Un juste : Benyoucef Ben Khedda

Publié le 25 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Deuxième président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), celui qui aura, le 3 juillet 1962, la joie de proclamer l’indépendance, Benyoucef Ben Khedda, vient de mourir, à Alger, ce 4 février, dans une quasi-indifférence un peu imméritée, mais bien représentative, à sa manière, de ces parcours heurtés que connurent la plupart des artisans de la révolution algérienne.
Né le 23 février 1920 à Berrouaghia, puis installé comme pharmacien à Blida, il n’a pas 20 ans quand il adhère clandestinement, durant la Seconde Guerre mondiale, au Parti populaire algérien (PPA) de Messali Hadj. Et il y milite si activement qu’il est arrêté, dès 1943, pour propagande contre la mobilisation des musulmans décidée par le gouverneur général Peyrouton : ce qui lui vaudra huit mois de prison sans jugement.
En 1947, lorsque le PPA, interdit, se transforme en Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), Ben Khedda, qui collabore déjà à l’organe du parti La Nation algérienne (plus tard Algérie libre), est élu membre de son Comité central avant d’en devenir, en 1951, le secrétaire général. Il se trouve donc en première ligne, en août 1954, quand se consomme la rupture entre Messali (et les siens), critiqué par le Comité central tant pour ses méthodes autoritaires que pour son refus de l’action violente, et ceux – dont Ben Khedda – qu’on nommera « centralistes ». Mais les uns et les autres se trouvent court-circuités par la décision d’engager la lutte armée due à quelques militants de l’ex-Organisation spéciale (OS) du MTLD, réunis en un Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), comprenant notamment Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi et Belkacem Krim, en liaison avec la « délégation extérieure » d’Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khider, installée au Caire.
Le 1er novembre 1954, l’insurrection déclenchée par ce qui est désormais le Front de libération nationale (FLN) bouleverse donc brusquement la donne et vaut à Ben Khedda d’être arrêté une nouvelle fois (avec d’autres cadres du MTLD), bien qu’il ne soit pour rien dans l’événement.
La situation se clarifiera l’année suivante avec l’unité retrouvée du camp nationaliste, à l’exclusion des messalistes. Libéré en avril 1955, Ben Khedda ne tarde pas à rejoindre le FLN avec ses camarades centralistes, notamment Saad Dahlab. Tout de même que Ferhat Abbas et ses amis « modérés » de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), finalement ralliés à la seule solution du combat par les armes. Et cela, dans un contexte marqué par le piratage, en octobre 1956, de l’avion de Ben Bella et de ses compagnons (dits « les Cinq ») : d’où une mise entre parenthèses qui pèsera lourd par la suite.
On ne s’étendra pas sur les diverses fonctions assumées alors successivement par Ben Khedda (de l’organisation de la Zone autonome d’Alger à une mission londonienne), sinon pour relever qu’elles confirmeront à la fois ses capacités intellectuelles et sa stature morale. Nul ne lui reprochera jamais petits calculs, coups bas ou manoeuvres indignes en un temps où ils ne manquèrent pas.
Ainsi apparaît moins surprenante son accession à la présidence du GPRA, le 27 août 1961. En septembre 1958 avait été créé cet organisme, présidé d’abord par Ferhat Abbas et dont Ben Khedda sera, durant quinze mois, ministre des Affaires sociales. Et si celui-ci remplace, en 1961, l’ancien président de l’UDMA, c’est à la suite d’une double crise : d’une part entre les centralistes et Ferhat Abbas à qui ils reprochent ses hésitations ; d’autre part entre le GPRA et l’état-major de « l’armée des frontières », dirigée par l’ambitieux colonel Houari Boumedienne, mais qui reste encore à usage intérieur.
La petite histoire a ses ironies : la première fois que j’allai voir, à Tunis, Ben Khedda, nouveau président du GPRA, c’est muni d’un mot de recommandation de Ben Bella – ce qui eût été quelques mois plus tard bien moins recommandable. Mais pour l’heure, interné au château de Turquant avec Mohamed Khider et Hocine Aït Ahmed, « B.B. », dans le contexte des négociations qui venaient discrètement de s’ouvrir avec la France, avait vu s’améliorer ses conditions de détention et reçu notamment l’autorisation de m’accueillir. Encore à la recherche de son rôle, il ne voyait pas d’un mauvais oeil, semble-t-il, la nomination de Ben Khedda.
Ainsi découvris-je un homme ouvert, qui conservait une certaine réserve, chaleureux sans excès, derrière ses fines lunettes d’intellectuel, mais très intéressé par l’évolution de l’opinion française et le rôle de ceux, dont j’étais, qui avaient fait leur le combat de l’Algérie pour son indépendance. Pour notre part, sans ignorer les tensions internes du FLN, nous ne soupçonnions pas l’ampleur de la crise qui, au lendemain des accords d’Évian (19 mars 1962), allait faire éclater le GPRA. Pris entre ce qu’on appellera le « groupe de Tlemcen » (dont Ben Bella est la tête politique et Boumedienne le bras armé) et le « groupe de Tizi-Ouzou » (avec Krim et Boudiaf)… chacun étant appuyé par quelques wilayas, tandis que les commandos « pieds-noirs » de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) multiplient des crimes terroristes, Ben Khedda, répugnant à des affrontements fratricides, choisit de s’effacer avec l’amère dignité qui le caractérise. Le 25 juillet, Ben Bella a déjà fait son entrée à Alger. Le 28 septembre, il sera élu chef du premier gouvernement de l’Algérie indépendante, et le 15 septembre 1963 président de la République.
Les déchirements, comme on le sait, n’en sont pas finis pour autant. Le 19 juin 1965, le putsch de son ancien allié Boumedienne fait retrouver à Ben Bella le chemin d’une détention dont il ne sortira qu’en 1980. Ben Khedda, pour sa part, ne se verra qu’assigné à résidence chez lui, par le même Boumedienne, en mars 1976, pour avoir, avec Ferhat Abbas, Cheikh Kheireddine et Hocine Lahouel, critiqué les conditions d’élaboration de la « Charte nationale ». Une charte dont il demandera à nouveau la révision en décembre 1985, pour en éliminer l’« option socialiste ». En vain. Vieilli, désabusé, il semble alors se réfugier dans la piété, non sans tenter encore, en 1991, de fonder un parti d’inspiration islamiste, El Oumma, qui restera sans lendemain. L’Histoire ne repasse pas les plats.

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