[Tribune] Qatar : les vraies-fausses révélations sur le financement des cultes musulmans en France

Si le livre « Qatar Papers » met en lumière la problématique du financement du culte musulman en France, il pèche par de nombreuses approximations, notamment sur le rôle de l’émirat.

La Grande Mosquée de Paris. © Wikimedia Commons

La Grande Mosquée de Paris. © Wikimedia Commons

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  • Malik Boumédiène

    Maître de conférences à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, enseignant-chercheur au Credof (Paris-X)

Publié le 30 mai 2019 Lecture : 4 minutes.

Les deux journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot viennent de publier Qatar Papers, un livre qui alimente la polémique sur le financement de l’islam en France. Ils y défendent la thèse selon laquelle l’argent injecté par le Qatar dans la construction de mosquées en France via l’ONG Qatar Charity servirait à disséminer au sein de la « communauté musulmane » un islam rigoriste à portée politique, fortement lié aux Frères musulmans, dont ces lieux de culte seraient les vecteurs de diffusion.

Si le livre met en lumière la problématique du financement du culte musulman en France et donne un aperçu du bricolage que les fidèles musulmans réalisent pour sortir les salles de prière des caves, il pèche par de nombreuses approximations. Les auteurs ne recontextualisent que très peu et développent même des thèses fallacieuses, n’hésitant pas à instrumentaliser les propos de leurs interlocuteurs. M. Djebli, de l’association Culture et Citoyenneté de Clermont-Ferrand, s’est ainsi insurgé quant à la surinterprétation de ses paroles comme de ses silences, auxquels Georges Malbrunot a voulu prêter du sens, selon les conclusions auxquelles il souhaitait parvenir.

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Les fidèles principaux pourvoyeurs de fonds

Sur le plan financier, là également aucun discernement n’est fait quant au poids des sommes engagées par le principal opérateur qatari ciblé, Qatar Charity. C’est le cas quand il s’agit du nombre de projets soutenus (22) par rapport au nombre de lieux de culte musulmans en France (1 800). C’est encore le cas eu égard aux sommes engagées, qui s’élèvent à 25 millions d’euros sur une dizaine d’années. Ou encore quand on s’aperçoit que les chèques versés par l’ONG qatarie ne représentent qu’une part marginale du budget total, comme c’est le cas pour la « mosquée cathédrale » de Décines (région lyonnaise), qui a reçu une participation de 60 000 euros sur un budget de 5 millions.

Les fidèles sont d’ailleurs très majoritairement les pourvoyeurs de fonds de leurs lieux de culte à travers la zakat (l’« aumône »). Traditionnellement, en France, ce sont les consulats des pays d’origine de la majorité des fidèles qui contribuent au financement des mosquées pour mieux s’en disputer le leadership, comme l’Algérie à travers sa tête de pont qu’est la mosquée de Paris, ou d’autres pays comme le Maroc ou la Turquie. L’Arabie saoudite est également devenue, depuis quelque temps, un grand argentier du déploiement de l’islam wahhabite dans le monde entier par l’intermédiaire de la Banque islamique de développement sans que cela intéresse outre mesure les auteurs.

Il y a plus souvent des irrégularités comptables banales que des anomalies susceptibles de constituer l’infraction de financement du terrorisme

Au sujet du financement de l’islam en France, Bruno Dalles, directeur de Tracfin, estime que, « dans ces associations, [il y a] plus souvent des irrégularités comptables banales que des anomalies susceptibles de constituer l’infraction de financement du terrorisme ». Il ajoute : « Les associations participant à la mise en place de lieux de prière que nous avons examinées ont souvent une faible surface financière, et il est rare que leurs fonds proviennent de l’étranger ». S’agissant du Qatar spécifiquement, il précise que, « dans l’un [des] dossiers, sur un budget de 2 millions d’euros, 1,3 million d’euros viennent d’une personne privée originaire du Qatar ». Nous sommes loin de la vision avancée par les auteurs, qui font de l’émirat un opérateur de premier plan.

Risques idéologiques

L’agenda de ce livre anxiogène ne doit d’ailleurs rien au hasard, puisqu’il paraît dans la période préélectorale du scrutin européen, généralement marquée par les questions d’immigration et d’islam. Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen s’est évidemment saisi du sujet. Même Emmanuel Macron lui a emboîté le pas avec un discours de fermeté contre « l’islam politique qui veut faire sécession avec la République » dont il n’était jusque-là pas coutumier. Il prévoit également « le renforcement des contrôles sur les financements venant de l’étranger ». Soudaine conviction gagnée à la faveur d’une fiche de lecture du livre ? Ou perche tendue à l’électorat de la droite traditionnelle ?

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Les auteurs promeuvent in fine l’idée d’une stratégie d’endoctrinement des masses populaires musulmanes par le Qatar, notamment dans les « quartiers perdus de la République ». Et en tirent des conclusions sur la mise à mal du pacte républicain, flirtant par là avec la théorie du choc des civilisations, ou même celle du grand remplacement.

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À ce risque idéologique en répond un autre, celui qui consiste à penser la communauté musulmane comme un ensemble monolithique. Une vision qui essentialise des millions de ­Français, réduits à une potentielle armée « ennemie de l’intérieur » qui viserait à terme la sécession.

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