Gizenga, le monde du silence
Un an après sa nomination à la tête du gouvernement, le Premier ministre s’illustre par sa discrétion. Un effacement qui confine à l’absentéisme…
Deux étages, un grand jardin, une piscine. Un an après son premier Conseil des ministres, le 11 mars 2007, le chef du gouvernement Antoine Gizenga vient tout juste d’emménager dans sa résidence officielle. Enfin. Située dans la commune de Kintambo, à l’ouest de Kinshasa, sa nouvelle maison le rapproche un peu plus du quartier de la Gombe (nord) où se trouve la primature. Auparavant, le Premier ministre logeait sur la 12e Rue, à Limete (est de la capitale). Chaque matin, il devait parcourir 10 kilomètres pour rejoindre son bureau. Dans une ville où la plupart des avenues sont défoncées, un tel trajet peut s’avérer difficile. Un ancien voisin se souvient : « Tous les jours, trente minutes avant que Gizenga ne quitte son domicile, ses partisans bloquaient la circulation et s’alignaient le long du boulevard Lumumba pour assurer sa sécurité. Un véritable abus ! » Il faut dire qu’aujourd’hui encore il n’est pas rare de voir, au passage du cortège, des badauds lever trois doigts en criant : « Trois heures ! » C’est le temps, croient-ils savoir, que le Premier ministre, 83 ans, passe quotidiennement à la primature.
« MANQUE DE LEADERSHIP »
Depuis un an, le rituel est le même. Antoine Gizenga, à bord d’une Mercedes 350 S noire – après avoir roulé successivement dans une vieille Mercedes 200 appartenant, dit-on, à l’un de ses neveux, puis en 4×4 Lexus, « don » du président Joseph Kabila – arrive à son bureau à 8 h 45. Un détachement de l’armée lui rend les honneurs. Le chef du gouvernement monte ensuite au premier étage. Sont déjà présents sa secrétaire particulière sur Marie Kafufu, et, bien sûr, son bras droit Godefroid Mayobo, « ministre près le Premier ministre ». Vers 13 h 30, Gizenga redescend. Pour la deuxième fois de la journée, il reçoit les honneurs militaires. Son cortège s’ébranle ensuite vers sa résidence.
Un rythme de travail qui fait dire à la majorité des Congolais qu’Antoine Gizenga, dont la nomination avait suscité beaucoup d’espoirs, n’est pas tout à fait à son affaire – et c’est un euphémisme. Plus grave, beaucoup lui reprochent son silence assourdissant sur les dossiers brûlants du pays. La crise dans le Kivu ? Pas un mot. Les troubles dans le Bas-Congo ? Rien. Les différends frontaliers avec l’Angola et l’Ouganda ? Pas plus. Mais c’est à l’occasion de la Conférence sur la paix, la stabilité et le développement dans les provinces du Kivu organisée à Goma (Nord-Kivu) en janvier dernier que ses compatriotes se sont montrés le plus virulents. Unanimement, les participants ont attribué tous les problèmes du pays à un « manque de leadership ». Une façon de dire qu’ils ne se sentent pas du tout gouvernés. De fait, nombreux sont ceux qui pensent que le Premier ministre, dont la probité n’a jamais été remise en cause, est davantage une icône du passé qu’un chef de gouvernement apte à insuffler à la République démocratique du Congo le dynamisme dont elle a besoin pour se redresser.
FRACTURE EST-OUEST
Poids des ans ? Dans le camp du Parti lumumbiste unifié (Palu), le mouvement politique de Gizenga, ces critiques relève de la « mauvaise foi ». « On ne peut pas attendre d’un homme de son âge des résultats qu’on exigerait de quelqu’un de plus jeune, déclare un cadre de la primature. S’il a été nommé Premier ministre, c’est pour de bonnes raisons. Il devait réduire la fracture Est-Ouest et être la caution morale du chef de l’État en rendant le gouvernement crédible. C’est un homme de principes, il a une vision morale de la politique. » Et son effacement permanent ? « S’il ne parle pas, c’est parce que, selon lui, la compétence des hommes politiques ne se résume pas aux discours, affirme le même cadre. Plutôt que de faire de fausses promesses qui le feraient passer pour un menteur, il préfère garder le silence. Et travailler. »
Même son de cloche du côté du ministère du Budget, dirigé par Adolphe Muzito (Palu), rompu à l’art de la dialectique : « Il est vrai que le Premier ministre est âgé, reconnaît-il. Mais son grand âge est un atout, car il est synonyme de discipline, d’orthodoxie, de désintéressement. Il incarne une certaine éthique. Ceux qui critiquent le chef du gouvernement n’ont aucun sens de l’Histoire, aucun instrument d’évaluation économique et sociale, aucune culture quantitative. On nous demande l’impossible en un an. » Pour Muzito, Gizenga est parvenu à renflouer les caisses de l’État. Le budget 2008, évalué à 3,3 milliards de dollars, est assuré pour les deux tiers par les ressources internes. Une goutte d’eau pour un pays de la taille de la RD Congo. « Nous avons fait mieux que nos prédécesseurs », se défend le ministre du Budget. « Sans doute, réplique un professeur de l’université de Kinshasa, ancien ministre de Laurent-Désiré Kabila. Mais, concrètement, cela n’a eu aucun impact sur le niveau de vie de la population ni sur le développement. Cet argent sert uniquement à augmenter les salaires du personnel politique. » Et d’évoquer un taux d’inflation de 16 % au lieu des 10 % annoncés, la dépréciation du franc congolais par rapport au dollar et le dérapage financier enregistré à la fin de l’année dernière. « On a l’impression que les ministres passent leur temps à organiser des séminaires d’évaluation », ironise l’universitaire.
MARIAGE ÉTERNEL
Pour un militant du Palu, les critiques dont fait l’objet l’équipe de Gizenga seraient simplement dues au fait que les chefs de parti « n’ont pas envoyé leurs meilleurs hommes au gouvernement ». Godefroid Mayobo, l’homme qui assure le relais entre la primature et la présidence, reste convaincu du contraire. « Les ministres sont compétents. Et pleinement responsables de leurs départements. Nous privilégions l’essentiel. Qui doit faire quoi. Et qui a la meilleure idée. » Certains de ses collègues, titulaires de portefeuilles importants, se plaignent pourtant de n’avoir rencontré le Premier ministre que deux fois en un an. Résultat, les dossiers sont traités au ralenti ou n’aboutissent pas. Dernier ratage en date, le report sine die de la campagne de sensibilisation censée convaincre les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) de retourner dans leur pays. D’où la colère des hommes en uniforme. « Personne dans ce pays n’a assez de vision pour comprendre que les questions sécuritaires sont prioritaires », grogne un officier de l’armée. Un flottement qui, pour certains, peut se révéler dangereux. « Des individus à la lisière des institutions profitent de ce vide pour s’arroger des pouvoirs », s’alarme un ministre.
Au sein de la majorité présidentielle, Gizenga exaspère. D’aucuns l’accusent de « surcharger Kabila, qui supplée à ses carences ». Mais le chef de l’État n’est pas prêt à s’en séparer. Quitte à provoquer une crise politique. Pour Adolphe Muzito, c’est clair : « Le mariage entre les deux hommes est éternel. Ils ont mené le même combat pour la libération du peuple et continuent à se battre pour la même cause. » Qui dit mieux ?
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