Le troisième choc est là !

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Pour le moment, la très mauvaise nouvelle circule dans les milieux spécialisés et n’est donc connue que des professionnels du pétrole et de leurs financiers : pour la première fois dans l’histoire de cette source d’énergie, tous les contrats d’achat de pétrole à terme se négocient à des prix élevés, situés tous à plus de 100 dollars le baril ; le prix d’un baril livrable en décembre 2016 s’est traité ce mois-ci à 103,59 dollars.
En termes simples, cela signifie que la grande majorité des professionnels de ce produit – mieux que quiconque, ils savent que l’évolution de ses cours est imprévisible – sont persuadés que nous devrons désormais vivre avec un pétrole très cher : plus de 100 dollars le baril, peut-être même beaucoup plus.

Ce pétrole se commercialisait aux alentours de 50 dollars au début de 2007 et a donc vu son prix plus que doubler en douze mois.
Mais, au cours des six derniers mois, les prix du pétrole livrable à terme de cinq ans ont augmenté plus encore (45,3 %) que ceux du pétrole livré sans délai, dit spot (38,1 %).
On en déduit que le baril va probablement franchir un nouveau palier, que ces milieux spécialisés situent entre 135 et 150 dollars

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Nous risquons donc tous, à l’échelle du monde entier, de nous retrouver dans le cercle vicieux que nous avons connu dans les années 1970 et 1980 lorsque nous avons subi coup sur coup les deux premiers chocs pétroliers : le pétrole cher est facteur d’inflation et l’inflation renchérit l’extraction de pétrole (et des autres matières premières), retarde l’investissement dans la recherche pétrolière, dérègle l’économie mondiale.
La baisse continue du dollar par rapport aux autres grandes monnaies complique encore plus l’équation, rendant plus difficile et retardant d’autant le retour aux grands équilibres.
C’est donc désormais une (quasi)-certitude : à l’horizon des cinq à dix prochaines années, il nous faudra vivre moins bien, avec un pétrole plus cher encore qu’aujourd’hui.
Les pays pauvres, importateurs d’énergie, souffriront beaucoup plus que les riches, et leurs populations les moins bien loties plus encore que les autres.
Mais allons plus loin que ces généralités, à la recherche des responsables dont certains sont même coupables, des bénéficiaires, qui sont parfois de faux bénéficiaires, et des vrais perdants.
Et voyons s’il y a des remèdes à ce mal.

On dit et on écrit que la Chine et l’Inde sont les principaux responsables en raison de l’augmentation rapide de leur consommation. Celle-ci augmente, certes, mais, à ce jour, la Chine, quatre fois plus peuplée que les États-Unis, ne représente que 8 % à 10 % de la demande de pétrole, contre 25 % pour les États-Unis et 18 % pour l’Europe.
Et cette consommation des États-Unis, déjà très élevée, ne cesse de croître malgré la hausse du prix.
Traitant du sujet, un expert, Paolo Scaroni, directeur général de l’ENI (Société nationale italienne des pétroles), ajoute :
« Là-bas, aux États-Unis, ces cinq dernières années, une voiture achetée sur deux est un 4×4 : un goinfre qui ne fait pas plus de 3 ou 4 kilomètres avec un litre d’essence. En conséquence, les véhicules américains font en moyenne 7 kilomètres avec un litre. La moyenne européenne – 13 kilomètres avec un litre – est un peu meilleure. Si les Américains achetaient les mêmes voitures que les Européens, nous économiserions 4 millions de barils par jour, l’équivalent de la production iranienne, troisième exportateur mondial. []
« Si toutes les voitures américaines, canadiennes, européennes, japonaises et australiennes s’alignaient sur ce niveau de consommation, nous économiserions 10 millions de barils par jour, l’équivalent de la production saoudienne, le premier producteur mondial, et plus que les consommations chinoise et indienne réunies. []
« Si les Occidentaux roulaient dans des véhicules raisonnables, et si les Américains adoptaient les standards européens en matière de chauffage et d’air conditionné, nous pourrions économiser 15 millions de barils par jour. C’est, en gros, 20 % de la consommation mondiale. »

Puisque le prix du baril va encore augmenter, les pays exportateurs de pétrole vont s’enrichir vertigineusement – ou en avoir l’impression et quelques apparences.
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a enregistré en 2007 un chiffre d’affaires six fois plus élevé qu’en 1998 : 676 milliards de dollars (500 milliards d’euros), contre 110 milliards. Sur la même période, les ventes russes de pétrole et de gaz ont quadruplé.
En 2008, selon les prévisions les plus sérieuses, la même Opep devrait engranger plus de 900 milliards de dollars.
Pendant le même temps, les pays pauvres importateurs de pétrole et, chez eux, les plus démunis, ont commencé à souffrir et, pour eux, cela va tourner au cauchemar, au non possumus : l’or noir leur est en effet nécessaire pour s’éclairer, se chauffer, cuisiner, se déplacer. Comment vont-ils le payer ? Pourront-ils le remplacer ou s’en passer ?
Attendons-nous à des mouvements sociaux, voire à des révoltes contre cette situation.

À ce degré de gravité, elle est sans précédent depuis qu’a débuté, il y a un siècle, l’ère du pétrole ; le problème est posé dans des termes nouveaux et il va falloir lui trouver une solution originale, car il s’agit bel et bien d’un troisième choc pétrolier.
Et qui risque d’être plus grave et plus long que ceux des années 1970.
Toutes les propositions, comme celle du président Abdoulaye Wade – un 2 % sur les exportations du pétrole ajouté au prix et prélevé par les exportateurs qui le verseraient à un fonds mondial de lutte contre la pauvreté -, sont les bienvenues.

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Concluons tout de même sur une note optimiste ! Le pétrole très cher, trop cher même, a les graves inconvénients passés en revue ci-dessus, mais il a aussi un avantage. Un seul, mais considérable : les plus riches, qui en usaient sans discernement ni retenue, s’astreindront désormais à une utilisation raisonnable. C’est-à-dire modérée. Et se mobiliseront davantage pour lui chercher, en substitut, des énergies propres.
Ce sera tout bénéfice pour l’environnement : la planète verra enfin se réduire les émissions de gaz à effet de serre qui polluent son atmosphère et concourent à son réchauffement.

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