Tunisie : polémique autour d’un projet d’amendement de la loi électorale

À quelques mois des élections présidentielle et législatives, un projet d’amendement de la loi électorale, permettant entre autres d’écarter des scrutins les dirigeants de médias ou d’associations, créé la polémique. Face au tollé, l’examen du projet a été reporté.

L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en Tunisie, lors de l’inauguration du nouveau Parlement le 2 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en Tunisie, lors de l’inauguration du nouveau Parlement le 2 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Publié le 31 mai 2019 Lecture : 4 minutes.

C’est un projet d’amendement qui passe mal. Faute d’accord entre les blocs parlementaires tunisiens, la proposition relative aux élections et aux référendums, présentée le 29 mai par la Coalition nationale – qui représente le parti Tahya Tounes, soutien du gouvernement -, a été reportée sine die.

Un premier projet d’amendement avait été présenté quelques mois plus tôt sans avoir trouvé d’adhésion. Il portait essentiellement sur le relèvement du seuil de représentativité électorale de 3 à 5 %. Il avait même fait l’objet de nombreux débats et provoqué l’hostilité des petits partis, qui se voyaient ainsi écartés de l’hémicycle sur la prochaine législature. L’affaire, loin d’être close, a trouvé un nouveau sursaut avec l’actuelle et inattendue reconfiguration de la scène politique.

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La montée en puissance de Nabil Karoui semble notamment déranger. Le fondateur de la chaîne privée Nessma TV – actif dans l’association Khalil Tounes -, qui vient d’annoncer sa candidature à la présidentielle de novembre, bénéficie de 32 % d’intentions de vote. Autre point qui déstabilise : l’émergence du collectif associatif 3ich Tounsi, cofondé par Olfa Terras Rambourg et notamment porteur de fortes revendications populaires. Tous deux sont perçus comme des trouble-fêtes qui bouleversent la donne, au point d’inquiéter une classe politique qui croyait avoir le jeu électoral en main.

En réaction, le projet de loi a aussitôt été réactivé avec l’ajout des deux mentions qui divisent : l’interdiction pour les dirigeants de médias de se présenter aux scrutins législatifs et présidentiel, et l’exploitation des financements des associations. Dans ce contexte, Nabil Karoui et le mouvement 3ich Tounsi seraient notamment écartés des scrutins.

Des propositions qui divisent

Certains y ont vu un passage en force législatif, et ont dénoncé une atteinte à la démocratie. « Il s’agit d’une atteinte au processus de transition démocratique à l’approche des échéances électorales, qui risque de consacrer le pouvoir de la majorité au gouvernement. Il traduit aussi une volonté de saper les efforts des forces démocratiques et restreindre le pluralisme et la diversité au Parlement », a asséné Zouhair Maghzaoui, député du bloc démocratique. De son côté, la société civile dénonce un retour à une dictature masquée et une tentative d’hégémonie de la part des partis au pouvoir.

Dans leur ligne de mire se trouve le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et sa position politique ambiguë. S’il n’a pas démissionné de sa formation Nidaa Tounes, il profite du soutien de Tahya Tounes sans se prononcer sur une éventuelle candidature à la présidentielle. « Il serait temps qu’il sorte du bois… », souligne un analyste sous couvert d’anonymat.

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Afin de parvenir à un consensus, Iyed Dahmani, ministre chargé des Relations avec l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et porte-parole du gouvernement, a ainsi tenté un passage en force, menant en personne les débats pour demander le report de l’adoption du projet de la loi. Il a obtenu gain de cause pour « motif d’équité électorale » selon Front populaire, qui s’est diffracté au même moment. Iyed Dahmani semble néanmoins avoir commis des erreurs stratégiques en dévoilant que Nabil Karoui était bien la cible de cette offensive, alors que l’homme de médias a quitté ses fonctions au sein de la chaîne depuis 2016 et n’est que bénévole dans l’association Khalil Tounes.

Confusion

N’ayant pas réussi à dégager une majorité, la proposition d’amendement doit de nouveau être soumise à discussions, mais semble déjà mort-née. En l’absence de Mohamed Fadhel Mahfoudh, ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l’homme, qui devait présenter les arguments légaux pour étayer le projet, les discussions ont été suspendues, tandis qu’Iyed Dahmani appelait encore à trouver un consensus.

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« Les discussions de la semaine prochaine sont dédiées aux régions et le Parlement ne revient que le 12 juin, soit un mois avant le démarrage des dépôts de candidature… Il ne sera plus possible d’en débattre », a déploré Hassouna Nasfi, secrétaire général de Machrou Tounes.

Le difficile consensus, et la hâte soudaine du gouvernement à vouloir amender la loi électorale dans des délais trop courts, à quelques mois du déclenchement du processus électoral, interpellent. Ils soulignent la fragilité politique du chef de l’exécutif et témoigne des désaccords qui persistent au sein de l’hémicycle, où la stratégie du consensus ne prend plus. Une situation qui risque fortement de compliquer le reste du mandat de l’Assemblée et d’accentuer l’amertume de l’opinion publique. « Durant toute la législature, des lois importantes n’ont jamais été votées et là, se sentant menacés de toutes parts, ils vont voter des lois en catimini pour sauver leurs têtes… C’est révoltant ! », scandent certains internautes sur les réseaux sociaux, quand d’autres dénoncent une volonté d’exclusion.

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