Ridha Touiti : « L’accord profite aussi aux ménages tunisiens »

Selon le ministre du Commerce et de l’Artisanat, la suppression des droits de douane sur les produits européens a bénéficié aux entreprises. Et à la population.

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Titulaire d’un doctorat de chimie, Ridha Touiti, 57 ans, est également diplômé de l’Institut supérieur de gestion de Tunis (ISG). Ministre du Commerce et de l’Artisanat depuis 2007, il a occupé plusieurs fonctions dans l’administration, toutes liées à l’économie. Après un début de carrière à la direction générale de l’Industrie, il a été, entre autres, directeur général du commerce intérieur et de la concurrence, puis de l’office du commerce (extérieur). Il fut également président-directeur général de la Compagnie des phosphates de Gafsa et du Groupe chimique de Tunisie.

Jeune afrique : Comment s’est déroulé le démantèlement douanier au cours de ces douze dernières années ?

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Ridha Touiti : Il s’est fait à un rythme raisonnable, et la période transitoire de douze ans a été un succès. Ce qu’il faut noter, c’est que nous n’avons pas eu besoin d’un délai supplémentaire pour sa mise en uvre et n’avons enregistré aucun retard. Mieux encore, à aucun moment nous n’avons eu recours aux clauses de sauvegarde prévues par l’accord d’association pour protéger nos produits. Enfin, et au lieu de commencer ce démantèlement en 1998, nous l’avons engagé dès 1996 pour les importations d’équipements et de matières premières de nos entreprises.

À qui profite la suppression des droits de douane ?

D’abord à nos entreprises, puisqu’elles diminuent la facture des intrants importés et, notamment les équipements, les matières premières et les produits semi-finis – ce qui réduit d’autant leurs coûts de production et leur permet d’être ainsi plus compétitives. Ensuite, aux consommateurs, qui sont mieux approvisionnés et disposent d’un meilleur choix, avec des produits diversifiés, qui font l’objet d’une amélioration en matière de qualité et de prix du fait, notamment, de la concurrence. Sur le plan macroéconomique, l’accord d’association avec l’Union européenne (UE) faisait partie d’un ensemble de réformes visant à la libération progressive de l’économie et à son insertion dans le contexte régional et mondial, parallèlement à l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces réformes ont porté sur la libéralisation du commerce extérieur, du commerce intérieur et des prix, ainsi que sur la mise en place des règles de la concurrence. D’autres instruments de la politique économique comme la politique monétaire, la fiscalité, l’harmonisation de la réglementation avec celle de l’UE, notamment en matière de concurrence et de normes, ont accompagné ce mouvement de réformes. En parallèle, les infrastructures (transports, télécommunications, ports, routes, etc.) ont été développées pour améliorer davantage l’environnement des affaires. Le gouvernement a ainsi mis en place plusieurs mécanismes d’accompagnement de nos entreprises industrielles, dont le Programme de mise à niveau (PMN) et le Programme de développement des exportations (voir pp. 62-64). Tout cela a eu pour effet de renforcer leur compétitivité, ce qui leur a permis de tirer profit des avantages de la zone de libre-échange avec l’UE et de se préparer à la concurrence.

Quels sont les résultats en matière d’échanges commerciaux avec l’UE au cours de cette transition ?

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Les exportations tunisiennes vers l’UE ont quadruplé, alors que les importations des pays de la zone ont triplé. Le taux de couverture des importations par les exportations est passé de 76,7 % en 1995 (à la veille du démantèlement), à 98,3 % en 2007 (dernière année du démantèlement pour les produits industriels). En outre, la balance commerciale de la Tunisie avec des pays comme la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas est devenue excédentaire au cours des dernières années. Ces performances sont accompagnées par une diversification de nos exportations vers les pays de l’UE. C’est ainsi que les exportations des industries mécaniques et électriques ont été multipliées par huit au cours de la même période, et leur part est passée de 14 % à 27 % de nos ventes en Europe.

La baisse des droits de douane entraîne-t-elle une baisse des prix des produits de grande consommation ?

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En vertu des dispositions de la loi sur la concurrence adoptée en 2003, l’importateur, le producteur et le commerçant sont obligés de répercuter sur leurs prix de vente toute réduction des droits de douane. Ils n’ont pas le droit de les capter. Par exemple, je peux vous dire que dans le prix des véhicules, la baisse des droits de douane, à 0 %, a été répercutée. Mais il est vrai que l’effet n’est pas toujours visible dans les prix de vente, parce que le gain réalisé se trouve absorbé par l’appréciation de l’euro, monnaie d’importation, par rapport au dinar.

La baisse des droits de douane implique-t-elle une baisse concomitante de la TVA et de la taxe à la consommation ?

Pas du tout. L’accord de libre-échange ne concerne que les droits de douane, sur la base de la réciprocité. Les autres taxes n’en relèvent pas. La TVA appliquée aux produits importés d’Europe est la même que celle appliquée aux produits fabriqués localement (6 %, 12 % ou 18 % selon les produits) et le taux de la taxe à la consommation varie selon les listes de produits. En Tunisie, et ce depuis 1996, les taux de la TVA ont été réduits et simplifiés à deux reprises. Pour revenir à l’exemple des véhicules, la taxe à la consommation pour les voitures dites « populaires » de quatre chevaux fiscaux (essence) a ainsi été réduite à 10 % et la TVA à 12 % (18 % pour les véhicules plus puissants), ce qui fait qu’au total la pression fiscale pour l’achat d’une telle voiture est tombée à 24 %, avec un droit de douane réduit à zéro.

Vous venez d’entamer les négociations avec l’UE en matière de libéralisation du commerce des services et de l’investissement. Quelles sont vos priorités ?

Nous voulons améliorer les conditions dans lesquelles se dérouleront les mouvements temporaires des fournisseurs de services tunisiens désireux d’opérer en Europe. Dans notre objectif de développer notre exportation de services, nous souhaitons notamment mettre l’accent sur ceux à forte valeur ajoutée, comme ceux des bureaux d’études, de consulting, d’expertise, d’architecture, d’informatique et des services de santé. À cet égard, nous insisterons pour l’instauration d’une reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications.

Quelle est l’approche tunisienne en matière de négociations sur la libéralisation du commerce des produits agricoles, agroalimentaires et de la pêche, qui se déroulent parallèlement à celles des services ?

Les approches du Comité de préparation de ces négociations, coordonné par le ministère de l’Agriculture, se fondent sur les principes suivants : le schéma progressif de démantèlement douanier doit d’abord comporter une liste de produits exclus de la libéralisation. Il faudra tenir compte du différentiel de développement entre l’UE et la Tunisie et garantir une concurrence équilibrée entre les produits venant des deux parties (notamment concernant les subventions européennes). Enfin, il faudrait prévoir des mesures d’accompagnement adéquates.

L’ouverture de l’économie tunisienne ne se limite pas à l’UE. Quelle est votre politique en la matière ?

Nous avons déjà des accords de libre-échange bilatéraux avec le Maroc, la Jordanie, l’Égypte et la Turquie. Nous en avons trois autres, au niveau régional et multilatéral, qui nous placent plus particulièrement dans la perspective de l’établissement de la zone euro-méditerranéenne de libre-échange initiée par le processus euro-méditerranéen de Barcelone. Le premier de ces accords s’inscrit dans le cadre de la « grande zone arabe de libre-échange », le second dans le cadre de l’accord arabo-méditerranéen de libre-échange, dit « accord d’Agadir » (avec le Maroc, l’Égypte et la Jordanie), le troisième avec l’Association européenne de libre-échange (AELE, qui comprend la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein).

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