Quand le raïs courtisait Tel-Aviv

Saddam essaya à plusieurs reprises de se rapprocher d’Israël. La dernière tentative en date fut tuée dans l’oeuf par… le président Clinton.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Saddam Hussein fut longtemps disposé, avant comme après la guerre du Golfe, à abandonner les Palestiniens à leur sort pour « normaliser » ses relations avec Israël dans l’intérêt de leurs rapports commerciaux, notamment pétroliers, mais aussi pour inciter le « lobby juif » américain à promouvoir une politique d’appeasement avec Bagdad. Pour leur part, sitôt après le 11 septembre, les talibans offrirent à Washington de lui révéler les liens que l’Irak pouvait entretenir avec el-Qaïda. Ce sont les États-Unis qui firent échouer les deux opérations : la première en opposant leur veto, en la personne de Bill Clinton, à tout rapprochement entre Bagdad et Tel-Aviv ; la seconde, en déclenchant, dès octobre 2001, le bombardement de l’Afghanistan.
Pour historique qu’elle soit, cette double révélation n’en est pas moins significative de la psychologie, et l’on n’ose dire de l’éthique des protagonistes.
La première est longuement développée dans une enquête de Dan Shilom pour le quotidien israélien de centre droit, Ma’ariv, et confirmée par l’un des principaux acteurs impliqués dans l’affaire. Les premiers contacts entre l’Irak et Israël, rapporte l’auteur, commencèrent à la fin des années quatre-vingt, alors que la guerre Iran-Irak faisait encore rage et que le likoudnik Itzhak Shamir, en Israël, présidait le premier gouvernement d’union nationale, réunissant le Likoud et le Parti travailliste.
Au début de l’été de 1987, Gil Gleiser, membre haut placé des administrations américaines de Ronald Reagan, puis de George H. Bush (le père), transmit à Moshe Shahal, un juif d’origine irakienne, alors ministre israélien de l’Énergie, une demande de rencontre de la part de l’ambassadeur d’Irak à Washington, Nizzar Hamdoun. « L’Irak n’a pas de visées contre Israël, avait expliqué celui-ci. Nous n’avons ni frontière commune ni revendications territoriales. » Et d’ajouter que Saddam Hussein en personne souhaitait nouer des contacts directs avec des représentants israéliens comme Moshe Shahal.
Surpris, mais intéressé, celui-ci en référa à Itzhak Shamir : lequel, à son étonnement, se montra enchanté. Pour mieux créer un climat favorable, Hamdoun suggéra alors, par l’intermédiaire de Gleiser, qu’Israël approuvât publiquement la position officielle de l’Irak sur une issue négociée de son conflit avec l’Iran. En contrepartie, Bagdad déclarerait publiquement n’avoir aucun contentieux avec Tel-Aviv et soutenir toute solution au conflit israélo-palestinien qui serait acceptée par les Palestiniens eux-mêmes.
Ainsi fut fait. Ministre israélien de la Défense, Itzhak Rabin, à la surprise générale, se chargea de la déclaration israélienne demandée. Et Tarek Aziz, alors ministre des Affaires étrangères, en visite à Paris en août 1987, confirma la position irakienne définie par Hamdoun.
Quelques jours plus tard, ledit Hamdoun rencontra cordialement Moshe Shahal pour la première fois et poussa plus loin ses pions. Saddam, expliqua-t-il, était disposé à conclure un traité de paix avec Israël et à établir avec lui de complètes relations commerciales. Aussitôt informé, Shamir autorisa Shahal à poursuivre les contacts.
Ici se situe un étrange épisode. Lors d’une mission en Égypte, Moshe Shahal s’entend suggérer par le président Hosni Moubarak de participer à une rencontre trilatérale, à Bagdad, avec lui-même et Saddam Hussein. Mais, contrairement à ses habitudes, Shahal, sceptique, n’en informe ni Shamir ni Pérès, ce qu’il regrette aujourd’hui, allant jusqu’à dire : « Cette rencontre de Bagdad aurait pu changer le cours de l’histoire du Moyen-Orient. »
La guerre du Golfe et le bombardement d’Israël par des Scud irakiens interrompent évidemment tout contact israélo-irakien. Mais, la guerre terminée et Saddam resté au pouvoir, celui-ci, de façon surprenante, tente à nouveau de négocier avec Israël. Son émissaire est, cette fois, le responsable des renseignements irakiens, son demi-frère Barzan el-Tikriti. En septembre 1992, le milliardaire saoudien Adnan Khashoggi suggère ainsi à Moshe Shahal, alors ministre de l’Énergie, de la Police et des Communications dans le gouvernement d’Itzhak Rabin, un rendez-vous avec l’Irakien. Celui-ci proposa de fournir à Israël du pétrole à un prix inférieur aux cours mondiaux et s’engagea, au nom de Saddam Hussein, à ne pas attaquer Israël en cas de nouveau conflit américano-irakien.
Shahal, convaincu du sérieux d’une démarche qui semblait dépasser de beaucoup le simple arrangement pétrolier, plaida en ce sens auprès de Rabin. Mais le Premier ministre israélien, soucieux d’abord de ses relations avec Washington, décida de prendre d’abord l’avis de Bill Clinton. Ce fut un « non » catégorique, renouvelé en juin 1993, puis en 1994 et en 1995, lors de nouvelles tentatives de rapprochement faites par l’Irak en direction d’Israël.
Ainsi prit fin cette extraordinaire tentative du dictateur irakien de tourner, par le biais d’Israël, l’hostilité de Washington. Moshe Shahal, qui n’exerce plus aujourd’hui de fonction ministérielle, n’a pas de mots trop durs pour critiquer le veto américain.
« La fin de non-recevoir avancée par Clinton fut une faute historique et une preuve d’imbécillité. Les États-Unis n’ont jamais rien compris au monde arabe. Pour moi, il ne fait aucun doute que Saddam Hussein n’avait aucune difficulté à s’adapter à une nouvelle donne diplomatique et à passer d’une politique anti-israélienne et prétendument propalestinienne à une politique de rapprochement avec Israël et les États-Unis, si elle lui permettait de se sauver, lui et son régime. »
Ce qui, d’un point de vue israélien, n’est probablement pas mal vu. Le moins qu’on puisse dire, en revanche, est que Saddam Hussein, qui couvre aujourd’hui de chèques en dollars les familles des kamikazes, ne parut pas beaucoup se soucier, tout au long de ces tractations, de ses « frères » palestiniens.

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