[Tribune] Algérie : un seul héros, le peuple
Le peuple algérien figure en tête du classement Jeune Afrique des 100 Africains les plus influents en 2019 – ex-æquo avec le docteur congolais Denis Mukwege. Un hommage à ces centaines de milliers d’Algériens qui ont réussi la prouesse de renverser leur président sans violence ni effusion de sang.
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Farid Alilat
Journaliste à Jeune Afrique depuis de nombreuses années, Farid Alilat est spécialiste de l’Algérie.
Publié le 22 mai 2019 Lecture : 4 minutes.
« Un seul héros, le peuple », disait un slogan tagué sur un mur de la Casbah d’Alger en 1962, peu de temps avant la proclamation de l’indépendance, qui mettait un terme à 132 ans de présence
française en Algérie. Certes, ce graffiti a depuis longtemps disparu de ce quartier emblématique de la capitale algérienne, mais son esprit accompagne la révolution en cours dans le pays depuis février 2019.
Ce mouvement, qui a déjà contraint le président Bouteflika à renoncer après vingt ans de pouvoir, n’est pas celui d’un clan, d’une coterie ou d’un quarteron de généraux. Il n’est pas non plus celui d’un syndicat, d’un parti politique ou d’un courant islamiste. C’est l’insurrection de tout un peuple dans ses diversités identitaire, régionale, sociale et culturelle.
On jurait, pensait, pariait que les Algériens s’étaient résignés à leur sort, corrompus par l’argent de la paix sociale, traumatisés par les séquelles de la guerre civile ou anesthésiés par le discours du pouvoir sur la menace du chaos et la déstabilisation qui ferait désintégrer leur pays s’ils venaient à sortir dans la rue pour réclamer le changement. Mauvais calculs, fausses certitudes, paris erronés.
>>> À LIRE – Algérie : le général Gaïd Salah menace-t-il la révolution ?
Cette révolution est celle du courage, de la joie, de l’humour, du pacifisme, de la résilience, de la ténacité, de la détermination, de la maturité et de la persévérance. Le peuple seul héros, hier comme aujourd’hui. Il était donc logique, opportun et légitime qu’il figure à la première place de notre classement des 100 Africains les plus influents de l’année 2019.
Un modèle de révolution
Ce mouvement qui fait sortir des millions de personnes dans les rues chaque vendredi est d’autant plus remarquable qu’il sera cité dans les manuels d’histoire comme un modèle de révolution sans haine, sans violences et surtout sans effusion de sang. La devise de l’hebdomadaire Paris Match, « le poids des mots, le choc des photos », pourrait également lui convenir, tant elle n’aurait pas été possible sans ces images – dont certaines sont devenues iconiques – et ces mots qui fédèrent les Algériens aux quatre coins du pays.
La révolution est née d’abord avec les images d’une manifestation organisée le 13 février dans les rues de la ville de Bordj Bou Arreridj, à 250 kilomètres à l’est d’Alger. Ce jour-là, une poignée de jeunes sort dans la rue pour dire non à la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat. Très vite relayées sur les réseaux sociaux, ces images brisent enfin le mur de la peur et disent la possibilité d’un sursaut national.
https://www.youtube.com/watch?v=lx1HzdGFwWU&fbclid=IwAR1Ayo32XvXiqMMb0t-tkkoxwq8Itp5YMuMTB5DDPx3LergL5NgYN4geE4E
Les images et les vidéos de la manifestation de Bordj Bou Arreridj agissent comme un électrochoc d’une portée nationale
C’est la ville de Kherrata, celle-là même qui connut le martyr lors du soulèvement du 8 mai 1945, qui prend le relais le 16 février. Ce jour-là, une marée humaine prend possession de la rue pour s’opposer à cette candidature de la honte et exiger le changement du système. Là encore, les images et les vidéos de la manifestation agissent comme un électrochoc d’une portée nationale.
Le poids des symboles, le choc des slogans
Oui, il est donc possible que les Algériens se dressent contre le système, qu’ils se révoltent contre le clan présidentiel, qu’ils refusent la soumission et l’avilissement et qu’ils prennent en main leur destin. Les images de Bordj et de Kherrata créent un effet d’émulation et de stimulation d’autres régions d’Algérie. Larbi Ben M’hidi, icône absolue du mouvement de libération, mort étranglé en 1957, prononçait cette phrase presque prophétique en juillet 1954 : « Jetez la révolution dans la rue et le peuple va l’étreindre. »
La révolution étreinte par ses petits-enfants n’est pas seulement dans la rue, elle est aussi sur les réseaux sociaux. Un autre épisode encore plus frappant survient le 19 février de Khenchela, dans les Aurès, quand un poster géant du président Bouteflika, accroché à la façade de la mairie, est arraché sous la contrainte de la foule.
Dans la foulée, des manifestants piétinent et déchirent les photos du chef de l’État. C’est le premier acte symbolique annonçant la chute du vieux raïs. Il est donc possible que Bouteflika, cloué dans un fauteuil roulant, absent et aphone, et dont la présence est réduite à un cadre, soit désacralisé et détrôné. Chassé de la façade de cette mairie, il peut l’être aussi du Palais de la présidence. Le choc des photos.
Et puis, il y a le poids de ces mots qui racontent cette protesta. Le plus emblématique est incontestablement « Yetna7aw Ga3 » (Ils dégagent tous). C’est le mot d’ordre qui incarne le mieux cette volonté et cette détermination à faire partir tous les hommes du système. Chaque fois que le pouvoir fait des concessions, chaque fois qu’un de ses symboles tombe, la rue répète à l’unisson : « Yetna7aw Ga3 ». L’autre slogan qui résume la révolution est « sylmia, sylmia » (pacifique, pacifique). Il dit combien les Algériens tiennent aussi au caractère pacifique des manifestations.
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