Les rêves d’étoiles de Fatoumata Kebe

À 29 ans, cette jeune femme aux origines maliennes est doctorante en astronomie à l’Observatoire de Paris.

Fatoumata KEBE Doctorante Groupe Astrométrie et Planétologie.à l’ IMCCE – Observatoire de Paris le 5 novembre 2014. © Bruno Lévy/J.A.

Fatoumata KEBE Doctorante Groupe Astrométrie et Planétologie.à l’ IMCCE – Observatoire de Paris le 5 novembre 2014. © Bruno Lévy/J.A.

Publié le 2 février 2015 Lecture : 5 minutes.

C’est une rêveuse plutôt terre à terre. Le genre de fille capable de disserter pendant des heures sur les étoiles, le regard brillant, tout en se désolant la seconde d’après de la précarité dans le milieu de la recherche. De celles qui ont toujours voulu prendre de la hauteur, éviter les cases, ou plutôt « la » case, estampillée « jeune de banlieue qui a réussi », mais qui ne peut s’empêcher d’en parler, justement, de cette banlieue…

Qui se méfie comme de la peste des journalistes, de leurs préjugés, mais est capable de balancer devant eux : « Pour mes parents, les études, ça ne veut rien dire. Pour eux, le but c’est d’avoir un travail qui permet de payer ses factures et de vivre de manière correcte. Quand je leur ai parlé d’astronomie, ils n’ont pas pensé à la difficulté, ils m’ont dit : « Ça sert à quoi ? » » Et tant pis si c’est un peu cliché. La jeune femme aime les paradoxes, cherche les contraires.

la suite après cette publicité

Fatoumata Kebe, 29 ans, est doctorante en astronomie, à l’université Pierre-et-Marie-Curie et à l’Observatoire de Paris. Dans quelques mois elle rendra sa thèse, et en cet après-midi si morose et si charmant dont seule la Ville Lumière a le secret, elle est un peu stressée. Voix fluette mais regard décidé, elle disparaîtrait presque sous son foulard et ses vêtements amples.

Et puis tout à coup, avec ses airs de petite fille sage, devant son thé et son pain perdu, elle explique son sujet d’étude… les débris spatiaux artificiels. « Ce sont des débris créés par l’homme – contrairement aux débris naturels, issus de météorites par exemple – qui peuvent être fabriqués à la suite d’événements de fragmentation, c’est-à-dire des explosions ou des collisions, explique-t-elle. Lorsque l’on envoie des satellites dans l’espace, certains peuvent entrer en collision, d’autres exploser ou se détériorer. Résultat, des centaines de milliers de débris sont générés. Mon travail est d’étudier leurs trajectoires sur le long terme, en prenant en compte les forces qui peuvent agir dessus, comme celles du Soleil, de l’aplatissement et l’atmosphère terrestre. »

Voilà, pour la version scientifique. Pour les profanes, disons qu’il s’agit d’étudier « les déchets humains » dans l’espace afin de pouvoir y faire un jour le « ménage » (23 000 débris de plus de 10 cm gravitant autour de la Terre ont été recensés par la Nasa en 2014).

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Fatoumata Kebe a toujours voulu travailler « sur les étoiles ». Inspirée par les livres que son père « [lui] faisait recopier pour qu’ [elle] écrive bien » et « les documentaires de la 5 (chaîne de télé, aujourd’hui Arte) », sourit-elle. « Je savais ce que je voulais faire mais ne connaissais pas le chemin pour y arriver. » Et comme son père, cariste, et sa mère, femme de ménage, immigrés maliens originaires du village de Kersignané Diafounou (région de Kayes), n’ont pas pu jouer les éclaireurs, il a fallu la trouver toute seule, cette voie, en misant sur l’école.

la suite après cette publicité

Dans quel type de famille a-t-elle grandi ? « Une famille on ne peut plus normale », sourit-elle avant de faire comprendre qu’elle ne souhaite pas s’attarder sur ce point. La peur du cliché, encore. Comme lorsqu’elle aborde sa scolarité et qu’elle tient à faire quelques précisions. Car si elle est née à Montreuil et a grandi à Noisy-le-Sec, dans le « 9-3 », les établissements qu’elle a fréquenté ne sont pas classés en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Même s’ils souffraient de tares similaires : professeurs absents, orientation des élèves bâclée, etc.

Ce n’est qu’après son baccalauréat scientifique et son admission à l’université Pierre-et-Marie-Curie que la jeune fille se sentira réellement soutenue. « Plein de gens m’y ont aidée, ont poussé plusieurs fois mon dossier », dit-elle. Pur produit de la méritocratie républicaine à la française, elle bénéficie d’une bourse, s’installe dans un logement étudiant parisien dès 20 ans, passe un an au Japon dans le cadre d’un échange universitaire, avant d’obtenir son master et de commencer sa thèse, en 2012. Ses études et autres concours étudiants la mènent aussi en Inde, aux États-Unis ou au Mali.

la suite après cette publicité

Après sa thèse, Fatoumata Kebe se verrait bien astronome, chercheuse, même si « c’est vraiment la crise dans le milieu » et que les rares places y sont très chères… « Soyons réalistes, je ne pense pas que j’aurai assez de soutiens pour obtenir de tels postes », ajoute-t-elle. Alors, elle pense plutôt à entamer une carrière de chercheur-entrepreneur, en s’appuyant sur des fonds privés*.

En attendant, elle donne des cours d’astronomie et de « prise de confiance en soi » à des élèves d’établissements situés en zones sensibles, à la demande de professeurs inquiets face à la démotivation de certaines classes. « La plupart n’ont même pas 15 ans et se disent qu’ils ne peuvent être que caissier chez KFC (chaîne de restauration rapide). L’esprit de combativité qui existait au sein de ma génération est comme perdu. C’est terrible. » Alors, comme « enseigner, ce n’est pas vraiment [son] truc », elle procède à sa manière, en leur demandant dès les premiers instants « d’écrire leur rêve sur un papier ». Son rôle ? Leur expliquer, à son niveau, quel chemin emprunter pour tenter de le réaliser.

*Fatoumata Kebe fait partie des lauréats du concours mondial pour jeunes innovateurs de l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’agence des Nations unies pour le développement spécialisé dans les technologies de l’information et de la communication. Ce concours promeut la création d’entreprises sociales au moyen de solutions numériques.

Connected Eco, le projet de Fatoumata Kebe, propose de répondre grâce à l’utilisation d’objets connectés aux problèmes auxquels font face les agriculteurs. En utilisant des capteurs fonctionnant à l’énergie solaire qui analysent le sol et transmettent des informations en temps réels, l’exploitation d’un terrain est optimisée. Les capteurs sont en mesure d’indiquer, entres autres, si le sol a besoin d’être irrigué et surtout en quelle quantité. Les exploitants de ces terrains reçoivent des informations sur leurs mobiles sous la forme de SMS ou alors via une application. De plus, l’entreprise construit également des réseaux d’eau pour les exploitations.

Fatoumata Kebe est aujourd’hui à la recherche de financements pour pouvoir commencer la phase pilote de son projet d’ici quelques mois.

https://www.youtube.com/watch?v=0aXrq88l5lg

https://ideas.itu.int/post/68081

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires