Énergie à revendre

La mise en commun de leurs ressources permettrait aux pays africains de résoudre bien des pénuries.

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

L’Afrique possède de très vastes ressources hydroélectriques inexploitées. Alors que l’Europe et les États-Unis ont déjà saturé leurs cours d’eau de barrages, le potentiel africain ne serait utilisé qu’à hauteur de 5 %. L’électrification est encore peu avancée dans la plupart des pays africains. Certains pays, plus riches, tirent mieux leur épingle du jeu, comme la Libye ou l’Afrique du Sud, qui consomme à elle seule autant que le reste de la région. Mais, dans la plupart des pays subsahariens, moins de 20 % des foyers sont électrifiés, principalement dans les grandes villes. Ainsi, en Tanzanie, le taux d’électrification n’est que de 6 %. Au total, la consommation annuelle par habitant en Afrique atteint en moyenne 500 kW/h, contre 9 000 kW/h dans les pays industrialisés. Pour combler ce déficit, le développement de l’hydroélectricité s’impose.
Plusieurs grands projets ont vu le jour, ces dernières décennies, sur les principaux cours d’eau. L’électricité produite par ces barrages a été distribuée sur plusieurs centaines voire plusieurs milliers de kilomètres à travers le continent. Et les pays ont compris l’intérêt de relier leurs réseaux nationaux afin de pouvoir s’échanger du courant, ce qui diminue leurs coûts de production et sécurise leurs approvisionnements. Cette coopération accrue facilite le partage des techniques et limite les risques. Plusieurs interconnexions entre pays africains ont été réalisées ces dernières années, et de nombreuses autres sont prévues. La Banque mondiale, dans sa volonté d’encourager les compagnies d’électricité à devenir rentables, favorise ces projets.
Au nord de l’Afrique, tous les réseaux des pays méditerranéens formeront une boucle au plus tard en 2005. Du côté du Moyen-Orient, le réseau de l’Égypte a été relié à celui de la Jordanie par un câble sous-marin dans le golfe d’Akaba, en mars 2001. La Libye et l’Égypte sont donc reliées à la Jordanie et à la Syrie. De l’autre côté, l’Espagne, et tous les pays d’Europe de l’Ouest, sont reliés au Maroc et, indirectement, à l’Algérie et à la Tunisie. Ce dernier pays n’est en revanche pas encore relié à son voisin lybien.
De l’autre côté du continent, l’Afrique du Sud s’est interconnectée à tous ses voisins pour être en mesure de satisfaire ses besoins en électricité. La Southern African Power Pool (Sapp) a été créée en 1995, à partir de deux réseaux régionaux existants, dont le lien très ancien entre la Namibie et l’Afrique du Sud. Outre cette dernière, onze pays en font maintenant partie : Angola, Botswana, République démocratique du Congo, Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Swaziland, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe. L’objectif premier de la Sapp est de réduire les coûts de production et de stabiliser les prix. Le consommateur principal en est l’Afrique du Sud, mais sa compagnie Eskom possède essentiellement des centrales thermiques, et quelques rares centrales hydrauliques. En revanche, les principales sources de production d’hydroélectricité se situent en Zambie et au Zimbabwe, et en RDC sur le fleuve Congo. La volonté d’Eskom est donc de créer un marché régional qui utilise les différentes sources d’énergie électrique : l’hydraulique, mais aussi le charbon et le gaz naturel offshore de Namibie et du Mozambique. Le résultat doit se révéler plus souple, plus efficace et moins coûteux que les accords bilatéraux établis selon des règles assez rigides. Une des extensions du projet est l’interconnexion à la future centrale Grand Inga de la RD Congo.
En Afrique centrale, les sociétés électriques du Congo, de la RD Congo, de la Centrafrique, de l’Angola, du Gabon et du Tchad se sont réunies pour former le Pool énergétique de l’Afrique centrale (PEAC). Le 5 juin 2002 à Brazzaville, elles ont élaboré les grands principes de coopération destinés à tirer parti de l’exploitation hydroélectrique du site d’Inga en RDC. Le point de départ de ce projet est la réhabilitation des centrales Inga I et Inga II, qui ne sont exploitées qu’à 30 % de leur potentiel, ainsi que la construction de la centrale Grand Inga. Il est prévu à partir de ce site hydroélectrique exceptionnel d’établir plusieurs connexions au travers du continent, dont une ligne vers l’Afrique du Sud, via l’Angola et la Namibie, une ligne vers l’Égypte via le Congo, la Centrafrique et le Soudan, et une ligne vers le Nigeria, via le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Cameroun. Le Mozambique a aussi affirmé sa volonté de produire davantage d’hydroélectricité à partir du barrage de Cahora Bassa.
En Afrique de l’Ouest, plusieurs États ont développé des interconnexions. Pour la mise en valeur du bassin du fleuve Sénégal, les pays riverains, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal ont décidé la construction du barrage de Manantali, achevée en 1988, et qui a été accompagnée de la création d’un réseau de distribution pour connecter les villes de Dakar, de Bamako et de Nouakchott. Plus au sud, la coopération sous-régionale a permis de relier la Côte d’Ivoire au Ghana, via le Togo et le Bénin. Au Ghana, la Volta River Authority (VRA), qui gère la production d’électricité du barrage d’Akosombo, a passé des accords avec les pays voisins pour distribuer l’électricité. Dès 1972, le Togo et le Bénin ont été reliés au Ghana, et, en 1983, la Côte d’Ivoire a été à son tour interconnectée. L’intérêt de ces interconnexions s’est amplifié lorsque la Côte d’Ivoire a découvert des gisements de gaz naturel. Le Bénin possédait de son côté des centrales thermiques. Le gaz ivoirien a donc été exporté vers le Bénin pour produire de l’énergie qui est distribuée à son tour via le réseau électrique régional. La Côte d’Ivoire a ensuite construit ses propres centrales thermiques à gaz naturel en les situant près de la frontière avec le Ghana, toujours dans un esprit de coopération régionale. Ces relations croisées se renforcent avec le temps. Par ailleurs, le poids lourd de la région en termes de consommation et de production d’électricité à base de combustibles fossiles est le Nigeria, qui est lui-même interconnecté avec le Niger.
De très nombreux projets d’interconnexions supplémentaires sont prévus. Le Nouveau Partenariat pour le développement économique de l’Afrique (Nepad) a classé le secteur de l’énergie parmi ses priorités. En avril dernier, la conférence de Dakar a porté sur le financement d’actions à court terme, d’ici à 2007. De nombreux projets hydroélectriques ont été recensés, ainsi qu’une quinzaine d’interconnexions entre réseaux nationaux. Le bilan en serait très positif en termes d’intégration économique et de coopération technologique. L’énergie est un secteur hautement stratégique pour les différents gouvernements. Accepter de coopérer avec ses voisins sur ce sujet ne peut que réduire les tensions politiques.

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