Un « barbu » à El-Mouradia ?

Les islamistes, toutes tendances confondues, se placent d’ores et déjà dans les starting-blocks en vue de l’élection présidentielle de 2004. Avec l’espoir de faire beaucoup plus que de la figuration.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 6 minutes.

«L’armée ne s’opposera pas à la victoire d’un candidat islamiste lors du scrutin présidentiel de 2004. » Cette phrase, tirée de l’interview accordée le 15 janvier à l’hebdomadaire français Le Point par le général Mohamed Lamari, chef d’état-major, a fait l’effet d’un séisme au sein de la classe politique algérienne. L’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé (de toute façon, il est l’unique général de corps d’armée algérien) a ainsi écarté toute possibilité d’un remake du scrutin législatif de 1992, interrompu par l’armée après la victoire du Front islamique du salut (FIS). Si celui-ci a été dissous depuis, on ne peut en dire autant de son électorat (évalué à quelque trois millions de personnes) que tous les partis politiques poursuivent de leurs assiduités à chaque consultation électorale.
L’Algérie peut-elle installer un islamiste au palais d’el-Mouradia en avril 2004 ? Rien ne permet aujourd’hui de l’exclure. La lutte antiterroriste a certes défait l’islamisme armé, ou à tout le moins en a réduit sensiblement les capacités de nuisance, mais l’islamisme demeure une réalité sociologique, donc électorale.
Faute d’instruments de sondage fiables, les seules indications quant au poids réel des islamistes sont celles données par la présidentielle d’avril 1999, par les législatives de mai 2002 et par les municipales d’octobre 2002. Les résultats de la première sont quelque peu biaisés et ne peuvent être pris en compte : la veille du scrutin, les six rivaux d’Abdelaziz Bouteflika avaient décidé de se retirer de la course. Cela n’a pas empêché le candidat Ahmed Taleb Ibrahimi, ancien chef de la diplomatie de Chadli Bendjedid, reconverti depuis à l’islamisme, de recueillir plus d’un million de voix (les bulletins avaient été maintenus par l’administration). Les deux consultations suivantes ont confirmé le volume relativement important du réservoir de voix favorables au courant islamiste : autour de 1,5 million. Un chiffre qui ne prend pas en compte une abstention massive que l’on ne peut imputer au seul courant démocrate ayant appelé au boycottage des deux scrutins.
L’abstention, depuis l’interruption du processus électoral de janvier 1992, a touché un électeur sur trois (autour de 4 millions de votants) pour atteindre 50 % lors des élections de 2002. Peut-on en conclure que les électeurs du FIS ont refusé de se rendre aux urnes depuis qu’ils ont été spoliés de leur victoire ? Difficile à dire, car, tous les analystes le confirment, les trois millions de voix engrangées par le FIS en 1992 n’en reflètent pas le poids réel. Il s’agissait plus d’un vote sanction contre l’ex-parti unique que d’une adhésion à un projet de société. La suite des événements, notamment le refus de la population de se joindre à l’insurrection armée et d’obéir aux injonctions des Groupes islamiques armés (GIA), qui avaient appelé au boycottage de l’école, des récoltes et des élections, a prouvé que le FIS avait moins d’audience que ne le laissaient supposer ses succès électoraux passés. C’est pourquoi les islamistes ne peuvent revendiquer qu’une infime partie des abstentionnistes.
Autre facteur à prendre en compte dans l’analyse du vote islamiste : son éparpillement. Avec un FIS qui n’existe plus légalement, mais qui n’en est pas moins éclaté en tendances et fractions passant le plus clair de leur temps à s’entredéchirer, ce courant politique se scinde en deux pôles et une personnalité, dans sa partie légale, et en plusieurs centres, dans la clandestinité.
La Constitution algérienne interdit toute formation politique se réclamant de la religion. Il n’empêche que trois partis revendiquent ouvertement leur appartenance au courant islamiste : le Mouvement pour la réforme nationale (MRN, El-Islah) d’Abdallah Djaballah, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) que dirige Mahfoud Nahnah et le confidentiel En-Nahda d’Ahmed Adami.
Le parti de Nahnah fut le concurrent le plus sérieux du FIS à la fin des années quatre-vingt, lors de l’introduction du multipartisme. La dissolution du parti d’Abassi Madani en mars 1992 avait comblé Mahfoud Nahnah, qui a cru trop vite pouvoir régner seul sur le courant islamiste. Il n’en a rien été. Pis : Nahnah a perdu le statut de leader de la première force islamiste du pays au profit d’El-Islah, qui l’a supplanté lors des législatives de mai 2002. Sans doute parce que sa stratégie – concessions au pouvoir et participation à toutes les coalitions gouvernementales depuis 1995 – a été incomprise, ou désavouée, par sa base militante. Pour les partisans de la Dawla islamiya (la « République islamique »), on ne peut se satisfaire de strapontins dans le gouvernement quand on revendique l’application immédiate de la charia.
En plus de cette désaffection, Mahfoud Nahnah doit compter avec un handicap supplémentaire : une disposition de la Constitution l’empêche de prendre part à la présidentielle à venir. Les candidats à la magistrature suprême nés avant 1943 doivent en effet fournir une attestation de participation à la guerre de libération. Né en 1942, Nahnah ne dispose pas du précieux sésame et son recours devant le Conseil d’État, en novembre 2001, a été rejeté. À la veille des assises du parti, convoquées en mai 2003, Nahnah a le choix entre trois scénarios. Le premier est d’investir le numéro deux du MSP, Bouguera Soltani, son éternel rival pour la présidence du parti. Le deuxième est de chercher à passer une alliance avec le candidat islamiste le mieux placé pour l’emporter en avril 2004. Troisième possibilité : soutenir Abdelaziz Bouteflika s’il se représente. Ce que Nahnah a fait en 1999, car le programme de Boutef semble convenir au MSP qui recrute dans la petite bourgeoisie, les cadres de la fonction publique et quelques patrons d’industrie.
Abdallah Djaballah, lui, a le vent en poupe. Marginalisé au sein de la mouvance du temps glorieux du FIS, présenté comme une création des services de sécurité pour atténuer le raz- de-marée électoral annoncé du « Front », il a su faire le dos rond sans jamais renier ses principes. Il a été de toutes les démarches pour réhabiliter ses rivaux du FIS, réclamant sans cesse l’élargissement de ses dirigeants qui purgent une peine de prison, participant activement à l’élaboration, en février 1995, du contrat de Rome sous le parrainage de la communauté catholique de Sant’Egidio. Bref, Djaballah a grandi en s’opposant. Il incarne aujourd’hui l’espoir des militants islamistes pour la présidentielle d’avril 2004.
À moins qu’un – ou deux – grain de sable ne vienne tout bouleverser. Le premier serait une nouvelle candidature d’Ahmed Taleb Ibrahimi, qui n’a pas caché, par le passé, sa volonté d’exprimer la voix des sans-voix, c’est-à-dire celle des militants du FIS. Le second est lié à l’attitude du MSP. Si celui-ci ne conclut pas d’alliance avec El-Islah, Djaballah n’a aucune chance de figurer au second tour.
Reste le courant islamiste qui agit dans la clandestinité, incarné par des personnalités de l’ex-FIS et par les seigneurs de guerre qui ont consenti, en janvier 2000, à déposer les armes. Madani Mezrag, chef de l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS, autodissoute le 13 janvier 2000), a confirmé, dans une interview donnée à un confrère de la presse algérienne, que des réunions informelles entre les cadres du « Front » se tiennent régulièrement. Ordre du jour : la présidentielle. Madani Mezrag laisse clairement entendre que ceux qui ont consenti à déposer les armes « dans l’intérêt de l’Algérie » participeront d’une manière ou d’une autre au débat et n’écartent pas un soutien déclaré à un candidat proche des préoccupations de la mouvance islamiste. En ce qui concerne les chefs des maquis encore en activité, il est peu probable qu’ils s’impliquent dans un scrutin qu’ils rejettent d’avance.

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