Panique à Wall Street
La crise des subprimes a réduit au désespoir d’innombrables ménages américains. Puis contaminé l’ensemble des marchés financiers, soudain pris de folie. Dans toutes les Bourses de la planète, c’est le temps des montagnes russes !
Les marchés financiers sont devenus fous. Dans la nuit du dimanche 16 au lundi 17 mars, le dollar s’est, en quelques heures, effondré, tandis que l’euro et l’or repartaient vers les sommets. La Bourse de Tokyo a chuté de 3,7 % et les places européennes d’environ 4 %. Certains analystes ont aussitôt annoncé le déclenchement d’une crise comparable à celle de 1929. Du jamais vu.
Deux jours plus tard, le 19 mars, tout le monde avait retrouvé le sourire. Wall Street gagnait 3,3 %, le dollar se redressait à 1,56 dollar pour 1 euro (au lieu de 1,59) et le baril de pétrole perdait 4 dollars en une seule séance, flirtant avec les 100 dollars. Un retournement spectaculaire. En attendant une nouvelle descente aux enfers ?
Pour comprendre ce petit jeu des montagnes russes qui donne le vertige même aux spéculateurs les plus endurcis, il faut repasser le film catastrophe depuis le début. Comme toujours, le premier clap a été donné aux États-Unis.
ACTE I
Depuis quatre ou cinq ans, les ménages américains les moins solvables se voient proposer des prêts immobiliers alléchants : taux bas (mais variables) et remboursements différés. De quoi acheter la maison de ses rêves. Surtout quand on n’en a pas les moyens.
Décrochés par des démarcheurs sans scrupule (puisqu’ils savent fort bien que les remboursements vont vite devenir impossibles), ces contrats, appelés subprimes, sont ensuite revendus à des banques par les établissements spécialisés dans le crédit hypothécaire. Et pour pas cher, en raison des risques. À leur tour, ces banques les revendent à d’autres établissements financiers à travers le monde, qui les mêlent à d’autres valeurs pour diluer le risque. Fonds de pension, hedge funds, fonds d’investissement et banques parfaitement respectables se précipitent sur ces produits qui donnent l’impression de dégager de fortes plus-values, sans risque.
Mauvais calcul : à partir de 2005, les taux des prêts remontent et les emprunteurs ont de plus en plus de mal à faire face à leurs échéances de remboursement. Les saisies se multiplient, mais ne permettent pas aux maisons spécialisées dans les hypothèques de rentrer dans leurs fonds. Dans les portefeuilles des investisseurs, les produits contenant des subprimes se dévalorisent. Au cours de l’été 2007, une crise de liquidités s’amorce. On parle d’un trou de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Les Banques centrales injectent provisoirement 200 milliards de dollars de liquidités.
Acte II
Au cours de l’automne de cette même année, on découvre que toutes les banques de la planète ont acheté des subprimes, mais personne ne sait où se trouvent ces actifs « pourris » compte tenu de leur dissimulation dans des produits financiers hautement sophistiqués. Les unes après les autres, les banques annoncent des pertes, voire des déficits. Entre elles, la défiance devient la règle. Les dégâts sont désormais évalués à 300 ou 400 milliards de dollars. On est bel et bien confronté à une crise de solvabilité. La Réserve fédérale américaine (FED) est contrainte de baisser ses taux. Vite et fort.
Acte III
Rien n’y fait. Les banques ne supportent plus le moindre risque et refusent de prêter même aux entreprises solvables et aux étudiants pleins d’avenir. La consommation des ménages américains, qui tire la croissance depuis des lustres, ralentit fortement. La récession menace. Les investisseurs fuient le dollar comme les actions. La défiance devient générale.
C’est dans ce contexte sinistre que, le dimanche 16 mars, intervient l’annonce du rachat de la banque d’affaires Bear Stearns par JP Morgan. Ce qui aurait dû apparaître comme la preuve que les établissements bancaires sont résolus à s’entraider est vécu comme le signe avant-coureur de l’effondrement du système bancaire américain.
Pourquoi ? Les échanges d’actions entre les deux établissements valorisent l’action de Bear Stearns à 2 dollars, alors qu’elle en valait 170 l’an dernier ! Ce prix bradé jette le doute sur la valeur de l’ensemble des banques. À Wall Street, Paris, Londres et Hong Kong, les marchés sont pris de panique. Les opérateurs vendent du dollar à tour de bras et, non moins frénétiquement, achètent de l’euro, de l’or et du pétrole.
Pour remédier à cette perte de confiance – d’autant plus spectaculaire que l’économie mondiale continue de se bien porter -, la FED et le gouvernement américain sortent le grand jeu, à partir du 16 mars. La première baisse son taux directeur de 0,75 point afin de donner de l’oxygène aux entreprises et aux ménages surendettés (en huit mois, ce taux est tombé de 5,25 % à 2,25 %), avance 30 milliards de dollars à JP Morgan pour racheter Bear Stearns et prend à sa charge le risque sur les titres spéculatifs de ce dernier établissement, désormais en quasi-faillite. De son côté, George W. Bush martèle que « les États-Unis maîtrisent la situation » et invite ses concitoyens à « garder confiance ». Henry Paulson, son secrétaire au Trésor, promet que « le gouvernement fera ce qu’il faudra pour maintenir la stabilité du système financier ».
Reste à soigner la cause première de ce gigantesque krach : les familles surendettées en passe de se retrouver sans logis. Depuis trois ans, 800 000 d’entre elles ont en effet été expulsées. Et 2 millions d’autres sont menacées. Dans le plan de relance du président Bush, 400 milliards de dollars leur sont déjà réservés pour enrayer la multiplication des saisies.
Mercredi 19 mars, les deux principaux organismes de refinancement hypothécaire, Fannie Mae et Freddie Mac, sont autorisés par leur autorité de tutelle à assouplir leurs règles de sécurité. En récupérant ainsi une partie de leurs capitaux propres, ils pourront garantir immédiatement 200 milliards de dollars de prêts détenus par les ménages. Avec l’autorisation de déplafonnement, intervenue le mois dernier, du montant des crédits qu’ils peuvent allouer, c’est 2 000 milliards de dollars de prêts hypothécaires qui pourront être consolidés en 2008.
Ces sommes astronomiques disent l’ampleur de la crise, mais elles font scandale. Des voix s’élèvent pour dénoncer le sauvetage des institutions responsables de cette pagaille. D’autres, au contraire, comme Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, ou Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du FMI, applaudissent l’interventionnisme de l’administration Bush.
Après la nationalisation par le gouvernement britannique de la banque Northern Rock, verra-t-on, à Washington, des fonds publics voler au secours de banques privées à court de capitaux ? Que le pays du capitalisme triomphant en vienne à se poser cette question politiquement et économiquement « incorrecte » ne peut que réjouir tous les adversaires d’un libéralisme sans contrôle ni morale.
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