La Françafrique m’a tué

Le secrétaire d’État à la Coopération?et à la Francophonie quitte son poste pour s’occuper des Anciens Combattants.?Pourquoi Nicolas Sarkozy en a-t-il décidé ainsi ?

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

«Il faut sauver le soldat Bockel. C’est le titre que vous aviez choisi pour l’article que vous m’avez consacré en janvier, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est raté ! » Le 19 mars, quelques minutes après la cérémonie de passation de ses pouvoirs à Alain Joyandet, son successeur au secrétariat d’État à la Coopération, Jean-Marie Bockel avait encore le courage d’ironiser, non sans un soupçon d’amertume.
On a beau la dire moribonde, la « Françafrique », cette nébuleuse de réseaux occultes et de liens personnels tissés au fil des années entre les chefs d’État africains et français, aura finalement eu raison de l’ancien socialiste, passé à l’ennemi en entrant dans le gouvernement de François Fillon, en juin 2007. Sa volonté affichée le 15 janvier, avec beaucoup de sincérité et un zeste de naïveté, de « signer l’acte de décès de la Françafrique » n’aura été suivie par personne. Et surtout pas par l’Élysée, qui, neuf mois à peine après son entrée en fonctions, l’a donc évincé de la « coop’ ».
Bockel, 57 ans, détient désormais le record du plus bref séjour à la tête de la « Rue Monsieur ». Il rejoint les rangs de tous ces imprudents qui, un jour, ont cru pouvoir s’opposer frontalement à un système dont ils sous-estimaient sans doute la solidité. Se souvient-on du tiers-mondiste et frondeur Jean-Pierre Cot, forcé à la démission en 1982 ?
Jean-Marie Bockel a quand même obtenu un lot de consolation : le secrétariat d’État à la Défense et aux Anciens Combattants. Maigre consolation, au lendemain du décès du dernier « poilu » de la Première Guerre mondiale !
Son remplacement est d’autant plus mal passé que, le 16 mars, il a été réélu maire de Mulhouse. Avec seulement 166 voix d’avance sur son concurrent socialiste du second tour, certes, mais, en pleine « vague rose », ce méritoire succès aurait logiquement dû se traduire par son maintien en fonctions. C’était compter sans la volonté de Nicolas Sarkozy de resserrer les équipes ministérielles autour de ses plus proches partisans. Et de récompenser le fidèle Joyandet. Battus lors du scrutin municipal, d’autres membres du gouvernement, comme Rama Yade, sont restés en poste. Cela signifie que les considérations politiciennes et/ou sa rivalité notoire avec Bernard Kouchner, son ministre des Affaires étrangères, membre comme lui du « club de l’ouverture », ont sans nul doute contribué à l’éviction de Bockel. Mais ce n’est pas le plus important.

UN « SIGNE INTERESSANT »

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Le 19 mars, René Ndemezo Obiang, le porte-parole du gouvernement gabonais, n’a pas caché sa satisfaction : « Pour nous, c’est un signe intéressant. M. Bockel avait pris des positions assez particulières, c’est le moins que l’on puisse dire. » Après la sortie du ministre contre le déficit de bonne gouvernance dans certains pays africains, les présidents gabonais, congolais et camerounais avaient en effet manifesté leur agacement auprès de Sarkozy. Omar Bongo Ondimba, notamment, n’a pas digéré sa mise en cause par Bockel dans une interview au Monde. De source diplomatique française, Denis Sassou Nguesso – qui refusait de prendre Bockel au téléphone et ne daignait même plus prononcer son nom – aurait sans ambages exprimé à Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, son désir de le voir disparaître de la scène africaine. Aussitôt dit, aussitôt fait. À la manière discrète, mais efficace, d’un Jacques Foccart, dont Sarkozy se plaît parfois à saluer la mémoire.
C’est le dimanche 16, dans la soirée, alors que sautent les premiers bouchons de champagne, que Bockel comprend brusquement que son plan de carrière risque d’être contrarié. Kouchner l’ayant appelé pour le féliciter de sa réélection, le secrétaire d’État se réjouit du bon travail qu’ils vont pouvoir continuer à faire ensemble. Long silence gêné, à l’appareil Le lendemain soir, Bruno Joubert, responsable de la cellule Afrique de Sarkozy, l’informe des détails du remaniement. Bockel est furieux : on ne lui propose qu’un simple secrétariat d’État aux Anciens Combattants. Le 18, l’ajout à son titre, à la dernière minute, de la mention « à la Défense » – il devient l’adjoint du ministre Hervé Morin – flatte le colonel de réserve qu’est le maire Mulhouse. Mais le mal est fait.
Au mois de décembre, l’arbitrage rendu par Sarkozy en faveur de Sassou Nguesso – qui recevra 180 millions d’euros au titre du Document cadre de partenariat (DCP), au lieu des 100 millions prévus par les services de la Coopération – avait été jugé humiliant par l’entourage de Bockel et avait mis le feu aux poudres. Côté africain, le discours du 15 janvier sur la fin de la Françafrique n’est toujours pas passé, comme en témoigne la brouille récente avec le Gabon. En coupant la tête de Bockel, Guéant, l’interlocuteur privilégié des dirigeants de l’ex-« pré carré », a manifestement voulu calmer le jeu.

LE DISCOURS DE TROP

Comble de la déception pour l’intéressé, ce désaveu intervient alors qu’il avait commencé à mettre de l’eau dans son vin. À la fin de février, il avait estimé que le discours de Sarkozy au Cap allait dans le bon sens, alors qu’aucune mention n’y était faite des réseaux ou de la mauvaise gouvernance. ?Bockel avait par ailleurs trouvé une solution pour régler le contentieux congolais sans que personne ne perde la face. Au moyen de remises de dettes et de petites acrobaties comptables, il était parvenu à rallonger l’enveloppe de 80 millions d’euros pour arriver à la somme promise par Sarkozy. Dans une lettre datée du 14 mars, mais envoyée le 18 au matin, à l’Élysée, il exposait au chef de l’État la manière dont il comptait s’y prendre pour mettre un point final à cette affaire.
Il précisait même que, grâce à une invitation de Christophe de Margerie, le PDG de Total, il se rendrait prochainement à Brazzaville pour rencontrer Sassou. Ce dernier y aurait-il consenti ? On ne le saura jamais. Si elle était arrivée à destination plus tôt, la lettre de Bockel aurait-elle pu changer le cours des choses ? S’il avait été présent en France au moment de la décision, Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de Sarkozy, aurait-il pu infléchir la position de Guéant ? Peu importe, à présent.
Le colonel Bockel quitte le 20, rue Monsieur. À cause d’un discours de trop. Au moins ses phrases resteront-elles gravées dans le marbre de la longue histoire françafricaine. « Il existe une trop grande distance entre les objectifs affichés et certaines pratiques qui perdurent de part et d’autre », déclarait-il, en janvier. Lucidité du condamné ?

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