[Tribune] Interventions étrangères : l’échec afghan se répète-t-il au Mali ?
Aujourd’hui, tant l’Afghanistan que le Mali sont des échecs de luttes anti-insurrectionnelles, pour lesquelles la polarisation des identités empêche un règlement solide et durable des conflits. C’est l’analyse que dresse le chercheur Arthur Stein spécialiste des guerres civiles et de la reconstruction post-conflits.
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Arthur Stein
Doctorant au Département de science politique de l’Université de Montréal, travaillant sur les guerres civiles et la reconstruction post-conflits en Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient.
Publié le 28 mai 2019 Lecture : 5 minutes.
Cette tribune a initialement été publiée sur le site de The Conversation.
Par Arthur Stein, doctorant au Département de science politique de l’Université de Montréal
Avec environ 1700 soldats, le Mali est aujourd’hui le pays qui accueille le plus gros contingent de militaires de l’opération Barkhane, une intervention menée au Sahel et au Sahara par l’armée française pour lutter contre certains groupes armés dans la région. Bien que long et coûteux, l’engagement militaire dans le Sahel malien est pourtant, jusqu’à maintenant, incapable de juguler des tensions ancrées et irréductibles sur ce territoire.
Les points communs entre le conflit qui touche aujourd’hui violemment le centre et le nord du Mali et la guerre en Afghanistan depuis 2001 sont nombreux. En voulant rétablir de solides institutions étatiques, et la légitimité politique de gouvernements peu populaires, les forces intervenantes venues de l’étranger ont, au contraire, participé à une exacerbation des fragmentations ethniques et communautaires. Dans les deux cas, les conséquences semblent désormais durables.
La volonté de « gagner les cœurs et les esprits »
Le Mali, tout comme l’Afghanistan auparavant, sont des cas d’école d’une tendance observée depuis le début des années 2000 : en matière de résolution des conflits, la ligne est de plus en plus difficile à tracer entre ce qui relève d’un maintien de la paix traditionnel, non-discriminant et universel, et ce qui s’apparente à de simples outils de politique étrangère utilisés par des États puissants au sein de l’ordre international.
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Bien qu’anciennes et légitimement décriées, les stratégies dites « contre-insurrectionnelles » ont été réhabilitées comme modèle privilégié d’intervention lors de conflits. Elles font intervenir des acteurs aux capacités très asymétriques : d’un côté de puissants États et de l’autre, des groupes aux implantations localisées et peu dotés en ressources de combat.
Observées en Afghanistan d’abord puis au Mali, ces doctrines mêlent des activités civiles et militaires, et visent essentiellement à acquérir le soutien majoritaire des populations locales pour prendre le dessus sur l’adversaire désigné.
Comme l’objectif est d’exercer une forme de gouvernementalité sur un territoire, de gagner « les cœurs et les esprits», ces méthodes impliquent des coûts exorbitants pour les pays impliqués.
Cette « miliciarisation » a permis à des organisations armées souvent dénuées de toute légitimité politique au niveau national d’accéder à des ressources importantes
Assurer le maintien de l’ordre et l’entretien d’infrastructures défaillantes nécessitent une mobilisation massive de ressources humaines, économiques ou logistiques. Le coût politique est tout aussi important. Ces interminables interventions militaires sont perçues comme des échecs par l’opinion publique des pays déployés, des guerres illégitimes et non reliées à des intérêts immédiats.
Sous-traitance douteuse
Pour pallier à un manque certain de ressources pouvant être mobilisées, les pays intervenants ont souvent adopté une même solution : ils ont délégué à d’autres les tâches qu’ils ne pouvaient assumer eux-mêmes. En Afghanistan et au Mali, ils ont notamment sous-traité des opérations de maintien de l’ordre à des groupes armés non-étatiques, des milices définies selon des clivages communautaires, ethniques ou tribaux.
Par ce mouvement décrié de « miliciarisation », des organisations armées souvent dénuées de toute légitimité politique au niveau national ont pu accéder à des ressources importantes.
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Le problème est que les conflits sont des périodes de transformations des identités. Recruter des milices de cette manière a une influence réelle sur la durée et la gravité des hostilités.
En choisissant les groupes soutenus, et ceux exclus, les forces étrangères tracent arbitrairement des lignes entre les « bons » et les « méchants », les milices fréquentables et celles à combattre. Des tensions communautaires anciennes sont potentiellement réactivées.
De plus, comme les groupes recrutés tirent des ressources inédites de leurs nouvelles alliances, ils ont tendance à favoriser le maintien d’une zone grise entre un règlement complet du conflit et des hostilités ouvertes.
Une histoire qui se répète ?
L’Afghanistan a bien été un exemple cinglant de cette « miliciarisation ». Des logiques contre-insurrectionnelles ont été mises en place dès 2001 dans le pays, dans le but de stabiliser les institutions ad hoc créées à la chute du régime taliban. La Police locale afghane (PLA) a été en partie construite sur des bases ethniques pour appuyer les intérêts de l’armée américaine, offrant à des milices tribales des ressources dont elles ne pouvaient se prévaloir auparavant.
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Dans la province de Kunduz notamment, dans le nord du pays, de nombreuses milices tadjikes, ouzbeks ou encore turkmènes ont été entraînées, armées et soutenues pour défendre les intérêts de la lutte anti-talibans. Il était impossible à l’armée américaine et ses alliés d’assurer une présence continue sur l’ensemble du territoire afghan.
Les ressources distribuées ont cependant été rapidement manipulées par leurs récipiendaires pour servir leurs intérêts propres. Les tensions communautaires préexistantes ont peu à peu été renforcées, quand la sécurité des populations locales s’est rapidement dégradée. Cet exemple symbolique de l’échec des doctrines contre-insurrectionnelles n’a malheureusement pas entrainé leur abandon.
Au Mali, plusieurs rapports récents ont démontré l’appui du gouvernement central et de la force Barkhane à des groupes armés non-étatiques dans le nord du pays, et à la frontière avec le Niger. Le but, une fois encore, est de pallier l’incapacité des forces armées à évoluer dans des territoires vastes et inconnus.
Le résultat est là aussi une exacerbation des luttes intercommunautaires, désormais à leur paroxysme. Un règlement du conflit malien à court et moyen terme est aujourd’hui hors de propos, tant la logique militaire a pris le dessus sur une approche de résolution politique des différends.
Près de six ans après les premiers combats contre les groupes armés, la mission des soldats français n’est pas près de s’achever.
Repenser la construction de la paix
« Diviser pour mieux régner », disait l’adage. Mais gagner la guerre a peu de sens, si la paix qui lui succède est si fragile. Les pays intervenants ont finalement peu appris des erreurs passées. Ils n’ont pas pris conscience de la contradiction entre la volonté de stabiliser un espace et de créer des institutions stables, et la délégation de missions de maintien de l’ordre.
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Les groupes armés ont des intérêts nécessairement éloignés de ceux des armées étrangères. Ils sont très difficilement contrôlables, même par les structures qui les financent et les arment. Leur démobilisation après les conflits est un enjeu de taille, trop mal gérée dans les cas afghans et maliens pour permettre un retour à la stabilité. Le risque de résurgence des violences augmente inéluctablement.
Aujourd’hui, tant l’Afghanistan que le Mali sont des échecs de luttes anti-insurrectionnelles, pour lesquelles la polarisation des identités empêche un règlement solide et durable des conflits.
Après 18 ans de guerre, les talibans semblent plus puissants que jamais, tandis que les tensions intercommunautaires déchirent toujours plus le Mali. Faisant plus de 130 morts parmi les civils, la terrible attaque du 23 mars dernier dans la région de Mopti est tragiquement venue nous rappeler le besoin urgent de repenser la construction de la paix.
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