Que reste-t-il du service public ?
Coupures à répétition, réseaux défectueux… les opérateurs privés ne font pas forcément mieux que l’État. Études de cas.
CAMEROUN
Un mauvais feuilleton qui traîne en longueur
Il y a foule dans la salle d’attente de la direction générale de la Société nationale des eaux du Cameroun (Snec). Ici, on ne vient pas voir le « DG », mais l’« AP », l’administrateur provisoire. Nommé en avril 2002 par l’État, Basile Atangana Kouna est chargé d’assurer la continuité du service public pendant les négociations avec l’adjudicataire provisoire, le groupe français Ondeo. La branche « gestion de l’eau » d’Ondeo, holding de Suez Lyonnaise des eaux (déjà présente au Maroc à travers sa filiale Lyonnaise des eaux Casablanca), est en bonne voie pour prendre la concession pour vingt ans de la distribution de l’eau au Cameroun.
La signature serait une question de mois, selon Basile Atangana Kouna. Mais les rumeurs de blocages refont régulièrement surface : Ondeo est adjudicataire provisoire depuis mai 2000, et le provisoire dure toujours. « Le montant est arrêté, et nous sommes en train de finaliser la transaction, explique l’administrateur. Il reste des points à régler, notamment concernant l’assistance technique et l’actionnariat. Il faut aussi déterminer avec précision quels sont les investissements à réaliser. Enfin, il faut prendre son temps : regardez ce qui se passe dans l’électricité. » Le message est clair : pas question que la Snec vive le même fiasco que la Sonel, la compagnie d’électricité reprise par l’américain AES en juillet 2001. Délestages à répétition, pannes récurrentes sur le réseau, dégâts dus aux variations de puissance, les sujets de plainte des consommateurs sont nombreux.
Longuement interrogé par le journal Le Messager, un expert dénonçait récemment le gel des investissements opéré par la Sonel dès les premières rumeurs de privatisation. Ce qui n’a pas dû faciliter la tâche d’AES. Il faut reconnaître que le travers est commun à presque tous les secteurs en cours de privatisation : un cadre de la Camtel, l’entreprise publique de télécommunications dont l’appel d’offres a été déclaré infructueux, parle d’une perte de valeur colossale pour l’entreprise depuis son évaluation en vue de sa privatisation. Mais le même expert stigmatise la gestion d’AES, accusé par la presse de rapatrier des capitaux vers la maison mère, en difficulté.
Le ministère des Mines, de l’Eau et de l’Énergie semble prendre des précautions pour que le bilan de la privatisation de l’eau soit plus positif que celui de l’électricité : 300 millions de F CFA ont été débloqués pour réhabiliter les centres de distribution, et 230 millions pour en construire de nouveaux. « Notre premier objectif est l’accès à l’eau potable pour tous », rappelle Basile Atangana Kouna. Reste que la tâche de la Snec demeure colossale : avec 150 000 abonnés pour 15 millions d’habitants, on est très loin du compte.
Un autre challenge attend le repreneur : celui de la qualité de l’eau. Si les analyses témoignent d’un produit bactériologiquement pur en sortie d’usine, les consommateurs se plaignent. Au robinet, l’eau arrive régulièrement avec une couleur, des dépôts, un goût et une odeur. La Snec accuse l’état des canalisations privées. Mais les interventions sur le réseau public dévoilent elles aussi des tuyaux en mauvais état. Et de gros investissements en perspective…
MYRTILLE DELAMARCHE
SÉNÉGAL
Les délestages, c’est fini !
«Pour l’instant, ça va. Manantali a commencé à envoyer du courant à Dakar, et les privés peuvent en vendre à la Sénélec. » Cette confidence d’un entrepreneur sénégalais est plutôt rassurante. Macky Sall, ministre de l’Énergie, des Mines et de l’Hydraulique, a donc provisoirement gagné le pari qu’il avait lancé en juillet dernier, juste après avoir annoncé que son pays renonçait finalement à privatiser sa société d’électricité : « L’ère des délestages est terminée », avait-il promis, tablant à la fois sur la montée progressive en puissance de l’électricité du barrage de Manantali (66 MW prévus au total), et sur l’installation programmée de deux centrales de 30 MW chacune. Une promesse jugée à l’époque bien aventureuse par de nombreux Sénégalais effarés par le caractère rocambolesque de la privatisation de leur électricité.
Tout a commencé en 1998. À l’époque, un consortium franco-canadien avait emporté l’appel d’offres. Hydro-Québec, allié à Elyo-France, avait toutefois été éjecté avec pertes et fracas deux ans et demi plus tard par le nouveau chef de l’État, Abdoulaye Wade, visiblement agacé de la persistance des délestages à répétition. Vivendi avait ensuite été pressenti par le nouveau gouvernement sénégalais. Les discussions avaient été longues, tournant toujours autour de ces promesses d’investissement auxquelles l’administration tenait beaucoup. Le groupe français, déjà mal en point, avait alors proposé des conditions de reprise que l’État avait déclinées. Alors Dakar avait fait appel aux Américains d’AES, ceux-là mêmes qui, au Cameroun, ont été obligés de mettre sur pied un gigantesque système de délestage, car incapables, eux aussi, d’investir. Exit AES donc, le 12 juillet 2002 précisément, avec l’annonce du maintien de la Sénélec dans le portefeuille de l’État et le renvoi de la privatisation à de futures discussions avec la Banque mondiale. Quel contraste avec la privatisation de l’eau ! L’arrivée du groupe français Bouygues au Sénégal, au travers de sa filiale Saur, fut d’entrée un succès. La privatisation avait été précédée d’une séparation de la société publique en une société de patrimoine, la Sones, chargée des investissements, et d’une société de gestion, la Société des eaux (SDE), responsable de la distribution. C’est cette dernière qui échoua entre les mains des Français : après deux années de pertes légères, 1,3 milliard de F CFA cumulé entre 1996 et 1997, la société renouait avec les bénéfices dès 1998, au rythme constant de 1,6 milliard de F CFA en moyenne chaque année. « Notre taux de recouvrement est de 97 % », claironnaient il y a déjà deux ans les services financiers de la compagnie. Des problèmes subsistent, bien sûr. La Sones, notamment, n’est pas toujours au rendez-vous des investissements nécessaires, tandis que le personnel de la SDE, bien qu’augmenté régulièrement, n’a pas touché le jackpot auquel il s’attendait avec la privatisation. Mais la capitale ne manque plus d’eau, et les seules questions hydrauliques qui sont actuellement soulevées concernent l’irrigation : il existe des terres aisément irrigables, notamment le long du fleuve Sénégal, mais elles manquent de bras, tandis que de nombreux villages se plaignent ailleurs du manque d’irrigation.
CHRISTIAN D’ALAYER
GABON
Période de transition
Depuis 1997, la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) est détenue à 51 % par Vivendi Water, numéro un mondial dans le secteur de la distribution et du traitement de l’eau. L’opérateur, filiale du groupe Vivendi Environnement, a signé un contrat de concession portant sur la distribution de l’eau potable et de l’électricité pour vingt ans.
Durant les premières années de concession, les nouveaux responsables de la SEEG se sont employés à parer au plus pressé, en procédant notamment à la réhabilitation et à l’extension du réseau. Plus de 153 millions d’euros ont ainsi été investis sur fonds propres, en cinq ans, pour le renforcement des installations existantes afin d’accroître de manière significative le nombre de personnes ayant accès à l’eau potable et à l’électricité. Depuis 1998, le nombre de clients a augmenté de 26 % pour le secteur de l’eau, et de 25 % pour celui de l’électricité. Sur Libreville, où la SEEG compte plus de 45 000 clients, l’opérateur a travaillé sur l’amélioration de la distribution, en posant 41 km de canalisations supplémentaires qui ont permis la réalisation de 8 000 branchements. Pour l’électricité, plus de 100 km de réseau basse tension ont été posés, et le raccordement de 5 300 nouveaux clients a pu être réalisé. Mars 2002 a également vu l’inauguration d’une centrale thermique de 33 MW pour un coût de 27 millions d’euros. L’intérieur du pays n’a pas été oublié, puisque la SEEG a achevé des travaux de renforcement des capacités de production en eau potable tout en assurant l’extension des réseaux de distribution. Des laboratoires d’analyse ont également vu le jour, afin d’assurer un meilleur contrôle de l’eau traitée.
Après cette période de transition, la SEEG s’est engagée à assurer sur le long terme l’alimentation en eau de la capitale gabonaise. Dans cette optique, une nouvelle extension du site de Ntoum, qui fournit Libreville en eau potable depuis 1966, a été inaugurée le 31 janvier. La SEEG a réalisé un investissement de 14,2 millions d’euros pour porter la capacité de traitement du site à 158 000 m3/j, contre 60 000 m3/j auparavant. Ce qui permet de dépasser pour la première fois les besoins estimés de la capitale et de la province de l’Estuaire. Plus de 70 % de l’eau potable produite aujourd’hui au Gabon émane de ce site. En poursuivant sur cette voie, les responsables de la SEEG devraient atteindre l’objectif fixé dans le contrat de concession, à savoir approcher un taux de desserte pour l’eau et pour l’électricité avoisinant les 80 % de la population.
OLIVIER CASLIN
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