Lendemains de fête

La trêve qui a prévalu jusqu’au sommet de l’OCI est révolue. Le fils du chef de l’État, Karim Wade, pourrait utiliser les retombées de l’événement pour légitimer son entrée ?en politique. Un exercice à haut risque.

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Le luxueux navire-hôtel MSC Musica, qui mouillait depuis plusieurs jours devant Dakar, afin de pallier le manque de lits, a levé l’ancre pour regagner son port d’attache, Naples. Les sirènes des cortèges se sont tues. Le défilé des têtes couronnées a déserté le paysage. Depuis que la 11e session de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) a baissé rideau le 14 mars, Dakar retrouve les réalités du quotidien.
Dans la nuit du 15 au 16 mars, la colère monte au sein des forces de l’ordre. À l’origine de la grogne : la prime de 24 500 F CFA (moins de 40 euros) qui a été versée à chaque policier réquisitionné pour assurer la sécurité des hôtes du sommet. Ils en espéraient quatre fois plus. « Après la fête, la défaite », a-t-on coutume de dire à Dakar.
Dès le lendemain, le 17 mars, tout s’enchaîne. Les enseignants publient un communiqué au vitriol dans lequel ils menacent de reprendre la grève suspendue quelques semaines plus tôt. Les propriétaires de villas, immeubles et bureaux loués par l’État montent au créneau et réclament neuf mois d’arriérés de loyer. Les étudiants de l’université de Dakar bloquent la très fréquentée route de Ouakam, qui jouxte leur établissement. Les forces de l’ordre interviennent. Jets de pierres et gaz lacrymogènes Au même moment, à 100 km de là, dans la ville de Tivaouane, le cortège du chef de l’État, Abdoulaye Wade, venu remercier le khalife général des Tidjanes Serigne Mansour Sy pour sa contribution au succès du sommet de l’OCI, est caillassé par des manifestants protestant contre la vie chère. L’intervention énergique de la garde rapprochée du président permet d’éviter le pire.

5 % A LA CHARGE DE L’ÉTAT

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Dans un pays où les deux tiers de la population vivent avec moins de 2 dollars par jour, le faste du 11e sommet de l’OCI, qui a vu défiler nombre de limousines, n’a pas laissé indifférent. Dans les quartiers populaires et les villages les plus reculés du pays, où les habitants peinent à remplir leur assiette, les milliards injectés dans les infrastructures censées parer Dakar de nouveaux atours ont parfois du mal à passer.
Nouvelles routes, tunnels, échangeurs, hôtels haut de gamme, bateau de luxe le régime d’Abdoulaye Wade n’a pas regardé à la dépense pour accueillir « les hôtes du Sénégal ». Montant global de l’investissement mobilisé pour l’OCI : 356 milliards de F CFA (542 millions d’euros), dont 5 % pris en charge par l’État, 20 % par des privés et les 75 % restants par des bailleurs de fonds venus, pour la plupart, des pays du Moyen-Orient. Voilà pour les chiffres officiels. Car, à y regarder de plus près, le Trésor public a été davantage sollicité. Le tronçon de la Corniche ouest, qui relie le siège d’Atepa Technologies (quartier Fann-Résidence) à la mosquée de la Divinité (Ouakam), a, par exemple, coûté 16 milliards de F CFA déduits du budget d’investissement de l’État. Si Dakar compte aujourd’hui de nouvelles artères impeccablement goudronnées, l’addition n’en reste pas moins salée. À titre d’exemple, le seul segment de 6 km de la voie de dégagement nord (VDN), reliant la Foire internationale de Dakar à l’École normale supérieure, a coûté la somme faramineuse de 22 milliards de F CFA, financés par un prêt de la Banque islamique de développement (BID).

RETOMBÉES LIMITÉES

Le montant de la location du navire-hôtel MSC Musica, estimé par certains à 8 milliards de F CFA, a suscité de vives réactions au sein de la presse comme de la société civile. Contacté par Jeune Afrique, le conseiller en communication de l’Agence nationale de l’OCI (Anoci, chargée d’organiser la rencontre), Madior Sylla, dément toute surfacturation : « Le MSC Musica a été loué à 5,5 milliards de F CFA entièrement assumés par l’Arabie saoudite. Contrairement à ce que j’entends dire ici ou là, l’État n’a pratiquement rien supporté. Pour l’hébergement des participants, le Sénégal n’a pris en charge, comme l’autorisent les textes de l’OCI, que dix personnes par délégation. » D’après l’un de ses hauts responsables, la Société générale de banques du Sénégal (SGBS) aurait pourtant décaissé 3 milliards de F CFA pour couvrir une partie des frais de location du luxueux navire. Qui croire ? S’agirait-il d’une avance consentie par le Sénégal en attendant de recevoir les 5,5 milliards de l’Arabie saoudite ?
Les retombées financières immédiates du sommet (estimées à 4 milliards de F CFA) ne sont pas aussi importantes que prévu. Quelques absences, parmi les invités, ont tiré les résultats vers le bas. Sur les 57 chefs d’État et de gouvernement attendus, 31 ont répondu présents. Les dirigeants d’importants pays de la Oumma (communauté des musulmans) comme l’Arabie saoudite, Oman, la Jordanie, Bahreïn, l’Égypte, le Pakistan et la Libye n’ont pas effectué le déplacement. Si bien que le MSC Musica, d’une capacité de 1 275 chambres, n’a, en trois jours, jamais affiché complet. Et le Marrakech, l’autre navire-hôtel gracieusement prêté par le Maroc, n’a pas été utilisé.
Loin des controverses, Abdoulaye Wade s’est fait fort de donner à cette 11e session de l’OCI toutes les apparences d’un succès diplomatique. Par des symboles forts. Telle cette poignée de main entre les frères ennemis Idriss Déby Itno, chef de l’État tchadien, et Omar el-Béchir, son homologue soudanais. En dépit des nombreux accrocs, Wade n’a pas ménagé sa peine pour faire signer « l’accord de Dakar » en marge du sommet. Le 12 mars, Béchir, attendu par ses pairs au palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor, se fait porter pâle. N’en déplaise au président sénégalais, qui lui passe plusieurs coups de fil. Et lui envoie Cheikh Tidiane Gadio, son ministre des Affaires étrangères.
Si l’accord de paix arraché au forceps n’offre pas forcément plus de garanties d’être appliqué que les trois précédents, il constitue néanmoins un moment fort de cette rencontre de l’Organisation de la conférence islamique. Une institution fréquemment critiquée pour sa léthargie et son incapacité à régler un quelconque différend. Du sommet de Dakar restera ce texte paraphé par les présidents tchadien et soudanais. Mais également tout ce qui est figé dans la pierre. Même si les infrastructures prévues ne sont pas toutes achevées : aucun des cinq hôtels de standing n’a pu être livré dans les temps (ce que les organisateurs avaient prévu depuis longtemps), huit des onze tronçons de routes à construire sont toujours en chantier
Président du conseil de surveillance de l’Anoci, Karim Wade comptait sur le sommet pour légitimer d’éventuelles ambitions politiques. Et commencer à structurer son discours autour du thème du concret, de l’action, des résultats. À la veille des assises de l’OCI, il a tenu son premier meeting à Guediawaye, dans la banlieue dakaroise. « Il y a deux partis au Sénégal : le parti de l’action, et celui de la parole », a-t-il déclaré aux milliers de jeunes venus de tout le pays. Avant de les convier à une marche nationale qui doit se dérouler « après le sommet ». Pour y faire une quelconque annonce ?
À la tête de la Génération du concret (GC), une association née en 2006 et destinée à se muer, peut-être, en parti politique, le fils – et influent conseiller – du président a bénéficié de moyens importants grâce au soutien des pays du Golfe pour faire des réalisations concrètes. Entouré d’Abdoulaye Baldé, par ailleurs secrétaire général de la présidence, d’Hassan Bâ, conseiller du chef de l’État, d’une équipe de communication qui va de ses conseillers au publicitaire français Richard Attias, « Karim », comme l’appellent ses compatriotes, tisse sa toile, entretient ses réseaux
La GC s’est appuyée sur la carte électorale pour définir sa stratégie. Elle ouvre ses cellules et concentre ses efforts sur Dakar et Thiès, qui devraient représenter 55 % du corps électoral en 2012 (contre 50 % en 2007). Consciente de la réticence des élites de Dakar intra-muros à l’idée d’une éventuelle succession dynastique, la GC mise sur les banlieues de la capitale : Guediawaye, Pikine, Parcelles Assainies Y arrivera-t-elle ? Une seule certitude : sur le chemin parsemé d’embûches qui mène au fauteuil présidentiel, Karim Wade doit faire face à un tir de barrage de la classe politique, y compris de certains caciques du parti présidentiel, peu enclins à s’asseoir sur leurs propres ambitions.

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