Affaire Chebeya : Paul Mwilambwe prêt à témoigner en RDC contre John Numbi et Joseph Kabila
Témoin clé et coaccusé dans l’affaire Floribert Chebeya, l’ex-policier Paul Mwilambwe est en attente d’un procès au Sénégal. Condamné à mort par contumace en RDC, il continue d’incriminer Joseph Kabila dans le meurtre du défenseur des droits de l’homme, à Kinshasa, le 1er juin 2010. Jeune Afrique l’a rencontré à Dakar.
Condamné à mort par contumace en République démocratique du Congo, l’ex-commandant chargé de la sécurité à l’inspection générale de la police de Kinshasa est en exil au Sénégal depuis cinq ans.
Avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, il appelle aujourd’hui le régime congolais à demander son extradition, afin de répondre devant la justice de son pays. Neuf ans jour pour jour après l’assassinat de Floribert Chebeya, Jeune Afrique a rencontré Paul Mwilambwe à Dakar.
Jeune Afrique : Vous avez été condamné à mort en 2011 par la justice congolaise et vous avez toujours affirmé que le régime de Joseph Kabila cherchait à vous éliminer. Pourquoi souhaitez-vous aujourd’hui être extradé par le Sénégal ?
Paul Mwilambwe : Je veux que la République démocratique du Congo demande mon extradition parce que je vis caché au Sénégal depuis cinq ans et je n’ai toujours pas été jugé. Je veux simplement que la justice fasse son travail.
Le pouvoir vient de changer dans mon pays, et celui que je mettais en cause était Joseph Kabila. Il n’a plus la main mise sur la justice.
L’alternance en République démocratique du Congo reste toutefois relative. Et John Numbi, que vous affirmez être le commanditaire de l’assassinat, est toujours un haut gradé de l’armée…
Si le Sénégal est prêt à relancer le dossier, je resterai. L’essentiel pour moi est que la procédure avance et que justice soit faite. J’ai été jugé par contumace en République démocratique du Congo sans pouvoir me présenter à la justice. On a fait croire que j’étais en fuite alors que j’avais été enlevé par les services de renseignement. J’ai été condamné en première instance, pas définitivement. Si je suis extradé, je ferai appel.
Je veux faire confiance au nouveau régime.
Je sais que je cours un risque et que Numbi est un haut gradé. Mais le commandant suprême des armées et de la police est Félix Tshisekedi, et il a l’obligation d’assurer ma sécurité comme celle de tous les citoyens congolais. Je veux faire confiance au nouveau régime.
Cela fait cinq ans qu’une procédure a été lancée au Sénégal. Comment expliquez-vous n’avoir toujours pas été jugé ?
On m’a plusieurs fois annoncé l’ouverture d’un procès, et puis rien, sans aucune explication. On se contente de me dire d’attendre. J’ai demandé l’asile au Sénégal mais je ne peux pas obtenir le statut de réfugié en étant sous contrôle judiciaire.
La procédure a traîné par peur des répercussions, notamment sur les ressortissants sénégalais en RDC. Je suis coincé ici, autant rentrer chez moi où le nouveau régime me permettra d’être présenté à la justice. J’ai des éléments accablants pour prouver le rôle de Joseph kabila et de l’ex-chef de la Police John Numbi dans l’assassinat de Chebeya et de son chauffeur. Si le Sénégal ne fait rien, c’est que le dossier est politique.
Quels sont ces éléments ?
Je ne peux rien révéler encore. Mais il faut savoir que je n’ai ni assisté directement ni participé à l’assassinat de Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana. Étant chargé de la sécurité à l’époque, j’avais accès aux caméras de surveillance. C’est à travers elles que j’ai vu ce qu’il s’est passé.
Ce soir-là, le major Christian Ngoy m’a amené Chebeya, me disant qu’il avait rendez-vous avec John Numbi qui lui n’était pas présent. C’était en dehors des heures de service, mais ça n’avait rien d’inhabituel. Nous avons parlé plus d’une heure, puis le major Ngoy est venu chercher Chebeya en lui expliquant qu’il allait l’accompagner au domicile de John Numbi.
Je suis sorti et j’ai vu Chebeya dans une jeep de la police, sans doute était-il déjà mort.
Là, huit ou neuf policiers en civil l’attendaient à la réception et se sont jetés sur lui. Ils lui ont mis le sac plastique autour de la tête. Je suis sorti et j’ai vu Chebeya dans une jeep de la police, sans doute était-il déjà mort. C’est là que Christian Ngoy m’a dit qu’il valait mieux que je me taise. Il m’a dit que John Numbi ne savait pas que j’étais présent et que si je parlais, ma vie serait en danger, parce que l’ordre d’assassiner Chebeya venait du président Joseph Kabila.
Vous prenez alors la fuite…
Je n’ai jamais été en fuite ! J’ai été enlevé et détenu à Kinshasa entre avril et juillet 2011 par les services de renseignements. Ce sont eux qui m’ont empêché de me présenter devant la justice parce qu’ils avaient peur que je parle. Le 8 juillet, j’ai été déplacé en avion cargo de la compagnie Transair jusqu’à Lubumbashi par l’Agence nationale de renseignement (ANR), un service qui dépend directement du président de la République. Je suis parvenu à m’enfuir par la fenêtre des toilettes de la maison où j’étais gardé captif à Lubumbashi.
Je me suis caché pendant presque deux ans dans un pays frontalier d’Afrique de l’Est que je ne peux pas citer. Je suis alors entré en contact avec le réalisateur belge Thierry Michel à qui j’ai livré mon témoignage, ainsi qu’avec des organisations de défense des droits de l’homme.
Vous choisissez ensuite de vous exiler au Sénégal, dont la justice peut être saisie de crimes de torture au titre de la compétence universelle. Saviez-vous que vous y seriez poursuivi ?
Je savais qu’une plainte serait déposée contre moi, j’étais d’accord avec ça parce que contrairement à la République démocratique du Congo, le Sénégal m’aurait permis de témoigner et de me défendre.
Mais voilà cinq ans que je suis sous contrôle judiciaire, que je me présente devant le juge tous les derniers vendredis du mois et que j’attends un procès.
Craignez-vous toujours pour votre vie ?
Je sais que je suis toujours recherché par des hommes de main de Joseph Kabila et je suis forcé de déménager tous les trois à six mois, pour ma sécurité et celle de ma famille. Que ce soit en République démocratique du Congo ou au Sénégal, il faut que je puisse me présenter devant la justice pour être entendu. Je ne peux pas vivre éternellement dans la peur.
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