Des couleurs, mais bien pâles

À l’issue des élections des 9 et 16 mars, quelque 2 000 représentants des « minorités visibles » font leur entrée dans les assemblées communales. Sur 520 000 élus, c’est peu !

Publié le 25 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Un petit tour, et puis s’en vont. Au lendemain du second tour des élections municipales et cantonales du 16 mars, force est de constater que les institutions politiques sont encore loin de refléter la diversité de la société française d’aujourd’hui. Une nouvelle fois, les candidats issus des minorités dites « visibles » ont été les parents pauvres du scrutin. À la veille du premier tour, le Conseil représentatif des associations noires (Cran) avait recensé, dans les 900 villes de plus de 10 000 habitants, 129 têtes de liste issues de leurs rangs – tous partis confondus. Or 3 seulement ont accédé à la direction d’une assemblée communale !
Sans surprise, Rachida Dati, garde des Sceaux et candidate de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), s’est imposée dans le très chic 7e arrondissement de Paris (57,7 % des suffrages). Deux autres belles performances sont à mettre au crédit de la socialiste Samia Ghali, dans le 8e secteur de Marseille, et du radical de gauche (PRG) Eddie Aït, soutenu par le PS, à Carrière-sous-Poissy (13 000 habitants), dans le département des Yvelines. L’une et l’autre ont triomphé dès le premier tour, le 9 mars.

UN ÉLU NOMMÉ SENGHOR

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Quelques candidats originaires du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne l’ont également emporté dans des communes de moins de 10 000 habitants. C’est le cas d’Auguste Senghor, neveu de l’ancien président sénégalais et candidat sans étiquette à Saint-Briac-sur-Mer, en Bretagne. Bref, les exécutifs municipaux (pas encore constitués à l’heure où ces lignes sont écrites) pourraient prendre quelques couleurs. Bien pâles, sans doute, mais c’est mieux que rien. Seybah Dagoma, tête de liste socialiste dans le 1er arrondissement de Paris (elle améliore de plus de quatre points le score de son parti en 2001), et Najat Vallaud-Belkacem, élue sur la liste présentée par le PS dans le 3e secteur à Lyon, paraissaient en bonne position pour décrocher des postes d’adjoint dans les mairies centrales de leurs villes respectives.
« Il ne s’agit que de quelques arbres qui cachent la forêt, proteste Patrick Lozès, le président du Cran. Sur les quelque 520 000 sièges de conseillers municipaux, 2 000 seulement devraient revenir à des Français issus de la diversité, soit à peine 0,4 %. » Or 10 %, au moins, de la population française est constituée de Noirs, d’Asiatiques ou d’Arabo-Berbères, rappelle encore le Cran.
L’UMP explique le faible nombre de ses élus issus de la diversité par sa défaite électorale, ce qui n’est ni totalement faux ni pleinement convaincant. Au PS, la direction s’en tient sur la question à un silence prudent – sinon gêné. Mais les militants d’origine immigrée ne cachent pas leur déception. « D’après les premiers décomptes, nous devrions avoir entre 600 et 900 conseillers municipaux, explique l’un d’eux. Vu l’ampleur de la vague rose, c’est très insuffisant. Cela montre tout simplement que le parti rechigne à s’ouvrir sur la société. »
Les associations ne disent pas autre chose. Si les candidats de la diversité ont du mal à se faire élire, c’est avant tout en raison de la « précarisation » que leur imposent les appareils de leurs partis respectifs : investitures parcimonieuses, le plus souvent dans des circonscriptions difficiles, changements de circonscription d’une consultation à l’autre, etc. Le plus sûr moyen de se faire élire est encore de se présenter « sans étiquette », estime le Cran, qui a recensé une quarantaine de candidatures de ce type dans les villes de plus de 10 000 habitants.
Dans ces mêmes villes, l’UMP n’a présenté que seize têtes de liste issues de l’immigration ; le Mouvement démocrate (Modem), une trentaine ; et le PS, vingt. Chez les socialistes, la donne était encore compliquée par la proximité du prochain congrès (à l’automne, sans doute), à l’issue duquel sera élu un nouveau premier secrétaire. Affaiblie et dans l’expectative, la direction nationale a préféré ménager les puissantes « baronnies » locales plutôt que de promouvoir des petits nouveaux. Quoi qu’il en soit, le premier tour de scrutin a amplement confirmé la thèse selon laquelle les têtes de listes « colorées » restent cantonnées à des rôles de figuration.

PAS RACISTES, FRILEUX

À l’UMP, seules huit d’entre elles ont réussi à se maintenir au second : Rachida Dati et Linda Asmani, dans les 7e et 10e arrondissements de Paris ; Karim Boudjema, à Rennes ; Rachid Kaci, à Nanterre ; Nouredine Nachite, à Creil ; Nora Berra, dans le 8e secteur de Lyon ; Fayçal Menia, à Aubervilliers ; et Kamel Hamza, à La Courneuve.
Au PS, elles ne sont que trois : Seybah Dagoma, on l’a vu, à Paris, Hussein Moktari, à Garges-lès-Gonesse, et Rachid Mammeri à Évreux. Toutes les autres têtes de liste ont mordu la poussière dès le 9 mars, réalisant souvent des scores médiocres. À Montreuil et à Vitry-sur-Seine, les UMP Aminata Konaté et Six-Emmanuel Njoh ont eu le plus grand mal à dépasser la barre des 9 %, tandis qu’à Orly le socialiste Razzy Hammadi a plafonné à 13,3 %. « Inutile de se bercer d’illusions, l’émergence d’une vraie représentation des Français issus de l’immigration prendra du temps, non parce que les partis sont racistes, mais parce qu’ils sont plus frileux que leur électorat. Ils ont beaucoup de mal à proposer de nouveaux schémas », commentait Vincent Tiberj, chercheur au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof), avant le scrutin (voir J.A. n° 2456).
Prenant argument de l’importance du taux d’abstention (35 % au second tour), certaines voix dénoncent le danger que ferait peser sur la vie démocratique la sous-représentation des Français issus de l’immigration. Faute de se reconnaître dans les candidats présentés par les partis, les électeurs verraient de moins en moins l’intérêt de se rendre aux urnes « Ce n’est pas parce qu’un candidat est parachuté dans une commune de banlieue quelques semaines avant le scrutin qu’il a la moindre chance de l’emporter. Les Français d’origine étrangère ne votent pas en fonction de la couleur de leur peau ! » s’insurge encore Lozès.
Pour les prochaines consultations, le Cran suggère au contraire de donner aux candidats des minorités visibles un « droit de suite » dans les circonscriptions où ils ont été investis cette année. Pour leur permettre, bien sûr, de s’y implanter durablement. Il faut savoir que, lors des législatives du mois de juin, une dizaine de candidats « colorés » avaient été investis par le PS, l’UMP, le PRG et le Parti communiste et avaient recueilli plus de 40 % des voix. Or aucun n’a été reconduit pour les municipales !

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