Même les marabouts vont en prison

L’arrestation d’un dignitaire mouride est-elle le signe que quelque chose a changé dans les rapports entre le pouvoir et la confrérie musulmane ?

Publié le 25 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

La ville de Touba (à 200 km de Dakar), capitale du mouridisme, la confrérie musulmane fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, est une destination privilégiée pour nombre de Sénégalais ayant maille à partir avec la justice. Hommes d’affaires véreux, délinquants relevant du droit commun vont se mettre sous la protection de leur marabout, les juges s’abstenant de les y poursuivre. Au titre d’un accord tacite entre le pouvoir politique et la confrérie, car aucune règle écrite ne régit cette immunité territoriale, manifeste depuis l’indépendance du pays, de Senghor à Abdoulaye Wade en passant par Abdou Diouf.
Les services auxiliaires de la justice, la police et la gendarmerie ne pénètrent pas à Touba comme ils le feraient dans une autre localité. Lorsqu’un délinquant s’y réfugie, la pratique consiste, pour le pouvoir, à convaincre le « clergé » maraboutique de l’amener à quitter la ville du mouridisme pour permettre aux tribunaux de faire leur travail. L’ensemble du territoire de Touba appartient au khalife, ce qui lui accorderait un statut particulier.
Le dernier cas en date de justiciable ayant tenté de se soustraire ainsi à la loi est celui du marabout Khadim Bousso. Condamné en 1999 pour banqueroute frauduleuse dans une affaire l’opposant à la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal (Bicis), filiale de la Banque nationale de Paris (BNP), l’homme d’affaires et dignitaire mouride ne s’est jamais exécuté, s’abritant sous l’autorité de son marabout. La sanction était pourtant définitive depuis le 7 mai 2002, avec l’arrêt de la Cour de cassation : 2 milliards de F CFA à verser à la banque, avec contrainte par corps. Le procureur de la République s’était abstenu jusque-là de faire appliquer la sentence.
La BNP a fini par mettre la pression sur le gouvernement sénégalais. L’affaire est devenue embarrassante pour le pouvoir. Comment convaincre les investisseurs étrangers de miser sur le Sénégal si la sécurité juridique des affaires n’y est pas assurée ? Mais la question était délicate pour le président Wade qui ne fait pas mystère de son appartenance à la confrérie mouride. Entre le besoin de rassurer les investisseurs et la discipline confrérique, le président choisit la voix médiane, celle consistant à persuader les mourides de « lâcher » Bousso.
Le ministre de la Justice et le président du conseil d’administration de la Bicis furent chargés de la mission auprès du khalife général, à Touba. Qui donna son feu vert. Khadim Bousso, patron du Rassemblement des opérateurs économiques sénégalais (ROES), proche de l’ancien pouvoir, a été arrêté le mercredi 5 mars. Non pas à Touba, mais dans un village voisin de la capitale. Six jours après son arrestation, il a été transféré, le 10 mars, de la prison de Rebeuss au pavillon spécial d’un hôpital accueillant les détenus malades. Un transfert qui fait sourire dans les salons dakarois. Cette subite « maladie » n’est-elle pas un des termes d’un accord sur la base duquel la confrérie aurait accepté que Bousso soit arrêté pour permettre au gouvernement de sauver la face ?
Si Khadim Bousso sort rapidement de l’hôpital pour réintégrer sa cellule, ce sera un signe que quelque chose a changé dans les rapports entre Dakar et Touba. Mais si le marabout-homme d’affaires reste dans ces locaux aseptisés, le temps de trouver un « arrangement » ou de se faire oublier de ses créanciers, l’affaire apportera de l’eau au moulin de ceux qui pensent qu’au Sénégal le pouvoir politique, et avec lui la justice, a beaucoup d’efforts à faire pour démontrer que l’égalité devant la loi n’est pas un vain mot.

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