Un nouvel état d’esprit

Le chef de l’État entend appliquer leprogramme pour lequel il a été porté au pouvoir.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 2 minutes.

Depuis la défaite de Daniel arap Moi à l’élection présidentielle du 27 décembre 2002, et la victoire du chef de file de la coalition arc-en-ciel Mwai Kibaki, les Kényans sont unbwogable ! Comment ? Pourriez-vous traduire s’il vous plaît ? Difficile : le mot n’existe dans aucun dictionnaire, alors qu’on le met à toutes les sauces dans la conversation, de Nairobi à Mombasa. Sa naissance remonte à l’année dernière. Ses géniteurs sont un duo de rappeurs kényans, Joseph Ogidi et Jahd Adonnihah, connus sous le nom de GidiGidi et MajiMaji, auteurs d’une chanson intitulée « Who can bwogo me ? ». Unbwogable est un mélange de luo, l’une des principales langues parlées au Kenya, et d’anglais. Bwogo signifiant « la peur », on peut traduire approximativement unbwogable par « inébranlable », « brave », « intrépide », sans tout à fait en rendre la saveur.
Si nos deux rappeurs n’ont pas souhaité écrire une chanson politique, celle-ci est devenue au cours de la campagne électorale le cri de ralliement des supporteurs de la coalition arc-en-ciel. Elle a été diffusée et chantée à tue-tête dans les meetings de l’ex-opposition. Les tee-shirts « Je suis unbwogable » se sont multipliés. Dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de sa prestation de serment, Mwai Kibaki a fait une allusion à peine voilée à la chanson en tête du hit-parade national : « Aujourd’hui, nous sommes tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, Kényans de toutes ethnies et de toutes races, embarqués pour un futur riche de promesses, poussés par une détermination inébranlable. »
Le nouveau gouvernement s’est très vite attelé à la tâche pour traduire dans les faits cet état d’esprit unbwogable de la population. Les terres appartenant à l’État qui avaient été distribuées aux membres de l’ancien régime ont été récupérées par Kibaki. Dont en particulier une grande parcelle de forêt que l’ancien ministre Nicholas Biwott, symbole des errements de l’époque arap Moi, avait mise de côté comme mémorial en l’honneur de sa mère. La nouvelle équipe au pouvoir a aussi saisi le gratte-ciel dont la Kenya African National Union (Kanu) avait fait sont siège particulier. À grand renfort de pompe médiatique, la Nyayo House, où de nombreux opposants furent torturés – dont l’actuel ministre des Transports et de l’Immobilier, Raila Odinga -, a été ouverte et présentée au public. À cette occasion et comme pour donner des gages à la politique de transparence que le gouvernement entend désormais faire sienne, Raila Odinga devait également évoquer la perspective de mettre en place une commission Vérité et Réconciliation.
Unbwogable, le ministre du Tourisme et de l’Information Raphael Tuju l’est aussi : il vient de refuser une autorisation de diffusion accordée à sa propre firme, arguant d’un conflit d’intérêt.
L’objectif politique poursuivi est clair : rassurer le Fonds monétaire international et les autres institutions financières pour qu’elles mettent la main au tiroir-caisse. Bref, les rendre unbwogable aussi, comme le vice-président de la Banque mondiale pour la région Afrique, Callisto Madavo, qui a été « frappé par les changements au Kenya et tout ce qui devient possible ».
Dernièrement, exprimant l’état d’esprit du pays après sa première alternance politique depuis 39 ans, Mwai Kibaki, fana de jazz, a cité la chanson rap sans faire de chichis : « Nous sommes unbwogable. Rien ne nous arrêtera. »

© The New York Times et J.A./l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires