Un huis clos sous haute tension

Absents du Conseil des ministres du 20 mars, les rebelles ont eu un entretien houleux avec le Premier ministre et le Comité de suivi.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

On les attendait, le matin, en Conseil des ministres. Ils sont arrivés à Yamoussoukro dans l’après-midi, à bord d’un hélicoptère de l’armée française qui les a déposés directement sur la pelouse de la Fondation Félix-Houphouët-Boigny pour la paix. Le chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo, qui avait présidé, quelques heures plus tôt, la séance hebdomadaire du Conseil, était déjà reparti sur Abidjan. Tout comme les membres de son gouvernement, rejoints ce jeudi 20 mars par les ministres du Rassemblement des républicains (RDR d’Alassane Ouattara), rentrés d’exil, pour la plupart, deux jours plus tôt.
Vêtu d’un caftan vert, Guillaume Soro, le secrétaire général du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI, principal mouvement rebelle), et une dizaine de ses compagnons d’armes s’engouffrent aussitôt dans le bâtiment, protégés par des soldats français de l’opération Licorne, et africains de l’Écoforce, le contingent dépêché en Côte d’Ivoire par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Dans la délégation, dont certains membres sont bardés de gris-gris, on reconnaît Louis Dacoury-Tabley, les colonels Michel Gueu et Soumaïla Bakayoko, Sidiki Konaté, tous membres du MPCI, mais aussi Félix Doh, le chef du Mouvement populaire ivoirien du Grand-Ouest (MPIGO), le « commandant » Gaspard Déli, et Ben Souk, du Mouvement pour la justice et la paix (MJP)…
Commence alors un huis clos de plus de deux heures avec le Premier ministre Seydou Diarra et le Comité international de suivi des accords de Marcoussis et d’Accra, présidé par le Béninois Albert Tévoédjrè. C’est Soro qui donne le ton : « Depuis Marcoussis et Accra, rien n’a été réglé. Gbagbo fait ce qu’il veut, et le Comité de suivi le laisse faire. Il a délégué très peu de pouvoirs au Premier ministre, a refusé de nous attribuer les portefeuilles de la Sécurité et de la Défense… Par ailleurs, le Comité de suivi tarde à prendre des décisions. Certains de ses membres passent le plus clair de leur temps avec Gbagbo, mais ne viennent jamais nous voir à Bouaké. »
Puis il enchaîne en regardant l’ambassadeur de France, Gildas Le Lidec, également membre du Comité de suivi : « Gbagbo a fait brûler le Centre culturel français. Comment pouvez-vous le soutenir ? » Réponse du diplomate : « Le Centre culturel français, c’est mon affaire ! Pas la vôtre ! » Visiblement excité, le responsable du MPCI lui rétorque : « Vous racontez n’importe quoi ! Vous soutenez Gbagbo. » Ambiance.
Et Soro de poursuivre, en se tournant, cette fois-ci, vers l’ambassadeur des États-Unis en Côte d’Ivoire, Arlene Render, également membre du Comité de suivi : « Il faudra faire comme avec l’Irak. Aidez-nous à nous débarrasser de Gbagbo. » La violence des propos étonne de la part d’un chef rebelle confirmé le jour même comme ministre d’État chargé de la Communication et qui, la veille encore, donnait des assurances quant à sa présence en Conseil des ministres. Chacun a droit à son petit couplet. Aux membres du Comité de suivi, chargé d’appliquer les accords de Marcoussis et d’Accra, il dira ceci : « N’oubliez pas que c’est nous qui vous avons créés. Alors, faites votre boulot. On peut nous tuer, mais sachez que la rébellion renaîtra à partir du Burkina Faso et du Mali. […] À Marcoussis, on a parlé d’amnistier ceux qui ont pris les armes, mais on a omis le cas des militaires qui ont choisi l’exil. Il y a des sorties de crise qui prennent sept ans. Pourquoi veut-on coûte que coûte nous obliger à précipiter les choses ? »
Recalé par le président ivoirien, qui a clairement fait savoir qu’il ne pouvait accepter sa présence au gouvernement, Louis Dacoury-Tabley, le responsable des relations extérieures du MPCI, prend la parole, cynique : « Dans deux mois, Gbagbo n’aura plus de quoi payer les fonctionnaires. Les gens descendront alors dans la rue et nous n’aurons plus qu’à cueillir le pouvoir… » Quant à Félix Doh, il sert son antienne : « Messieurs, à l’heure où je vous parle, mes positions sont attaquées », une sortie qualifiée par un diplomate présent « d’effet de manche ».
Comment expliquer cette soudaine agressivité et ce revirement des rebelles, qui avaient accepté de siéger au gouvernement de réconciliation nationale dirigé par Seydou Diarra ? « Ils sont paumés, expliquent le diplomate cité plus haut. Ils voulaient du pouvoir. On le leur offre et ils sont désemparés. » « Ils ont d’énormes problèmes avec leur base, ajoute un autre membre du Comité de suivi. Ceux qui ont combattu sur le terrain s’inquiètent de ce qu’ils vont devenir lorsque certains de leurs chefs seront au gouvernement. Ils ont peur de payer pour tout le monde. Ils font donc pression sur les responsables pour qu’ils n’acceptent pas les portefeuilles ministériels. Sans oublier que les dirigeants de la rébellion eux-mêmes ont pris des habitudes. Ils ont pris goût à la vie, squattent des administrations et des résidences appartenant à autrui, circulent dans des grosses cylindrées volées, ont du personnel – et des femmes – à leur disposition. Parce qu’ils ne gagnent pas au change, ils ont tout intérêt au statu quo actuel. »
« C’est aujourd’hui ou jamais, confie pour sa part Albert Tévoédjrè. La communauté internationale commence à s’impatienter. Depuis le déclenchement de la guerre en Irak, les gens ont d’autres chats à fouetter. Il faut donc que tout le monde rejoigne le gouvernement de réconciliation nationale et qu’on commence à travailler ! »
En attendant l’arrivée des ministres de la rébellion – ils sont 9, dont 7 pour le seul MPCI – le deuxième Conseil des ministres du gouvernement Diarra s’est tenu le 20 mars avec six des sept ministres du RDR (le fauteuil de Kandia Camara, désignée par son parti, mais récusée par le président Gbagbo, est resté vide). Visiblement à l’aise et souriants, Henriette Diabaté, Amadou Gon Coulibaly, Zémogo Fofana, Marcel Amon Tanoh, Amadou Soumahoro et Hamed Bakayoko sont protégés par des soldats de l’Ecoforce, des gendarmes français et… ivoiriens.

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