Tokyo au garde-à-vous

Tributaire des Américains en matière de défense, le Japon a dû se plier à la raison du plus fort. Au grand dam d’une opinion viscéralement pacifiste.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Obligé des États-Unis, le Japon a choisi son camp sans ciller : il soutiendra moralement l’Amérique dans sa croisade en Irak. Le Premier ministre Junichiro Koïzumi souhaitait le vote d’une deuxième résolution autorisant explicitement le recours à la force, ce qui lui aurait permis de se retrancher derrière la « légalité internationale » pour mieux vendre le conflit à une opinion publique viscéralement pacifiste – 79 % des Japonais sont opposés à la guerre. Lundi 17 mars, il a compris qu’il devra faire sans. Dans l’affaire, il a perdu des plumes. Ne s’embarrassant pas d’explications, il a présenté son alignement sur Washington comme allant de soi. En vain : 90 % des Japonais ont trouvé son argumentation faible et insuffisante.
Yohei Kono, l’ancien ministre conservateur des Affaires étrangères, et Naoto Kan, le chef de l’opposition libérale, ont fait connaître leur désaccord. L’affaire irakienne illustre cruellement la faiblesse de la marge de manoeuvre de Tokyo sur la scène diplomatique, et son incapacité à s’émanciper de la tutelle américaine. Depuis une dizaine d’années, l’archipel a essayé, à grands frais, d’entretenir la fiction d’une politique étrangère autonome et imaginative. Grande puissance civile, le Japon se voulait le champion de la coopération internationale, du renforcement du multilatéralisme et de ses institutions, et du règlement pacifique des conflits. Cette politique dispendieuse, qui s’est traduite, notamment, par un effort conséquent en matière d’aide au développement, dont l’Afrique a largement bénéficié, montre ses limites. Le suivisme de Tokyo, son alignement inconditionnel sur Washington, va entamer la crédibilité du Japon dans les enceintes internationales.
La conduite de Junichiro Koïzumi est dictée par le souci de préserver l’alliance stratégique avec les États-Unis. La sécurité et la défense de l’archipel reposent sur le parapluie militaire américain. Confronté à la menace nord-coréenne, le pays ne peut se permettre de froisser Washington. Le régime de Kim Jong-il, profitant des circonstances, a opté pour une posture franchement agressive. Il a reconnu posséder l’arme atomique, a relancé sa production de matières fissiles et multiplié les provocations, avec des tirs de missiles au large des côtes nipponnes.
Le Japon a besoin de l’Amérique pour assurer sa défense. Mais il redoute qu’une fois la crise du Golfe surmontée, d’une manière ou d’une autre, Washington ne se retourne militairement contre Pyongyang et n’envisage des frappes préventives contre ses installations balistiques et nucléaires. Car, en cas de représailles, le Japon se retrouverait aux premières loges. Tokyo souhaite que les États-Unis répondent avec fermeté au défi nord-coréen et fassent étalage de leur pouvoir de dissuasion, mais privilégie, au final, une solution négociée. Les dirigeants nippons font donc le pari qu’en apportant leur soutien diplomatique à l’entreprise militaire américaine dans le Golfe ils arriveront discrètement à influencer dans le sens de leurs intérêts la gestion par Washington de la crise coréenne. Le problème, c’est qu’ils ne peuvent afficher publiquement leurs divergences de vues avec les Américains. Les Sud-Coréens en savent quelque chose. Ils ont élu un président pacifiste et favorable au dialogue avec Pyongyang, et leurs relations avec les États-Unis sont au plus mal. Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, exaspéré par l’« ingratitude » de Séoul, a menacé de redéployer les troupes stationnées dans la péninsule, et n’a pas exclu l’éventualité d’un retrait total, qui laisserait l’allié d’hier au contact direct de son belliqueux voisin…

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