[Tribune] Bénin : le pire moment pour s’enfoncer dans une crise politique

Après des élections législatives émaillées de violences inédites et dans un contexte de grave insécurité régionale, le Bénin doit trouver une solution de sortie de crise. Le danger est une fragmentation politique et sociale et un délitement de l’unité nationale.

Le marché de Dantokpa à Cotonou au Bénin, le plus grand d’Afrique de l’Ouest (photo d’illustration). © Youri Lenquette/Jeune Afrique/2016.

Le marché de Dantokpa à Cotonou au Bénin, le plus grand d’Afrique de l’Ouest (photo d’illustration). © Youri Lenquette/Jeune Afrique/2016.

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 10 mai 2019 Lecture : 6 minutes.

Comment assombrir l’image internationale d’un pays en moins d’une semaine ? C’est l’exploit qu’a réalisé le Bénin au lendemain des élections législatives organisées le 28 avril, qui ont opposé deux partis soutenant le président Patrice Talon. Ce furent d’abord les images de manifestations, de vandalisme et de répression policière et militaire dans un quartier de la capitale économique Cotonou, aux alentours de la résidence de l’ancien président Thomas Boni Yayi. Des images de voitures et de boutiques en flammes, de jeunes qui s’attaquent à des stations d’essence, de militaires sur le pied de guerre et de véhicules blindés légers de l’infanterie quadrillant la ville.

Dans beaucoup de pays dans le monde, y compris dans ceux réputés les plus démocratiques et libres, des manifestations marquées par des destructions matérielles importantes ne sont pas rares. Mais au Bénin, cela est exceptionnel depuis plusieurs décennies. Ce qui l’est encore davantage, c’est que des épisodes de tensions politiques provoquent des morts. Au moins deux morts. Peut-être jusqu’à sept. Les communiqués des deux Conseils des ministres tenus les 1er et 8 mai n’ont donné aucun bilan officiel, ni d’ailleurs exprimé de condoléances pour les proches des victimes ou de regrets.

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Pendant plusieurs jours, les violences urbaines postélectorales ont fait partie des grands titres des médias internationaux dominants, même de chaînes anglophones. Comme d’habitude, il aura fallu des événements violents – même d’ampleur limitée – pour que beaucoup découvrent l’existence d’un pays africain où les populations vaquent au quotidien à leurs occupations depuis des décennies sans réelle crainte d’incidents graves menaçant leur sécurité, autres que les accidents de la route.

Insécurité grandissante

Mais la mauvaise semaine du Bénin ne s’est pas arrêtée aux violences postélectorales au lendemain du 28 avril. Elle s’est terminée par la disparition signalée le 1er mai de deux touristes français dans le parc naturel de la Pendjari, au nord du Bénin près de la frontière avec le Burkina Faso, et l’assassinat du citoyen béninois qui était leur guide et chauffeur. Le corps du jeune homme, du nom de Fiacre Gbédji, a été retrouvé dans le parc, et le véhicule calciné, en territoire burkinabè.

Malgré le dénouement rapide de cet épisode avec la libération par une opération militaire française des otages français et de deux autres otages (américaine et sud-coréenne) annoncée le 10 mai, l’impact médiatique international de cet évènement est encore plus dévastateur que celui des violences politiques. Il s’agissait probablement du premier acte terroriste enregistré au Bénin. L’opération militaire, conduite sur le territoire burkinabè, a fait deux morts au sein des forces françaises dans la nuit du 9 au 10 mai.

La dégradation spectaculaire de la sécurité au Burkina Faso ne pouvait qu’exposer tôt ou tard ses voisins du Sud, Bénin, Togo et Ghana

On le savait depuis quelques mois : la dégradation spectaculaire de la sécurité au Burkina Faso, victime de l’extension de la menace terroriste provenant du Mali, ne pouvait qu’exposer tôt ou tard ses voisins du Sud, Bénin, Togo et Ghana. Il serait hasardeux de chercher à établir un lien direct entre la crise postélectorale inédite et l’incident meurtrier au parc de la Pendjari. Ce dernier événement a déjà mis fin – autant le reconnaître -, à la remarquable renaissance récente de ce parc national, une des plus riches réserves animalières de la région et un atout économique majeur pour la moitié nord du Bénin.

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Des perspectives économiques assombries

La relance du secteur touristique, certes à marche forcée, est l’une des initiatives du régime de Patrice Talon, qui commençait à produire des résultats concrets. L’incident du parc n’est pas seulement un coup dur porté au tourisme. Combiné aux violences politiques inédites, l’incident sécuritaire tout aussi inédit assombrit brutalement les perspectives économiques d’un pays dont la plus grande richesse est sa réputation de stabilité politique, de fonctionnement régulier des institutions démocratiques, de sécurité et de respect des libertés publiques.

Aujourd’hui, l’opinion publique béninoise est dangereusement polarisée. D’un côté, les partisans résolus du président Talon, qui appellent au respect du résultat des législatives même avec un taux de participation officiel de 27 % et qui tiennent les adversaires politiques du président, Boni Yayi en tête, responsables des violences et du climat de tensions. Pour eux, aucune menace sérieuse ne pèserait sur la démocratie béninoise. Même si le chef de l’État, par ailleurs première fortune privée du pays, aura un contrôle quasi absolu sur toutes institutions publiques avec l’installation d’une Assemblée nationale qu’il se serait choisie.

Se taire aujourd’hui pourrait être une grave fuite de responsabilité

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De l’autre côté, les partisans des anciens chefs d’État, Boni Yayi, Nicéphore Soglo et quelques autres, porte-flambeaux de l’opposition floués, qui accusent le pouvoir actuel de tous les maux, et oublient souvent qu’ils sont coresponsables de la déliquescence des institutions politiques béninoises au cours des deux dernières décennies, et des connivences opaques et dangereuses entre acteurs politiques et entrepreneurs puissants, au premier rang desquels se trouvait Patrice Talon. Dans le brouhaha actuel, il est difficile pour des voix mesurées et non partisanes de se faire entendre. Mais se taire aujourd’hui pourrait être une grave fuite de responsabilité.

Vers une fragmentation politique et sociale

Le danger que court le Bénin n’est pas seulement de celui d’une régression des libertés publiques et d’un glissement vers un pouvoir autoritaire qui ne dit pas son nom. Le danger qui est encore plus grand est celui d’une fragmentation politique et sociale et d’un délitement de l’unité nationale qui feraient le bonheur des groupes armés terroristes à la recherche de nouveaux espaces de refuge et d’implantation. Il n’y a pas terrain de jeu plus prospère pour eux que les États fragiles, faibles, injustes et des sociétés fracturées. Les crises politiques y contribuent beaucoup. Il a fallu peu de temps pour que la sécurité d’un pays comme le Burkina Faso se détériore de manière spectaculaire et que l’image d’une extrême vulnérabilité prenne le dessus sur celle de la tranquillité.

Les gouvernants béninois feraient mieux de se ressaisir au plus vite. Ce n’est pas le moment de s’enfoncer dans une crise politique qui était largement évitable. Pour rappel, voilà à quoi ressemble aujourd’hui le voisinage régional du pays : le Burkina Faso très atteint par le terrorisme et un niveau de violences sans précédent, le Mali profondément fragile et pour longtemps, le Togo qui a peu de chances d’échapper à une nouvelle crise politique au plus tard en 2020, le Niger, entouré de menaces sécuritaires presque de tous les côtés, la Côte d’Ivoire, où la présidentielle de 2020 s’annonce très tendue. On pourrait ajouter la Guinée, et bien sûr le Nigeria qui s’est habitué à vivre avec un niveau de violences politiques structurellement élevé.

Ce n’est pas le moment de leur offrir le pays sur un plateau d’argent

Ce n’est pas dans un tel contexte qu’on s’abandonne à de petits jeux politiciens. Dans la région, nous avons des groupes qui ne jouent pas, et des hommes solidement armés qui ont horreur de la tranquillité, de la bonne humeur et de la détestation de la violence qui caractérisent le quotidien des Béninois. Ce n’est pas le moment de leur offrir le pays sur un plateau d’argent et, accessoirement de créer les conditions d’une extension du champ d’action des forces occidentales à un nouveau pays ouest-africain. Il y en a déjà beaucoup partout au Sahel.

Plusieurs acteurs politiques africains ont enfoncé résolument leurs pays dans des crises majeures et longues en prétendant défendre le respect de la loi, de la Constitution, de l’État de droit. Sûrs d’eux-mêmes, de leur bon droit et de leur intelligence supérieure, ils ont conduit leurs pays au désastre. On n’en est pas encore là au Bénin. Mais cela n’arrive pas qu’aux autres. Le temps de l’apaisement et du dialogue pour rechercher ensemble une solution politique de sortie de crise, c’est maintenant.

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