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Côte d’Ivoire, Centrafrique, Nepad… En abordant les grands dossiers du continent, les chefs d’État réunis à Paris les 20 et 21 février ont repeint aux couleurs de la mondialisation le vieux concept de la Françafrique.

Publié le 25 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Que retenir de ces deux journées franco-africaines, les 20 et 21 février, qui ont réuni au coeur d’un paquebot de béton sans âme et dans la froideur de l’hiver parisien cinquante-deux chefs d’État et de délégation représentant la totalité des pays du continent (à l’exception de la Somalie) ? Quelques grands dossiers de crise, bien sûr, disséqués pour vous dans les pages qui suivent, mais aussi des évolutions étonnantes, des lignes de force cachées et, pour tout dire, le nouveau visage en gestation d’un partenariat particulier repeint aux couleurs de la mondialisation. Un masque neuf en somme, pour ce vieux concept houphouétien qu’est la Françafrique.

La fin de l’impunité ? Ce fut le thème assurément le plus remarqué du discours d’ouverture de Jacques Chirac, le 20 février. Un Chirac désormais débarrassé de la cohabitation, qui « réinvestit » l’Afrique à pleines dents et veut en même temps signifier son adieu aux réflexes d’antan. « Il y a des méthodes hier tolérées qui ne sont plus acceptables aujourd’hui », a-t-il répondu à propos du respect des droits de l’homme, lors de la conférence de presse du 21. Une assertion qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à la politique africaine de la France, désormais inscrite sous le label du droit international et de la morale. La sincérité de Chirac, en ce domaine, n’est pas feinte, la Côte d’Ivoire ayant, aux dires de son entourage, servi de révélateur. On le dit ainsi « très choqué » par l’activité des escadrons de la mort à Abidjan et « scandalisé » par le réarmement à grande échelle auquel se livrerait en ce moment le régime Gbagbo (achat de deux Mig-21 et d’hélicoptères de combat). On le dit aussi « outré » par le fait que les mercenaires, dont Laurent Gbagbo avait promis le départ à Dominique de Villepin, soient toujours présents. « Il a menti à mon ministre, c’est inadmissible », a confié le président français à l’un de ses pairs, le 19 février au soir.

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L’affaire Mugabe. Elle s’inscrit en contrepoint de l’image précédente et donne du grain à moudre à ceux qui pensent que Jacques Chirac est un homme de circonstance. Certes, Chirac n’a reçu Robert Mugabe que quinze minutes à peine dans une petite salle discrète des sous-sols du bunker de la Porte Maillot. Certes, il a pris soin en l’accueillant de tenir sa main gauche derrière son dos afin de ne pas avoir à lui donner l’accolade. Mais le très contesté président zimbabwéen était présent au sommet et présent à Paris le jour anniversaire de ses 79 ans, accompagné de collaborateurs dont certains figurent sur la liste des indésirables établie par l’Union européenne. À cela trois raisons. Dans le fond, Jacques Chirac a toujours pensé que le dialogue valait mieux que les sanctions. Il estime également que Mugabe est beaucoup plus contesté à l’extérieur du continent (tout particulièrement chez l’ancien colonisateur britannique) qu’en Afrique même – ce qui est exact. Enfin, ne pas l’inviter aurait ipso facto signifié le boycottage du sommet par un certain nombre d’États anglophones, dont l’Afrique du Sud. Bref, et quelles que soient les éructations de la presse tabloïd de Londres, le jeu en valait, à ses yeux, la chandelle.

Un axe Paris-Pretoria. Ceci expliquant cela, cette évolution est sans doute la plus marquante de toutes celles qui sont apparues au cours de ce sommet. D’un côté la France, de l’autre un pays dont la puissance représente la moitié de l’économie de l’Afrique subsaharienne, qui préside l’Union africaine et le Mouvement des non-alignés et se veut le chef d’orchestre du Nepad (le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique). Un partenariat égalitaire donc, sur fond de contrat mutuellement consenti. La France soutient les efforts de l’Afrique du Sud pour le règlement des crises congolaise, burundaise et zimbabwéenne. L’Afrique du Sud s’abstient de tout commentaire désobligeant sur la gestion par Paris de la crise ivoirienne et surtout unit ses efforts à ceux de la France pour une solution alternative à la guerre en Irak. Jacques Chirac, qui espérait bien que le sommet des 77 pays non alignés de Kuala Lumpur s’achève le 25 février par un communiqué commun soutenant la position française au Conseil de sécurité, avait pour Thabo Mbeki les yeux de Chimène. Quitte à serrer la main de Robert Mugabe.

Irak : Chirac passe à la hussarde. La déclaration commune des cinquante-deux pays invités au Sommet de Paris réclamant « la poursuite des inspections » onusiennes en Irak « dans le cadre de la résolution 1441, dont toutes les possibilités n’ont pas encore été exploitées », est apparue comme un succès net de la diplomatie française. Adoptée le jeudi 20 février dans l’après-midi et à l’unanimité, elle laissera pourtant quelques traces quant à la méthode employée par Jacques Chirac lui-même pour la faire aboutir. Le texte, qui sur le fond ne posait aucun problème particulier, a en effet été imposé sans discussion par le président français. « Nous ne pouvons pas nous réunir ainsi sans évoquer la crise irakienne, a déclaré en substance Jacques Chirac. Nous vous proposons donc d’adopter ce texte ; comme il s’inspire directement de celui qu’a déjà adopté l’organe central de l’Union africaine chargé de la résolution des conflits, je ne pense pas qu’un débat soit nécessaire. » Abdoulaye Wade grommelle. Plusieurs chefs d’État se regardent, un peu étonnés. Absent (il s’entretient à ce moment dans une salle voisine avec son homologue burundais Pierre Buyoya), le Rwandais Paul Kagamé, prévenu, fait savoir qu’il veut, lui, qu’un débat ait lieu. Mais il est trop tard, le sommet est passé à autre chose. Pendant ce temps, le chargé des affaires africaines au département d’État américain, Walter Kansteiner, était en Angola, avant de se rendre au Cameroun puis en Guinée au chevet d’un Lansana Conté à l’agonie. Objectif : convaincre ces trois membres africains du Conseil de sécurité de voter l’ultime sommation à l’Irak que préparent Washington et Londres…

Aide, dette et G8 : promesses, promesses… S’il a laissé au secrétaire général de l’ONU Kofi Annan le soin de mobiliser, encore et toujours, contre le sida, Jacques Chirac a trouvé sur le terrain économique des accents à la fois tiers-mondistes et antimondialisation, à mi-chemin entre le De Gaulle du discours de Phnom Penh et le José Bové de Porto Alegre. Cocktail intéressant, qui a donné ceci : une recommandation à l’Organisation mondiale du commerce afin qu’elle décrète un moratoire jusqu’en 2005 sur les subventions accordées par les pays riches à leurs propres exportations ; une proposition au G8, qui devrait figurer à l’ordre du jour du Sommet d’Évian en juin prochain, d’adapter le traitement de la dette du « Sud » à l’évolution du cours des matières premières ; un encouragement à la production agricole, seul moyen selon Jacques Chirac pour que l’Afrique atteigne la barre mythique du taux de croissance de 7 % qui lui permettra enfin de décoller ; enfin, l’engagement pris de porter l’aide publique française au développement à 0,5 % du PIB en 2007 et à 0,7 % en 2012.
Même si la contradiction entre ce Chirac-là et celui qui, au sein de l’Europe, se fait le défenseur acharné des subventions octroyées aux agriculteurs français est un peu gênante, nul n’a songé sur ce point à accuser l’hôte de l’Afrique de double langage. Jacques Chirac, on le sait, est un homme de convictions et de sincérités aussi profondes que successives. Le prochain Sommet Afrique-France, qui se tiendra à Bamako au Mali en 2005 (une proposition du président Toumani Touré adoptée par consensus et sans concurrence), fournira l’occasion de vérifier si ces belles promesses ont trouvé corps.

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