France : le tabou de la rigueur

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

«C’est à la majorité de tirer les conséquences d’une élection qui, pour être locale, n’en a pas moins une incontestable dimension politique. » Qui a dit cela ? Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, après le raz-de-marée de la gauche aux élections régionales et cantonales de mars 2004. Il arrive que l’Histoire repasse les plats. Silencieux jusqu’ici sur l’ampleur de la nouvelle défaite de la droite, le chef de l’État en a apparemment tiré des leçons. Pour lui-même tout d’abord et son style présidentiel, d’une facture subitement plus « régalienne ». Moins de proximité, plus de hauteur
Pour n’être pas moins clairs, les enseignements politiques seront plus difficiles à appliquer, car ils sont essentiellement économiques et sociaux. Le candidat Sarkozy avait construit sa victoire sur sa volonté de rupture avec la France de Jacques Chirac. Or la principale différence d’hier à aujourd’hui est que la France va encore plus mal. Alors que ses concurrents de la zone euro s’obligent à progresser dans tous les domaines pour mieux surmonter la dépression partie des États-Unis, elle continue d’accumuler les records négatifs : l’économie la moins compétitive ; les dépenses les plus élevées, où la dette publique, supérieure à 1 000 milliards d’euros, occupe désormais la seconde place après l’enseignement scolaire ; des prélèvements obligatoires parmi les plus lourds ; un retour à l’équilibre de la sécurité sociale repoussé de 2007 à 2012 ; une innovation tombée au 11e rang mondial, alors que l’accélération technologique et le développement des industries de la connaissance font la différence de croissance entre les pays Autant de chiffres qui assombrissent l’avenir économique.
Quant au climat social, on en jugera à ce seul constat : le moral des ménages est tombé à son niveau le plus bas depuis la création de cette référence statistique, il y a vingt ans. Et la déprime s’est progressivement étendue aux classes moyennes.
Face à cette crise de société qui vient de le faire trébucher neuf mois seulement après l’avoir fait élire, Sarkozy juge qu’il faut maintenir pour tenir. Et son plus proche ministre, Brice Hortefeux, d’enfoncer le clou : « Les réformes devront aller plus vite, plus fort et plus loin. » Avec des accents mitterrandiens qui ne désarmeront pas l’hostilité d’une gauche revigorée, François Fillon réclame « le bénéfice du temps » pour des mesures qui « seront lentes à produire leurs effets » – en clair, qui entraîneront des sacrifices avant de rapporter de la croissance. Bien que les sondages affirment avec un bel ensemble – trop beau, peut-être, pour être durablement vrai – que les Français sont devenus et demeurent réformistes, on vérifie tous les jours la difficulté de tout changement dans un pays où le corporatisme des droits sociaux, garantis par autant de statuts particuliers, « sape les mécanismes de solidarité », selon l’analyse des sociologues Yann Algan et Pierre Cahuc.
Comme tous les dirigeants de gauche ou de droite, Sarkozy garde un souvenir cauchemardesque de la capitulation d’Alain Juppé après un mois de paralysie des services publics, en 1995. Son gouvernement a plutôt donné l’exemple jusqu’ici de la prudence que de l’audace, dénonçant la « gaffe » de Christine Lagarde, qui avait osé annoncer un plan de rigueur limité cependant à la fonction publique, puis démentant véhémentement les rumeurs d’un programme d’austérité lancées par le PS au cur de la campagne municipale. Rigueur, austérité : ce sont autant de mots tabous en politique depuis qu’ils furent fatals à Raymond Barre, il y a trente ans. Sarkozy lui-même, parti à la rencontre de pêcheurs « en colère » avec un chèque de 1 million d’euros, est rentré à Paris après leur avoir lâché le triple. Les caisses, pourtant, étaient déjà vides. Bien avant lui, Fillon en avait fait l’aveu méritoire en répliquant à des agriculteurs corses qui lui réclamaient de nouvelles subventions : « Je suis à la tête d’un État en situation de faillite. »
Confronté à la montée prévisible de nouvelles revendications légitimées par la sanction électorale, soutenues par une opposition aux aguets, entretenues par des syndicats en mal de revanche, comment le Premier ministre répondra-t-il demain au surcroît d’attentes d’une opinion où les impatiences révélées par les sondages s’ajouteront longtemps encore aux mécontentements défoulés dans les votes ?

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