Tous aux abris !

Insultes et invectives volent bas de part et d’autre de l’Atlantique.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 3 minutes.

Avant même le début des opérations militaires en Irak, une guerre a déjà commencé : celle des mots. Elle oppose les médias anglo-saxons et français. C’est Donald Rumsfeld, le secrétaire américain à la Défense, qui a donné le coup d’envoi des hostilités en se moquant du couple franco-allemand, ce symbole de « la vieille Europe ». À quoi le ministre français de l’Écologie a riposté par un mot de cinq lettres rendu célèbre par le général Étienne Cambronne à la bataille de Waterloo…
Depuis, c’est un feu d’artifice. Le populaire New York Post (propriété de Rupert Murdoch, le tycoon australo-américain) publie en première page une photo représentant les tombes de soldats américains tombés en 1944, accompagnée de ce titre indigné : « Ils sont morts pour la France, mais la France l’a oublié ». « Où sont les Français ? » s’interroge le quotidien. Réponse : « Ils se cachent, ils pètent de trouille ! » Dans ce même journal, France et Allemagne sont réunies sous le qualificatif d’« axe des mauviettes ». « Sans l’armée américaine, elles seraient aujourd’hui des républiques soviétiques », s’emporte Tom Lantos, représentant républicain de Californie.
En fait, à en croire les médias américains, c’est « l’esprit munichois », horrible mélange de défaitisme et de couardise, qui définit le mieux la psychologie des Français. Lesquels ne seraient, pour la plupart, que des « fermiers subventionnés par Bruxelles », réfractaires à toutes les habitudes américaines, « y compris celle de se laver une fois par jour ». L’hebdomadaire Weekly Standard (droite) qualifie Jacques Chirac d’allié de longue date de Saddam Hussein. Le National Review (droite) pousse un peu plus loin le sarcasme contre les « singes capitulards et bouffeurs de fromage », expression popularisée naguère par les Simpson, la célèbre série télévisée. Même un éditorialiste d’ordinaire aussi pondéré que Thomas Friedman paraît perdre son sang-froid. Dans le New York Times, il propose benoîtement que la France soit privée de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, au bénéfice de l’Inde, beaucoup plus « sérieuse » selon lui.
Sur certaines chaînes de télévision, c’est la surenchère. Un jour, Bill O’Reilly, le commentateur-vedette de Fox News (propriété de l’inévitable Murdoch), appelle les téléspectateurs à protester auprès des autorités françaises. Dès le lendemain, l’ambassade de France à Washington est inondée d’e-mails peu aimables. Sur CNN, Connie Chung estime que « plus vous critiquez les Français, plus ils sont convaincus d’avoir raison ». L’un de ses collègues ironise (« Partir en guerre sans la France, c’est comme aller à la chasse sans accordéon »), puis s’interroge gravement : « Et si les Français étaient de mèche avec Saddam ? » (Talk Back Live). Une « idée » reprise par le Sun britannique (3,5 millions d’exemplaires), autre propriété de l’insatiable magnat, qui propose un photomontage du raïs irakien posant, tel Hitler en 1940, devant la tour Eiffel. Ce même éminent représentant de la presse de caniveau publie une série de dix blagues, du genre :
« Pourquoi les Français enverraient-ils des troupes dans le golfe ?
– Pour apprendre aux Irakiens à se rendre ! »
Hilarant, non ?
Bien sûr, les hommes politiques ne sont pas épargnés. Selon George Will, éditorialiste au Washington Post, Dominique de Villepin serait ainsi un personnage « oléagineux ». Quant à Jacques Chirac… Le président français est percé de mille flèches : « monstre de vanité », « perfide », « Pygmée au crâne dégarni […] travesti en Jeanne d’Arc »… Pete King, représentant de New York, estime que son pays a « trop longtemps servi de punching-ball à cette nation de troisième rang qu’est la France ». Même Colin Powell en vient à se demander – à moins qu’il ne fasse semblant – si la France et l’Allemagne ne cherchent pas à retarder les choses pour « sauver la mise à Saddam Hussein » et « faire en sorte qu’il n’y ait pas de désarmement ».
Sans atteindre de tels sommets dans l’invective, la France s’efforce de ne pas être en reste. Dans ses médias, George W. Bush est souvent représenté en cow-boy texan un peu bas de plafond, conseillé par un Sylvester Stallone raciste et cynique, tandis que les Américains seraient d’obèses bouffeurs de hamburgers. Bref, le débat avance à grands pas !

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