La BBC défie Al-Jazira
Le groupe britannique a lancé, le 11 mars, sa chaîne de télévision arabe diffusée dans les pays du Golfe, du Maghreb et du Proche-Orient. Et entend conquérir un marché largement dominé par Al-Jazira ?avec ses 55 millions de téléspectateurs.
Dalia Mohamed était, il y a encore quelques mois, animatrice radio à Damas. « Lorsque j’ai vu une annonce pour un poste à BBC Arabic Television, je n’ai pas hésité une seconde », explique la jeune et jolie Syrienne qui débute ainsi sa première expérience télé. Hasan Muawad, lui, revient à la maison, si l’on peut dire. « Je suis arrivé à la BBC en 1977 comme journaliste-producteur, raconte-t-il. J’étais chef du service des informations en arabe avant de travailler pour la Middle East Broadcasting Corporation, à Dubaï, et pour Al-Arabiya TV. Ma famille était restée en Angleterre et je suis content de la retrouver. » Norma Hajj, elle, vient de Beyrouth, au Liban, où elle travaillait pour la Lebanese Broadcasting Corporation. « Je n’avais pas l’intention de partir, mais mes collègues m’ont persuadée de postuler pour BBC. J’ai passé un examen, particulièrement difficile – on aurait dit un test pour entrer à l’université d’Oxford ou à Harvard ! »
Dalia, Hasan et Norma sont avec Fida Bassil, Osman Ayfarah ou encore Lina Musharbash, Rania al-Alattar, et quelques autres, les nouveaux visages de BBC Arabic TV, lancée le 11 mars à Londres et disponible gratuitement via le câble et le satellite dans les pays du Golfe, en Afrique du Nord et dans vingt-deux pays du Moyen-Orient. Des présentateurs appelés à devenir les stars de la nouvelle chaîne dans le monde arabe. Muawad signe son come-back en animant un talk-show hebdomadaire, Fi as-Samim (« Droit au but »). Hosam el-Sokkari, le patron de la chaîne, présente en direct un débat hebdomadaire multimédia. Son équipe est basée au quatrième étage de l’aile baptisée Egton Wing des nouveaux bâtiments du Broadcasting House, à Londres, qui abriteront d’ici à 2012 tous les services de la BBC. Elle compte 200 employés, dont une centaine viennent des médias du Proche-Orient.
BBC Arabic TV a misé sur le tout-numérique. Le journaliste multimédia reçoit sur son ordinateur les images du système BBC ou d’une agence de presse. Il monte le sujet, y insère son commentaire, mixe l’ensemble et, d’un clic, l’insère dans le système pour en faire un élément prêt-à-diffuser. « Ce fut un véritable challenge de mettre en place ce nouveau modèle technologique au moment même où il fallait lancer la chaîne », affirme Jerry Timmins, le directeur régional Afrique et Moyen-Orient de BBC World Service. Ce service, qui regroupe l’ensemble des rédactions radio et diffuse en 33 langues, a néanmoins chapeauté le projet télé, dans la mesure où BBC Arabic Radio émet dans la région depuis soixante-dix ans. La chaîne en arabe va bien entendu bénéficier des ressources de BBC, qui possède un réseau de plus de 250 correspondants et 75 bureaux à travers le monde. Elle aura également des journalistes en poste en Europe, au Canada, en Chine et aux États-Unis.
UN MARCHE CONCURRENTIEL
BBC Arabic TV vient un peu tard sur le marché de la télévision satellitaire à destination du monde arabe. Un marché particulièrement concurrentiel depuis l’arrivée de la chaîne qatarie Al-Jazira et de celle soutenue par les Émirats arabes unis, Al-Arabiya (« l’Arabe »), sans oublier les chaînes en arabe financées par des fonds publics occidentaux comme l’américaine Al-Hurra (« la libre ») et la française France 24.
D’ailleurs, ironie du sort, BBC est, si l’on peut dire, l’ancêtre d’Al-Jazira. Elle avait déjà tenté, en 1994, l’expérience d’une télé en arabe qui avait pris fin en 1996 après de profondes divergences entre BBC World Service et l’investisseur saoudien Orbit. Certains de ses journalistes avaient alors contribué à créer, à la fin de 1996, Al-Jazira. Les sceptiques se demandent également si BBC peut réussir dans une région du monde où le Royaume-Uni est critiqué pour son engagement en Irak et en Afghanistan.
PARI A GAGNER
Mais, pour Nigel Chapman, le directeur général de BBC World Service, « BBC Arabic Radio est reconnue pour la qualité de ses informations et de ses analyses ». Il espère donc que la renommée de la radio va profiter à la télé et, inversement, que le lancement de BBC Arabic TV va doper l’audience de la radio. « Dans la plupart des marchés, affirme-t-il, les gens écoutent la radio le matin et regardent la télévision le soir. Ces médias sont complémentaires. » Les responsables de la chaîne avancent les bons chiffres d’audience de BBC, qui a enregistré une augmentation de 11 % de son audience globale (radio et télé) en 2006 avec de très bons scores en Afghanistan, au Bangladesh, au Pakistan et en Égypte. Elle a renforcé sa position de numéro un mondial de média de l’information en passant de 210 millions à 233 millions de téléspectateurs et d’auditeurs, malgré l’arrivée des concurrentes France 24 et Al-Jazira English. L’audience de la chaîne BBC World a, elle, enregistré un bond de 17 %, avec 76 millions de téléspectateurs dans le monde. Et celle de la radio de 11 %, avec 183 millions d’auditeurs. Le site Internet, BBC Online, a connu une augmentation de fréquentation de 17 %, avec 38,5 millions de visiteurs par semaine.
Depuis son lancement, la chaîne émet 12 heures par jour, mais devrait passer à 24 heures sur 24 à la mi-2008. Et cela grâce à une dotation budgétaire de 25 millions de livres (près de 32 millions d’euros) du Foreign Office, le ministère britannique des Affaires étrangères. En fait, c’est BBC World Service, dont le budget annuel est de 245 millions de livres, qui a conçu et conduit le projet de télévision arabe. Il a bénéficié pour cela d’une rallonge de 70 millions de livres pour l’exercice 2010-2011. Ainsi le budget de BBC Arabic TV, qui était initialement de 19 millions de livres, a pu bénéficier de 6 millions supplémentaires pour passer à 24 heures sur 24.
Le gouvernement a laissé BBC World Service en assumer le montage financier ; ce qui a eu pour conséquence la fermeture de dix services de langues d’Europe de l’Est et près de 250 licenciements. Cette mesure douloureuse a été très mal vécue à l’intérieur du service international de la radio et fait croire à certains que le succès éventuel de BBC Arabic TV ne pourra se faire qu’au détriment de la radio. Et ce d’autant que les ambitions télévisuelles sont à la hausse. D’ici à la fin de 2008, une nouvelle chaîne en langue farsie dédiée aux marchés iranien et afghan sera lancée. Budget : 15 millions de livres. BBC a aujourd’hui un formidable pari à gagner.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- L’arrestation du PDG du groupe CHO secoue l’huile d’olive tunisienne
- Les Obiang et l’affaire des sextapes : vers un séisme à la Cemac ?
- La DGSE française dans la tourmente après les accusations du Niger
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello
- Comment Air France compense son absence des États du Sahel