BRICS : tous pour un, mais lequel ?
S’estimant mal représentés dans les institutions de Bretton Woods, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont créé leur propre banque de développement. Mais fort de son poids économique, Pékin pourrait bien faire la pluie et le beau temps dans cette alliance inégale.
En créant le 15 juillet à Fortaleza (Brésil), leur propre banque de développement et un nouveau fonds de réserve de change, les pays rassemblés sous le sigle Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont-ils mis en place deux parades « contre les diktats de l’Occident », comme le proclame la radio d’État La Voix de la Russie ? Ou amorcé « une reconfiguration de la gouvernance économique mondiale », comme l’a déclaré Dilma Rousseff, la présidente brésilienne ?
Lire aussi >>>> Brésil-Afrique : retour à la case-départ ?
Sur le papier, le dispositif est impressionnant. Les 50 milliards de dollars (37,2 milliards d’euros) – à terme 100 milliards – de capital de la banque, qui sera opérationnelle en 2016, serviront à financer les infrastructures des cinq États fondateurs, puis celles des pays du Sud qui les rejoindront. L’institution aura son siège à Shanghai et son premier président, désigné pour cinq ans, sera indien.
La création de ces nouvelles institutions traduit d’abord la mauvaise humeur de ces pays qui représentent 19,8 % de la richesse mondiale.
Le fonds, lui, est destiné à protéger les monnaies des États fondateurs contre les fuites de capitaux. Dès 2015, il sera doté de 100 milliards de dollars : 41 milliards apportés par la Chine, 18 milliards à égalité par l’Inde, le Brésil et la Russie, et 5 milliards par l’Afrique du Sud.
Motifs
La création de ces nouvelles institutions traduit d’abord la mauvaise humeur de ces pays qui représentent 41,6 % de la population de la planète, 19,8 % de sa richesse et 17 % des échanges mondiaux. Ils s’estiment en effet mal représentés dans les deux institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et surtout le Fonds monétaire international (FMI).
Dans ce dernier, la Chine, deuxième puissance économique de la planète, détient à peine plus de droits de vote que l’Italie, qui ne figure qu’à la neuvième place mondiale. Les États-Unis bloquent toujours la mise en oeuvre de la réforme de 2010, qui redistribue les quotes-parts des pays dans le fonds, et aurait dû porter la Chine du neuvième au troisième rang des actionnaires derrière les États-Unis et le Japon, et augmenter le poids de l’Inde, qui passerait ainsi du treizième au huitième rang.
>>>>> Voir également : la grogne contre le dollar prend de l’ampleur
La deuxième raison d’être de la nouvelle banque est de financer les énormes besoins en infrastructures des pays en développement. Ni la Banque mondiale ni les quatre banques régionales de développement (pour l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et l’Europe orientale), pourtant dotées chacune d’un capital de 100 milliards de dollars, n’y suffisent.
Ingérence
Enfin, les Brics en avaient assez des conditions posées à l’octroi des aides et des prêts de la Banque mondiale et du FMI. Que ceux-ci exigent, pour débloquer des fonds, des réformes institutionnelles, une réduction des effectifs des fonctionnaires ou la privatisation d’entreprises publiques est considéré par Anton Silouanov, ministre des Finances russe, comme une « ingérence intolérable ». De son côté, Cristina Kirchner, la présidente argentine qui était invitée au sommet de Fortaleza, les accuse de « compliquer la vie des peuples au lieu d’apporter des solutions ».
>>>> Lire aussi : La Chine va lancer un fonds d’investissement multilatéral dédié à l’Afrique
Sur le fond, on ne peut que se réjouir de voir des pays, qui accumulaient des réserves de change importantes (4 000 milliards de dollars dans le cas de la Chine) pour se prémunir contre des mouvements erratiques de capitaux, commencer à mettre en commun leurs moyens de protection, et les destiner à financer des investissements.
En outre, il faut espérer que le risque d’une concurrence entre les institutions financières des Brics et celles de Bretton Woods convaincra le Congrès américain de voter enfin – comme la Maison Blanche le pousse à le faire avant la fin de cette année – la réforme de 2010, afin de rendre le FMI plus représentatif de l’économie mondiale et préserver le multilatéralisme.
>>>>> Cheese ! Retour sur un sommet États-Unis-Afrique très économique
Beaucoup d’investitudes
Mais, au-delà du coup d’éclat politique, on s’aperçoit pourtant que ce projet comporte beaucoup d’incertitudes. Tandis que l’Amérique latine avait été incapable de bâtir la « Banque du Sud » rêvée par feu Hugo Chávez, alors président du Venezuela, les Brics parviendront-ils à coopérer, sachant que leur taille, leur richesse et leurs intérêts sont très différents ? Martin Wermelinger, économiste au Centre de développement de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), note que « la productivité chinoise progresse de 10 % par an », alors que « celle du Brésil est devenue négative ».
La Chine, qui affiche une croissance de 7,5 % cette année, acceptera-t-elle de soutenir indéfiniment son allié sud-américain en dépit de ce handicap, qui contribuera à limiter la croissance brésilienne à 1 % en 2014 ? Fort de son poids économique, Pékin ne va-t-il pas faire la pluie et le beau temps dans cette alliance inégale ?
D’autre part, les 100 milliards de dollars de réserves de change annoncés semblent en fait bien modestes pour affronter les tempêtes monétaires : à lui seul, le sauvetage de la Grèce coûtera pratiquement le double !
Et rien que pour améliorer la situation énergétique de l’Afrique et assurer son décollage économique, l’Union africaine a estimé qu’il faudrait investir 200 milliards de dollars. Enfin, vouloir assouplir les conditions d’attribution des prêts est une chose, mais quand les Brics devront lever des capitaux sur les marchés mondiaux, les investisseurs pourraient considérer que la banque et le fonds qu’ils ont créés ne méritent pas la note d’excellence « AAA ». Les taux d’intérêt qu’ils devront consentir seraient en conséquence plus élevés que ceux obtenus par la Banque mondiale…
>>>> Lire aussi : Le FMI met en garde les pays africains sur les risques de la dette souveraine
Alors, les institutions qui ont vu le jour à Fortaleza seront-elles concurrentes ou complémentaires de celles de Bretton Woods ? « Complémentaires ! » répond Amadou Kane, ancien ministre des Finances du Sénégal et président du cabinet de conseil AK Associates. « Tout ce qui peut contribuer à financer les pays en développement est bienvenu, dit-il, mais la nouvelle banque ne doit pas limiter son action à ses cinq pays fondateurs. »
« Complémentaires », renchérit Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, qui a proposé à Dilma Rousseff de travailler avec elle pour « renforcer les filets de sécurité destinés à garantir la stabilité financière mondiale ».
« Complémentaires », affirme en retour la présidente brésilienne qui « ne veut pas s’éloigner du FMI » et assure que les futures institutions seront aussi bien gérées que leurs homologues de Bretton Woods. Les faits seront juges.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Économie & Entreprises
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique et cible des producteurs ...
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT
- Aérien : pourquoi se déplacer en Afrique coûte-t-il si cher ?
- Côte d’Ivoire : pour booster ses réseaux de transports, Abidjan a un plan
- La stratégie de Teyliom pour redessiner Abidjan