Paradoxe africain et motifs d’espoir

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

L’Afrique est un continent potentiellement riche, riche en ressources naturelles et humaines, riche de sa grande diversité géographique, sociale et culturelle, riche enfin de sa longue histoire.
Elle possède, en effet, sans être exhaustif, le tiers du potentiel hydroélectrique de la planète, 40 % à 75 % de ses réserves minières (diamant, platine, or, germanium, phosphates, manganèse, chrome, uranium, fer, charbon, etc.), et 11 % de ses réserves de pétrole et de gaz.
Elle est jeune : 45 % de ses habitants ont moins de 15 ans, contre 30 % pour le reste du monde. Elle représente 14 % de la population mondiale en 2003 (850 millions d’habitants) et atteindra 16 % en 2025 (1,3 milliard).
Mais, hélas ! elle enregistre les plus médiocres résultats socio-économiques. Le premier pays africain n’arrive qu’en soixante-quatrième position dans le classement mondial, selon l’Indicateur de développement humain (2002). Quatre pays africains seulement se situent parmi les cent premiers, et, sur les trente-six pays les moins bien lotis, trente sont africains !
Cette réalité douloureuse est plus explicitement traduite par les données suivantes :
– L’espérance de vie à la naissance est, en moyenne, de 66 ans en Asie et de 75 ans dans les pays industrialisés, elle ne serait que de 53 ans en Afrique et peut même descendre à 44 ans dans certaines régions du continent.
– Le Produit intérieur brut (PIB) africain ne représente qu’environ 1,8 % du PIB mondial et serait à peine équivalent à celui d’un seul pays européen, l’Espagne.
– Pas moins de 240 millions d’Africains vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec un revenu inférieur à 1 dollar par jour.
– Le nombre de livres publiés en Afrique, où l’analphabétisme toucherait pas moins de 50 % de la population adulte, avec des pointes de 80 % dans certains pays, est de 20 titres par million d’habitants, contre 70 en Asie et 800 en Europe.
– Le nombre de lignes téléphoniques dans toute l’Afrique ne dépasse guère celui d’une grande capitale occidentale.
– Le nombre d’internautes africains est estimé à 7,4 millions en 2002, moitié moins que les Italiens.
Cette situation s’aggrave encore plus par la multiplication des tensions et des guerres fratricides sur le continent, par la prolifération de certaines pandémies redoutables, comme le sida, qui y a déjà tué 12 millions de personnes, surtout au sud du Sahara.
Tel est le paradoxe africain : un continent potentiellement riche, mais dont la majorité des habitants vit une réalité quotidienne dramatique.
Il serait long d’énumérer ici les multiples causes de ce paradoxe. L’argument qui consiste à imputer aux puissances étrangères une part importante de responsabilité est un argument de facilité. La principale responsabilité incombe d’abord aux Africains. Il faut avoir le courage de le reconnaître, de regarder la réalité en face et, surtout, d’en débattre. Car, comme le dit l’adage bien connu, « un problème bien posé est un problème à moitié résolu ».
Certains pays ont réussi à réaliser des progrès indéniables et offrent à leurs populations respectives des conditions de vie plutôt convenables. Mais il convient de reconnaître que l’Afrique, dans son ensemble, n’a pas réussi à entreprendre, à temps, les réformes structurelles qu’exigeait un monde en mutations rapides. Elle continue à gérer la réalité complexe du XXIe siècle avec des mentalités et des pratiques d’une époque révolue. C’est ainsi qu’une large majorité de la population continue à s’appauvrir, que la communication entre deux pays du continent exige la plupart du temps de transiter par l’Europe, que, faute de perspectives mobilisatrices, le seul rêve de la jeunesse se réduit au désir d’émigrer, parfois au péril de sa vie.
Que faire ?
Le climat de tension et de suspicion qui prévaut à l’échelle internationale invite plutôt à l’humilité. La solution est loin d’être facile. Quelques motifs d’espoir existent :
– la prise de conscience des Africains quant aux possibilités de sursaut que permet une exploitation plus judicieuse des potentialités naturelles et humaines de leur continent ;
– la multiplicité des initiatives pour que l’Afrique prenne une part plus active dans la marche du monde, telles que la transformation de l’ancienne Organisation de l’unité africaine (OUA) en Union africaine (UA), dotée d’organes opérationnels de suivi, de coordination et d’exécution, ainsi que le lancement du Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) ;
– la prise de conscience des grands pays industrialisés quant à l’importance stratégique d’une Afrique pacifiée.
Mais il est temps de passer des bonnes intentions à la mise en application effective de projets concrets à même de contribuer efficacement à l’amélioration des conditions de vie en Afrique. Exemples :
– Doter l’Afrique de réelles infrastructures en transports, télécommunications, eau, agriculture et énergie, ainsi que d’équipements collectifs en matière d’éducation et de santé ;
– Concevoir et réaliser un ambitieux projet qui pourrait s’appeler « e-africa », dont l’objectif sera d’offrir des services électroniques à distance dans différents domaines : éducation, formation, santé, administration, commerce, etc. ;
– Promouvoir un programme de recherche-développement à travers un réseau de centres d’excellence pour valoriser les ressources naturelles du continent et lutter contre les graves maladies et les pandémies qui y sévissent.
De tels projets, s’ils sont bien étudiés, sont susceptibles de transformer radicalement la réalité africaine. Leur concrétisation sera facilitée par le retour prévisible d’une partie tout au moins des 100 000 hauts cadres, universitaires et chercheurs africains qui exercent actuellement à l’étranger. Leur financement sera justifié par les retombées économiques et politiques. Et leur réalisation pourra se faire sur une longue période d’ici à 2025.
La réussite d’un tel programme dépendra cependant de la volonté des différents acteurs de la société civile africaine. Ceux-ci sont appelés à tirer les leçons du passé, analyser les multiples expériences à travers le monde, à admettre que l’avenir de chacun dépend de celui de la collectivité. C’est pourquoi le partage, la solidarité, la lutte contre l’exclusion, le respect de l’autre et la fédération des intelligences gagnent à être consolidés dans un environnement démocratique approprié garantissant les libertés et le fonctionnement normal des institutions dans un esprit d’équité et de justice. Un environnement qui réhabilite le savoir et où le citoyen participerait aux choix qui le concernent et concernent la collectivité. Car, comme l’a si bien dit Jean Monnet, le célèbre économiste et homme politique français : « Rien ne se crée sans les hommes et rien ne dure sans les institutions. »

* Professeur à l’École nationale d’ingénieurs (ENI) de Tunis, université de Tunis El-Manar, ancien ministre tunisien.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires