Cameroun – Patrick Mboma : « Après notre victoire à la CAN 2000 face au Nigeria, l’ambiance était lourde »
Patrick Mboma fut l’un des hommes clés du Cameroun lors de la CAN 2000. Pour Jeune Afrique, l’ancien buteur des Lions indomptables revient sur cette victoire arrachée dans une atmosphère hostile, à Lagos, face aux Super Eagles (2-2, 4-3 aux t.a.b).
Pour la première fois de l’histoire, en l’an 2000, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) est organisée par deux pays, le Nigeria et le Ghana. Initialement, la CAN 2000 devait être organisée au Zimbabwe mais face au retard accumulé par le pays d’Afrique australe, la Confédération africaine de football (CAF) avait décidé de lui retirer le dossier, et de procéder à un nouvel appel à candidatures.
L’ancien buteur Patrick Mboma n’a rien oublié de l’épopée camerounaise, scellée par l’obtention d’un titre qui échappait aux Lions indomptables depuis 1988. Il revient pour Jeune Afrique sur cette victoire, alors que le Cameroun dispute désormais la CAN 2019.
Jeune Afrique : Comment le Cameroun abordait-il cette CAN 2000 ?
Patrick Mboma : Gonflé à bloc ! En 1998, au Burkina Faso, nous avions été sortis en quarts de finale par la RDC (0-1). Nous avions aussi toujours en travers de la gorge notre élimination injuste lors du premier tour de la Coupe du monde 1998 en France. Je faisais partie de ceux qui étaient convaincus qu’on allait gagner cette CAN. Dès l’été 1999, alors que j’étais en stage dans les Dolomites avec mon club de Cagliari, je passais des coups de fil à mes coéquipiers de la sélection pour les booster, leur parler de la CAN.
Au Ghana, où vous disputez le premier tour, les choses se passent bien…
On fait d’abord match nul face aux Ghanéens (1-1), puis on effectue une véritable démonstration de force contre la Côte d’Ivoire (3-0). Je marque d’ailleurs un but lors de ce match. Ce résultat nous a mis dans la peau d’un favori.
On s’incline ensuite contre le Togo (0-1), alors que notre sélectionneur, Pierre Lechantre, avait laissé des joueurs au repos. On élimine l’Algérie en quarts de finale (2-1), sans trop de difficultés. On sent chez nous une grande sérénité, beaucoup de confiance. Cela se confirme en demie, contre la Tunisie (3-0) : un très gros match, dans un stade à Accra hélas presque vide (6 000 spectateurs). Je marque deux buts, alors que le gardien tunisien, Chokri El Ouaer, effectue un grand match.
Arrive enfin cette finale contre le Nigeria, à Lagos…
Nous étions arrivés quarante-huit heures avant la finale. Quarante-huit heures très longues. L’hôtel où nous étions était grand par la taille, moins pour la qualité du service…
Il y avait inconsciemment chez nous une forme de paranoïa
On connaissait en effet la réputation de Lagos mais nous n’avons pas été menacés ou importunés. Malgré tout, nous avions un peu tendance à nous méfier de tout. On prenait tous nos repas à l’ambassade du Cameroun, pour être certains de ce que nous mangions. Il y avait inconsciemment chez nous une forme de paranoïa.
Le stade du Surulere, où se joue la finale, est connu pour être l’un des plus bouillants d’Afrique. Vous confirmez ?
Complètement. Et le Nigeria n’y perdait presque jamais ! Il y avait chez les supporteurs nigérians une vraie hostilité, une vraie agressivité à notre égard. Je me souviens du nombre impressionnant de policiers dans le stade. Je crois que le président de la CAF, le Camerounais Issa Hayatou, avait exigé des conditions de sécurité maximale. Lors de l’échauffement, une chose me frappe…
Laquelle ?
Les Nigérians n’étaient pas venus sur la pelouse pour s’échauffer. Ils l’avaient fait dans une salle, à l’intérieur. Leur attitude, dans le couloir menant au terrain, était bizarre : ils faisaient comme si nous n’étions pas là.
On entendait les insultes contre nous
Ils ne nous saluaient pas, alors qu’on se connaissait presque tous. Et avant le coup d’envoi, leur poignée de main était d’une froideur… Dans le stade, l’ambiance était un peu malsaine, lourde. On entendait les insultes contre nous.
Vous menez rapidement 2-0, grâce à Samuel Eto’o, puis à votre quatrième but de la compétition…
Oui, au bout de trente minutes, Samuel marque de près, sur un coup franc, puis je l’imite avec un ballon qui passe sous le ventre du gardien nigérian. Je n’exulte pas. Ma joie est assez intérieure. Je sais que mon attitude avait surpris, à l’époque. Bref, je sens que les Super Eagles sont à terre, leurs supporteurs également.
Pourtant, ils reviennent à 1-2, juste avant la mi-temps, puis Okocha égalise sur un superbe but. Je ne suis pas très inquiet. Le score ne bouge plus, il y a de la fatigue dans les deux camps, je rate même une grosse occasion. Je me sens lourd…
Le Nigeria aurait-il remporté la CAN si son tir au but avait été accordé ?
Arrive cette séance de tirs au but, avec un véritable tournant…
Vous voulez parler du penalty du Nigérian Victor Ikpeba ? En effet, quand on a revu cela à la télé, on voit bien que le ballon a franchi la ligne après avoir touché la barre. Mais dans le stade, personne ne s’est plaint ! Et les joueurs nigérians n’ont rien dit.
À l’époque, la Goal Line Technology n’existait pas. Seul notre gardien, Alioum Boukar, avait vu que le ballon était entré. Il nous l’a dit bien plus tard. On lui a dit en rigolant : « Mais tu es un bandit ! »
Le Nigeria aurait-il remporté la CAN si son tir au but avait été accordé ? Personne ne peut le savoir. C’est Rigobert Song qui marque et qui nous donne le titre. « Rigo », pourtant, ce n’était pas un habitué de cet exercice. Mais il n’a pas tremblé. Ensuite, je suis dans une bulle, je savoure ce titre. C’est après que ça s’est compliqué.
On nous demande ensuite de rejoindre notre bus, sous escorte policière
Comment ça ?
Depuis notre vestiaire, on entendait les cris des supporteurs nigérians. Et on nous demande ensuite de rejoindre notre bus, sous escorte policière. Et là, on comprend pourquoi : il y a un gros dispositif de sécurité. On ne sait pas si les Nigérians veulent s’en prendre à nous ou à leurs joueurs, mais les scènes qui suivent sont assez chaudes.
On est dans le bus et on voit les policiers disperser plusieurs fois la foule avec des gaz lacrymogènes et avec leur matraque. On a surtout peur pour les gens dehors, que certains soient bousculés, piétinés… Cela a duré un bon moment. Nous avons alors décidé de ne pas passer la nuit à Lagos, et on a obtenu que notre avion décolle le soir même. Nous sommes arrivés à Yaoundé à deux ou trois heures du matin, il y avait beaucoup de monde pour nous accueillir. Et moi, je ne suis jamais retourné au Nigeria…
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