souviens qu’à l’époque le journal français L’Aurore avait écrit : « À Brazzaville, il y a un Chinois sous chaque arbre ! » C’était la même crainte irraisonnée qu’aujourd’hui. Nous considérons que la coopération chinoise est bonne et qu’aucun secteur ne doit être la chasse gardée de quiconque. Pas même le pétrole.

Il y a en ce moment une bataille pour l’attribution du terminal à conteneurs du port de Pointe-Noire.

Bataille ? Comme vous y allez Il s’agit d’un appel d’offres pour lequel un certain nombre de groupes étrangers ont manifesté leur intérêt.

Parmi lesquels le groupe Bolloré, ouvertement soutenu par les autorités françaises.

Est-ce anormal ? Quand Boeing et EADS convoitent le même marché, j’imagine que la France soutient EADS.

Je suis sûr que l’on fait du lobbying auprès de vous.

Ah bon ? Je n’en sais rien. Une précision tout de même : ce n’est pas moi qui dépouille les appels d’offres.

Le Cameroun et le Burkina viennent de connaître de graves émeutes dues à la cherté de la vie. Ne craignez-vous pas la contagion ?

De tels événements auraient pu se produire ici si nous n’avions pas pris les précautions nécessaires. J’ai toujours veillé à ne pas appliquer aveuglément les thérapies imposées par le FMI et la Banque mondiale, car je sais que les résultats peuvent être désastreux. Un exemple : si le café et le cacao ont pratiquement disparu du Congo, c’est parce que le gouvernement Lissouba, au début des années 1990, a accepté sur pression de la Banque mondiale de liquider les offices publics qui géraient ces deux matières premières, sans se soucier d’avoir sous la main des opérateurs privés en mesure de prendre la relève. Résultat : des milliers de petits producteurs ont été réduits à la misère. Tout récemment, fin 2007, le FMI nous a littéralement sommés d’augmenter le prix de l’essence et du gasoil, afin de mettre un terme aux subventions par l’État de la raffinerie de Pointe-Noire. Une date limite avait même été fixée : le 23 novembre. Eh bien, j’ai dit non. Pas d’augmentation sans mesures compensatoires en faveur des plus pauvres. Après concertation avec les partenaires sociaux, une vingtaine de milliards de francs CFA ont été débloqués dans ce cadre. Ce n’est qu’après cela que l’augmentation a été décrétée.

Chaque année, je vous pose la même question : quand les habitants de Brazzaville et de Pointe-Noire bénéficieront-ils d’un réseau de distribution d’eau et d’électricité digne de ce nom ?

Je n’ai pas de baguette magique. Si quelqu’un vous dit que l’eau et l’électricité peuvent se décréter, c’est que vous avez affaire à un démagogue. Je subis moi aussi, dans mon quotidien, les conséquences de coupures d’électricité, comme tous les Brazzavillois. Il n’y a pas de quartiers protégés. C’est un travail de longue haleine pour lequel nous avons consenti des investissements très importants. Pas loin d’ici, juste derrière ma résidence, une centrale thermique de 30 mégawatts est en construction afin de soulager Brazzaville. Le barrage d’Imboulou, 120 mégawatts, est en voie d’achèvement avec l’aide de nos amis chinois : il alimentera la capitale et le nord du pays via les lignes à haute tension que nous sommes en train d’installer. Celui de Mokokoulou, 74 mégawatts, a été réhabilité et desservira bientôt Pointe-Noire et la vallée du Niari. Une centrale à gaz de 300 à 400 mégawatts va être construite en partenariat avec les Italiens de l’ENI, toujours à Pointe-Noire. Vous voyez donc que nous ne restons pas les bras croisés ! Il y a quelques jours, je m’entretenais de ce problème avec le président Joseph Kabila. La RD Congo dispose à Inga d’un mégabarrage. Pourtant, les problèmes d’électricité à Kinshasa sont pires qu’à Brazzaville

Donnez-nous une date que vous puissiez réellement tenir pour qu’enfin ce problème soit résolu

2009. Disons 2010 au plus tard.

Et l’eau potable ?

Le doublement de la capacité de l’usine de traitement d’eau de Djiri est programmé, les financements acquis. Nous avons déjà apporté l’eau et l’électricité à Impfondo, Owando, Dolisie, Sibiti… Tout cela, on ne le relève pas assez.

Au cours d’une conférence de presse donnée à l’occasion de son départ du Congo, l’ambassadeur des États-Unis s’est dit déçu. Déçu par le manque d’aide et de coopération des autorités congolaises. Un commentaire ?

J’ai reçu cet ambassadeur. Et, à la sortie de l’audience, il a expliqué qu’on l’avait mal compris. L’incident – si incident il y a eu – est donc clos.

Votre projet de regrouper, au sein d’une même coalition baptisée RMP (Rassemblement de la majorité présidentielle), le Parti congolais du travail et la dizaine de formations qui gravitent autour de lui, soulève quelques réticences. Notamment celle du Club 2002, fondé par votre propre neveu, Willy Nguesso.

C’est son droit. Nous sommes en démocratie.

Autres mécontents : le courant conservateur des amis de Justin Lekoundzou, que dirige l’universitaire Marion Mandzimba Ewango.

Qui ? Je ne connais pas de dirigeant du PCT portant ce nom. C’est sans importance.

Il y a aussi l’un de vos parents, Serge Blanchard Oba et son MSD. Il vient tout juste d’être limogé de son poste d’administrateur général de la Société des télécommunications du Congo. Y a-t-il un rapport de cause à effet ?

Non, puisqu’il déclare me soutenir. Son mandat arrivant à expiration, j’ai décidé de ne pas le reconduire. C’est tout.

Pourquoi n’avez-vous toujours pas officialisé votre candidature à l’élection présidentielle de 2009 ?

Cette question n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui importe, ce sont les municipales qui auront lieu au plus tard en mai de cette année. Et les sénatoriales qui vont suivre.

Il y a déjà des candidats plus ou moins déclarés

Vraiment ? De qui s’agit-il ?

Les anciens ministres Mathias Dzon et Ange Édouard Poungui, le général Ngouelondele

Pourquoi pas, en effet.

Pour vos partisans et pour tous les Congolais, cela ne fait aucun doute : vous serez candidat.

C’est peut-être leur souhait, vous ne croyez pas ? Chaque chose en son temps.

Comment se passe votre relation avec Bernard Kolélas ?

Très bien.

Et avec le pasteur Ntumi ?

Il a été nommé délégué général avec rang et prérogatives de ministre délégué. Il n’y a donc pas de problème Ntumi.

Une fonction qu’il n’occupe toujours pas, puisqu’il préfère demeurer chez lui, à Vinza, plutôt que de siéger à Brazzaville.

À qui la faute ? Qui l’empêche de venir ici ?

Peut-être un problème de sécurité.

Certainement pas. Il s’est présenté aux législatives, il a fait campagne et il a été battu. Personne n’a touché à un seul de ses cheveux.

Pourra-t-il se présenter à l’élection présidentielle ?

Chacun est libre de le faire. En toute sécurité.

Si l’on en croit certains journaux congolais, une lecture régionaliste de l’élection de 2009 s’impose toujours. Ainsi, Dzon serait le candidat des Plateaux, Poungui celui du Niari et de la Bouenza, et vous, celui de la Cuvette

En ce qui me concerne – je réponds pour moi -, ce type d’analyse sommaire n’a aucun sens.

Autre antienne : c’est la France qui, en définitive, décidera.

Ce genre d’affirmation témoigne, hélas, de la persistance des séquelles de la colonisation sur certains cerveaux. Vous croyez réellement, vous, que le président Sarkozy et ses ministres vont choisir le futur chef de l’État du Congo ? Ils n’y pensent même pas une seule seconde. Et c’est vraiment prendre les Congolais pour des enfants que de croire cela faisable.

Le processus de révision des listes électorales est en voie d’achèvement. Et l’opposition dénonce le faible taux d’inscriptions. Y a-t-il un problème ?

Mais qu’attend l’opposition pour inscrire ses propres électeurs, ses partisans et ses militants ? C’est dans son intérêt, au lieu de se plaindre.

Le multipartisme existe au Congo depuis dix-sept ans. Pensez-vous que la classe politique, pouvoir et opposition confondus, soit à la hauteur de ses responsabilités ?

Quand un pays de 4 millions d’habitants compte près de deux cents partis politiques, c’est qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Je crois, moi, que trois ou quatre grands partis suffiraient pour l’expression ordonnée du jeu démocratique. Nous y réfléchissons.

Il existe en France environ 900 réfugiés politiques congolais dûment recensés par l’Ofpra. Qu’avez-vous à leur dire ?

Écoutez. Je connais d’anciens dirigeants congolais vivant en exil en France, avec statut de réfugiés, qui viennent régulièrement à Brazzaville pour y toucher leur pension. Afin de ne pas perdre leur précieux statut et les avantages qui vont avec, ils prennent soin de se rendre d’abord à Cotonou ou à Kinshasa. Puis, de là, munis de leur ancien passeport, ils prennent un vol ou une embarcation pour Brazzaville. Même chose au retour, ni vu ni connu.

De qui s’agit-il ?

Ils se reconnaîtront. Ce n’est pas à nous, mais à l’ambassadeur de France au Congo, qui les reçoit régulièrement, de signaler leur cas à son administration. Ce n’est pas notre genre de dénoncer qui que ce soit, même si je trouve un peu indécent que des gens qui ont déclenché la guerre un certain 5 juin 1997 au matin jouent les exilés à Paris. En réalité, à part l’ancien président Pascal Lissouba et les ex-ministres Moungounga Nguila et Benoît Koukebene, à qui la justice congolaise a des choses à reprocher, tous sont libres de revenir. Cela a été dit mille fois. D’ailleurs, la plupart sont rentrés. Regardez les Moukoueke, Tamba-Tamba, Munari, Mberri, Tsatsy Mabiala, Itadi et autres piliers de l’ancien régime : ils sont ici, certains sont même députés. Qui les inquiète ?

Vous avez une prérogative : celle d’amnistier. Pourquoi n’en faites-vous pas bénéficier ne serait-ce que votre prédécesseur, Pascal Lissouba, au nom de la réconciliation nationale ?

C’est envisageable. Mais on me dit qu’il est malade. Dans ce cas, sa place, raisonnablement, est sans doute plus à Paris qu’à Brazzaville. Après tout, nous avons laissé à M. Lissouba la jouissance de son hôtel particulier de la rue de Prony dans le 17e arrondissement, auquel les ONG, curieusement, ne s’intéressent pas. Alors, une amnistie, pourquoi pas. Ce n’est pas un problème pour moi et ce n’est pas ce qui empêchera les Congolais de dormir.

Vous n’avez pas souhaité commémorer, l’an dernier, le dixième anniversaire de la guerre civile. Pourquoi ?

Parce qu’il n’y a rien d’autre à commémorer que les douleurs que nous ressentons encore dans nos entrailles. Nous portons tous les stigmates de cette guerre et ceux qui jouent publiquement aux victimes ne sont pas les plus touchés. Laissons le temps au temps.

Si l’on additionne les deux périodes au cours desquelles vous avez exercé le pouvoir suprême, vous êtes chef d’État depuis vingt-trois ans. Dans le monde d’aujourd’hui, une telle longévité n’est guère politiquement correcte

Ça ne l’est pas pour ceux qui ont de la démocratie une conception restrictive. Le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels, pourvu que les élections soient libres et transparentes. Le peuple est en droit de conserver un dirigeant au pouvoir aussi longtemps qu’il le juge bon et utile pour le pays.

Mais la Constitution congolaise limite à deux les mandats présidentiels !

C’est exact. Et cela ne m’empêche pas de dire ce que je pense. En France, que je sache, le nombre de mandats est indéfini.

Depuis l’indépendance, le Congo a connu neuf chefs d’État. Vous-même avez régné la moitié du temps, les huit autres – dont deux ont fini assassinés – se partageant le reste. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je le remarque, comme vous. Faudrait-il que je tire un bénéfice quelconque de la stabilité que je semble incarner ? Ce n’est pas à moi de le faire. Je fais mon possible pour servir les Congolais et quand je vois que notre taux de croissance économique pour 2008 est estimé à près de 9 %, je me dis que je ne travaille pas en vain.

Assez de coquetterie : quand allez-vous annoncer votre candidature pour 2009 ?

Je vous le répète, ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous en reparlerons l’an prochain.

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