Cameroun : «hormis la séparation et la sécession», Yaoundé se dit prêt à dialoguer
Face aux pressions internationales, le président Paul Biya se dit prêt à organiser un dialogue pour résoudre la crise anglophone au Cameroun. Une ouverture tranchant avec l’intransigeance affichée jusque-là par Yaoundé, qui exclut cependant toujours toute discussion sur la partition du pays comme le prônent les séparatistes.
« Le président m’envoie dire aux populations du Nord-ouest que, hormis la séparation et la sécession, tout sujet politique peut être discuté et il se prépare à le faire », a annoncé le Premier ministre Joseph Dion Ngute, en tournée dans les régions anglophones depuis jeudi où il est arrivé, une branche de Fekeng, l’arbre de la paix camerounais, à la main.
Le président est « en train d’organiser des rencontres » dans le cadre de ce dialogue, a révélé Joseph Dion Ngute, sans en préciser les contours ni l’agenda.
De son côté, depuis trois semaines, Paul Biya multiplie les déclarations sur Twitter, appelant à l’unité et à la paix.
« Depuis le début de la crise, c’est la première fois que Yaoundé se déclare aussi directement ouvert au dialogue », souligne Hans de Marie Heungoup, chercheur à l’International Crisis Group (ICG) sur l’Afrique centrale.
Les déclarations de Yaoundé interviennent alors que les pressions internationale exercées sur le pouvoir camerounais se sont intensifiées ces derniers mois.
Début février, par exemple, les États-Unis ont mis un terme à plusieurs programmes d’aide militaire et sécuritaire. De son côté, le Parlement européen a adopté mi-avril une résolution invitant les autorités camerounaises à « mettre un terme » de façon urgente « aux violences ».
« Gagner du temps »
Lundi, une « réunion informelle » du conseil de sécurité de l’ONU sur la situation humanitaire au Cameroun doit se tenir à New-York.
« Il est possible que le président Paul Biya essaie de gagner du temps auprès de la communauté internationale », estime le chercheur de l’ICG. Cette ouverture « envoie un signal positif à ceux qui seront assis autour de la table et qui seront alors peut-être moins durs vis-à-vis du gouvernement ».
Bien qu’excluant toute discussion sur une possible indépendance des régions anglophones, le président se dit prêt « à discuter de tout ».
« Cela inclut alors de parler du régionalisme, du fédéralisme, voire de la confédération », souligne Hans de Marie Heungoup.
« Le discours du Premier ministre peut s’avérer apaisant », estime, quant à lui, Blaise Chamango, acteur de la société civile établi à Buea, chef-lieu du Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones. Surtout que « la sécession n’a jamais été l’agenda premier des anglophones », selon lui.
La crise, qui a déjà contraint 530 000 personnes à fuir leur domicile, a commencé en novembre 2016, avec essentiellement des revendications d’enseignants ou de juristes, réclamant plus de représentativité anglophone.
Les leaders de la contestation demandaient en majorité un retour au fédéralisme et, pour une minorité, l’indépendance et la proclamation d’un nouvel État, l’Ambazonie.
« Des mots encourageants »
Mais face à l’intransigeance de Yaoundé et à la répression des manifestations pacifiques, le conflit s’est durci. Fin 2017, une partie des séparatistes ont pris les armes contre Yaoundé.
Depuis, des combats opposent presque quotidiennement l’armée, déployée en nombre, à des groupes épars de séparatistes armés cachés dans la forêt.
« J’invite tous les Camerounais épris de paix à prendre part au dialogue », a déclaré lors de sa visite le Premier ministre. « Je suis venu ici pour demander aux jeunes de sortir (de la brousse) pour un retour à une vie normale ».
Des « mots encourageants » à prendre avec précaution, selon Hans de Marie Heungoup. « Par le passé, le pouvoir a pu montrer des signes d’ouverture, avant de reprendre des positions encore plus conservatrices ».
Pour trouver une sortie de crise, « il faut plus que des mots, il faut des actions concrètes », souligne-t-il.
En juillet 2018, des responsables religieux anglophones ont annoncé un projet de conférence générale anglophone. Mais face à l’opposition du pouvoir, les organisateurs ont dû la repousser deux fois.
« Pourquoi ne pas autoriser sa tenue ? », suggère le chercheur.
« Trouver un interlocuteur crédible »
Si dialogue il y a, il sera difficile de trouver « un interlocuteur crédible capable à la fois de négocier avec le gouvernement et d’être suivi par les combattants séparatistes », estime de son côté un acteur de la société civile sur place.
Pour lui, Julius Ayuk Tabe, président autoproclamé de l’Ambazonie, écroué à Yaoundé et poursuivi notamment pour sécession et terrorisme, paraît avoir le meilleur profil pour jouer ce rôle d’interlocuteur car il « est respecté et écouté ».
Julius Ayuk Tabe se dit disposé à négocier avec Yaoundé mais pose comme préalable sa libération et celle tous les autres détenus de la crise anglophone, selon un de ses avocats, Me Christopher Ndong.
Plus largement, les sécessionnistes devront être associés au dialogue, estime le chercheur de l’ICG « même si ce n’est que pour parler du fédéralisme ». « Car ce sont eux qu’écoutent les 4000 combattants sur le terrain, pas les chefs traditionnels, les parlementaires ou les élus locaux ».
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