Hervé Renard : « En 2015, la Côte d’Ivoire voulait marquer l’histoire de la CAN »

Hervé Renard a remporté la CAN en 2012 avec la Zambie, et en 2015 avec la Côte d’Ivoire. Le sélectionneur français du Maroc revient sur ces deux performances qui ont fait de lui l’un des techniciens les plus respectés d’Afrique.

Hervé Renard, le sélectionneur du Maroc, à la veille du match entre le Maroc et l’Espagne au Lokomotiv stadium à Kaliningrad en Russie, le 24 juin 2018. © Petr David Josek/AP/SIPA

Hervé Renard, le sélectionneur du Maroc, à la veille du match entre le Maroc et l’Espagne au Lokomotiv stadium à Kaliningrad en Russie, le 24 juin 2018. © Petr David Josek/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 24 juin 2019 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de votre retour en Zambie, en novembre 2011 ? 

Hervé Renard : J’avais entraîné cette sélection entre mai 2008 et avril 2010. Lors de la CAN 2010, nous avions atteint les quarts de finale face au Nigeria.

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J’étais ensuite parti en Angola, puis à l’USM Alger. Dans le contrat que j’avais signé avec Ali Haddad, j’avais une clause me permettant de partir si une sélection faisait appel à moi. La Zambie m’a recontacté en novembre 2011, et j’y suis retourné, avec mon adjoint Patrice Beaumelle. On connaissait le potentiel de cette équipe.

Comment aviez-vous préparé cette CAN ?

Nous étions partis en stage en Afrique du Sud, à Johannesburg, avec des joueurs que j’avais déjà dirigés, pour la grande majorité. On fait deux matches amicaux – deux 0-0 – et un jour, après un entraînement, je croise un supporter zambien qui me dit sèchement : « Tu es revenu en Zambie pour bouffer nos impôts ! » Je n’avais pas répondu, mais c’était inattendu.

Bref, on part ensuite en Guinée équatoriale, avec un objectif, faire mieux qu’en 2010. On tombe dans un groupe avec le Sénégal, un des favoris, la Libye et la Guinée équatoriale. Un groupe avec des pièges.

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On débute par un succès (2-1) face aux Sénégalais, qui nous prennent un peu à la légère, surtout en première mi-temps, où on mène vite 2-0. Ensuite, on fait match nul avec la Libye (2-2) et on bat la Guinée équatoriale (1-0). On voulait terminer à la première place.

Avant d’affronter le Soudan en quarts de finale (3-0), l’équipe est secouée par une petite crise qui aurait pu la déstabiliser…

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Oui. Un des joueurs zambiens, Clifford Mulenga, n’avait pas un comportement acceptable. Il ne jouait pas et posait problème à l’intérieur du groupe. Je l’avais averti à plusieurs reprises, il n’en a pas tenu compte. J’ai donc prévenu Kalusha Bwalya, le président de la fédération, que je souhaitais exclure ce joueur. Il m’a dit de faire ce que j’estimais bon pour le groupe. Je l’ai viré et on a fini la CAN à vingt-deux.

Arrive cette demi-finale contre le Ghana…

Il faut se souvenir que j’avais été l’adjoint de Claude Le Roy au Ghana, et on avait terminé quatrième de la CAN 2008, organisée dans ce pays. Et je retrouve des joueurs que je connaissais très bien. À la mi-temps, mon équipe n’est pas dans le coup. Je dis aux gars que s’ils veulent rentrer à Lusaka le soir même, ils n’ont qu’à continuer comme ça. Ça a dû les booster, car on gagne 1-0, avec la Côte d’Ivoire comme adversaire en finale.

Notre parcours était déjà magnifique, il pouvait devenir exceptionnel

Comment préparez-vous cette finale ?

Je dis aux joueurs qu’on ne peut pas se contenter de la deuxième place. Qu’ils peuvent marquer l’histoire du football zambien et africain. Et qu’on ne laisse de trace que si on gagne un titre. Notre parcours était déjà magnifique, il pouvait devenir exceptionnel.

La Côte d'Ivoire, championne d'Afrique en 2015. © Sunday Alamba/AP/SIPA

La Côte d'Ivoire, championne d'Afrique en 2015. © Sunday Alamba/AP/SIPA

On savait que les Ivoiriens se méfieraient de nous. Ils étaient favoris, forcément, avec une génération exceptionnelle. Cette finale débouche sur un match assez fermé. Didier Drogba rate un penalty, et nous, on tire sur le poteau. On connaît la suite : 0-0 à la fin du temps réglementaire, et cette séance de tirs-au-but, très longue, qu’on gagne 8-7.

Nous avions la meilleure équipe du tournoi, pas d’Afrique. Mais une équipe qui a su souffrir, pas seulement bien jouer. Et puis, il y a eu ce retour à Lusaka, les trois heures pour faire les dix-sept kilomètres entre l’aéroport et le centre-ville de la capitale… Les Zambiens nous disaient qu’on avait mis la Zambie sur la carte du monde grâce à cette victoire.

Remporter une CAN qui échappait à la Côte d’Ivoire depuis 1992.

Trois ans plus tard, on vous retrouve à la tête de la Côte d’Ivoire. L’objectif ne devait pas être le même qu’en Zambie.

En effet, quand on vient vous chercher pour entraîner une telle équipe, c’est pour gagner la CAN. Avec le respect d’avoir gagné la CAN 2012 contre les Éléphants. Cela compte auprès des joueurs, cela renforce la crédibilité. Mais nous n’avions pas spécialement parlé de 2012. La Côte d’Ivoire n’avait plus Drogba depuis la Coupe du monde 2014, mais il restait de grands joueurs, comme Yaya Touré, Kolo Touré, etc… Des hommes qui avaient peut-être une dernière chance de remporter une CAN qui échappait à leur pays depuis 1992.

Pourtant, au premier tour, la Côte d’Ivoire est aux portes de l’élimination avant son troisième match face au Cameroun. 

On commence par un match nul face à la Guinée (1-1), et un autre face au Mali (1-1). Deux matches très moyens de notre part. Mon équipe est à chaque fois menée au score, et elle revient tardivement.

On sent qu’on peut aller loin, très loin

Au pays, les premières critiques fusent, mais avec le staff et les joueurs, on sait qu’on monte en puissance, que nous sommes prêts pour ce choc face au Cameroun. Et c’est ce qui se produit. On gagne grâce à un but de Gradel, à l’issue d’un match sérieux, bien maîtrisé. Ce match est un tournant. Il se dégage une vraie force de cette équipe. On sent qu’on peut aller loin, très loin.

On le confirme face à l’Algérie de Christian Gourcuff, en quarts de finale (3-1). Trois buts, un match convaincant et mes cadres qui répondent à mes attentes : c’était vraiment idéal.

Au moment d’affronter la RD Congo en demi-finales, vos joueurs ont-ils le sentiment que le titre ne peut plus leur échapper ?

Il n’y avait pas d’excès de confiance. La Côte d’Ivoire avait échoué plusieurs fois avant cette CAN, alors qu’elle était considérée comme l’un des favoris. Mais on sentait une vraie sérénité, une volonté de marquer l’histoire. Et cette demi-finale face à la RDC (3-1) est sans doute le match le plus facile de cette CAN. Ou le moins difficile. On arrive donc en finale face au Ghana avec cette étiquette de favori.

N’était-elle pas trop lourde à porter ?

Non, les joueurs y étaient habitués. Ils n’étaient pas tétanisés par l’événement. Au contraire, ils étaient très déterminés, concentrés. Avant un match comme celui-ci, il ne faut pas forcément faire de grands discours. Il faut gérer les détails, se préparer dans une ambiance sérieuse, bien sûr, le tout dans la bonne humeur. La tuile, elle arrive pourtant quand notre gardien, Sylvain Gbohouo, se blesse. J’annonce donc à Copa Barry, le remplaçant, qu’il va joueur la finale.

On dit toujours que la première est la plus belle. Moi, j’ai adoré les deux !

Sans vous douter qu’il deviendra le héros de ce match…

Copa, c’est un gardien expérimenté, serein, calme. Il s’est tout de suite mis dans son match. Il est concentré du début à la fin. La partie est assez fermée, il y a peu d’occasions.

La séance de tirs-au-but commence mal : Bony et Tallo manquent les leurs. Et là, je me dis que c’est mal barré ! Puis, tout a basculé quand les Ghanéens ont raté deux penalties. Il s’est passé quelque chose, et l’apothéose de cette finale, c’est quand Barry repousse le tir-au-but de Razak, le gardien du Ghana, puis marque le sien et nous donne la victoire (0-0, 9-8 aux t.a.b).

Une belle histoire, car la Côte d’Ivoire attendait ce titre depuis 1992. Avant la phase finale, parce que notre campagne de qualification avait été difficile, certains avaient été très critiques avec l’équipe. Après cette victoire, ils furent les premiers à danser sur les tables (rires)…

J’ai gagné deux CAN. On dit toujours que la première est la plus belle. Moi, j’ai adoré les deux !

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