Le parcours du combattant
Avant d’affronter la concurrence des grands groupes européens, les opérateurs tunisiens ont dû suivre des programmes de modernisation et de mise à niveau. Avec l’aide de l’État… et de l’UE.
Vaincre ou périr. Tel est l’alternative pour les entreprises tunisiennes depuis le début de la mise en place de la zone de libre-échange avec l’Union européenne (UE) qui représente 85 % des échanges commerciaux du pays. Lors de la signature de l’accord d’association en 1995, de nombreux experts craignaient qu’un tiers des sociétés ne disparaissent. Comment les entreprises de substitution à l’importation travaillant pour le marché local et bénéficiant, jusque-là, d’une protection douanière auraient-elles pu affronter la concurrence étrangère ?
Pour les autorités, le défi se devait d’être relevé. Plusieurs programmes de modernisation ont été mis en place afin de rendre l’industrie tunisienne plus compétitive. Étaient surtout concernées les petites et moyennes entreprises peu habituées à se mesurer à d’importants concurrents européens opérant sur un marché de 500 millions de consommateurs. À l’époque, les mesures d’accompagnement préconisées par Tunis n’ont pas été du goût de certains experts européens, qui estimaient qu’il fallait laisser le marché tout réglementer. N’empêche, le contribuable tunisien finance depuis 1996 un Programme de mise à niveau (PMN), renforcé à partir de 2002 par un Programme de modernisation industrielle (PMI), en partie subventionné par l’UE.
Piloté par le ministère de l’Industrie, le PMN touche l’ensemble des entreprises industrielles, quel que soit leur statut. Même les sociétés étrangères peuvent bénéficier des mécanismes incitatifs qui ont été mis en place. L’État finance 70 % du coût de l’étude de diagnostic de l’entreprise, 70 % des investissements immatériels (formation, marketing, expertises, etc.), 20 % des investissements matériels. Tout au long de ce processus, les entreprises bénéficient du soutien et du suivi du Centre technique du secteur concerné. L’action du PMN s’est ensuite étendue à la mise à niveau des sociétés de services liés à l’entreprise industrielle. Les activités concernées sont les services informatiques, les logiciels, les services d’étude, de conseil, d’expertise et d’assistance, la formation, la maintenance, le contrôle technique. Un troisième volet concerne les investissements technologiques à caractère prioritaire (ITP).
ENGOUEMENT RAPIDE
L’engouement pour le PMN est tel que certaines entreprises ont réalisé jusqu’à quatre projets de mise à niveau et d’extensions. À la fin de 2007, près de 4 000 sociétés (soit plus de 80 % des entreprises éligibles) avaient adhéré au programme et engagé plus de 4,3 milliards de dinars (2,4 milliards d’euros) d’investissements. Le total des primes octroyées sur financement public s’élève à 600 millions de dinars. Les ITP, qui n’en sont qu’à leur début, ont permis de financer plus de 2 500 projets pour un montant total de 121 millions de dinars.
En tête des secteurs bénéficiaires figure celui des industries de matériaux de construction tels la céramique et le verre (21 % des investissements totaux). Le secteur du textile-habillement (19 % des investissements) a pu, lui aussi, bénéficier des programmes. Et mieux résister, dès 2005, aux effets du démantèlement des accords multifibres et à la concurrence accrue sur le marché européen, en proie à la déferlante asiatique. Les industries mécanique, électrique et électronique (19 %) et les industries agroalimentaires (19 %) sont elles aussi dans le peloton de tête. Un bémol toutefois : les investissements ont presque essentiellement profité aux « grandes » entreprises.
NOUVELLE GENERATION
Au fil du temps, le champ d’action du PMN s’est donc élargi. Des dispositions ont été prises afin d’améliorer l’environnement des affaires et d’alléger les procédures administratives. À quoi se sont ajoutées plusieurs autres mesures : dématérialisation des procédures douanières ; réduction des formalités pour l’enlèvement des marchandises à moins de sept jours en 2007 ; renforcement des structures de formation de techniciens et d’ingénieurs ; modernisation des infrastructures de base avec notamment les zones industrielles, dont le nombre a été porté à plus d’une centaine ; lancement d’une dizaine de parcs technologiques spécialisés par secteur ; amélioration des infrastructures de télécommunications avec notamment la généralisation en cours à l’ensemble du pays des réseaux en fibre optique et de l’ADSL ; développement des infrastructures de transport aérien, terrestre et maritime. Le tout se faisant dans le cadre de réformes tendant à accentuer la libéralisation de l’économie et du secteur financier.
C’est dans ce contexte que l’UE a décidé de soutenir davantage les PME en accordant 91,5 millions de dinars au Programme de modernisation industrielle. Celui-ci dispose, sur place, d’une équipe d’assistance technique composée d’experts internationaux et locaux pour soutenir la création et le développement des entreprises, introduire de nouveaux outils de compétitivité. Parmi les autres réalisations enregistrées figurent notamment l’assistance aux organismes publics et privés de soutien à l’entreprise comme l’Agence de promotion de l’industrie (API) et l’organisation patronale. Le PMI a aussi directement contribué au capital de la Société tunisienne de garantie (Sotugar) qui permet aux entreprises d’avoir plus facilement accès aux crédits en l’absence de garanties réelles, notamment dans les secteurs innovants.
En 2008, le gouvernement a lancé dix-neuf programmes complémentaires s’articulant autour de trois axes. Le premier a trait aux investissements immatériels dans la qualité, le coaching, la restructuration financière des entreprises, la création de consortiums, le renforcement des technologies de l’information et de la communication, l’innovation et le développement technologiques. Le deuxième axe se rapporte à la création d’une nouvelle génération d’entreprises (pépinières, centres d’affaires, etc.). Le troisième concerne l’amélioration de l’environnement global des affaires, avec notamment le développement de laboratoires agréés à l’échelle internationale, l’aménagement de nouvelles zones industrielles, de pôles de développement, le renforcement de la propriété industrielle et la protection de l’environnement. Le parcours du combattant est loin d’être terminé. Aux jeunes entrepreneurs maintenant de prendre le relais des anciens industriels qui, depuis l’indépendance du pays, ont préparé le pays à l’ouverture sur l’économie mondiale.
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