[Tribune] Objectif « examens sans fraude » : les autorités guinéennes se trompent de cible
Pour éviter les fraudes massives lors des examens nationaux, les autorités guinéennes pourraient couper internet et les réseaux sociaux jusqu’à la fin des épreuves. La mesure, qui n’est pas encore enterrée, risque d’entraîner de lourdes conséquences dans le pays.
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Fassou David Condé
Doctorant en science politique à l’université de Montréal et écrivain.
Publié le 3 juin 2019 Lecture : 3 minutes.
Pour empêcher les candidats aux examens de la session 2019 de tricher, les autorités guinéennes croient avoir trouvé la solution : couper internet sur toute l’étendue du territoire national. La mesure, qui n’est pas encore enterrée, n’est plus nouvelle en Afrique. En effet, en RDC et au Cameroun — cas similaires à ce qui s’est passé récemment au Bénin la veille des législatives du 28 avril —, peu avant la proclamation des résultats des dernières élections présidentielles en date, la connexion internet avait été interrompue.
Personne n’est sans savoir qu’en Afrique ou sur n’importe quel autre continent d’ailleurs, l’usage des réseaux sociaux est constitutif désormais des habitudes de consommation de l’homme du XXIe siècle. En plus d’être un moyen de communication, ils sont devenus pour beaucoup une sorte d’agora, un espace de discussion tel que certains parlent d’atteinte à la démocratie dès lors qu’ils connaissent des dysfonctionnements dus au seul vouloir des régimes en place.
Les télécommunications sont un outil de travail. En les bloquant, le rythme des services à rendre à la clientèle ralentit forcément
De lourdes conséquences économiques
La décision unilatérale du département en charge des examens nationaux en Guinée d’interrompre internet peut, donc, à bon droit, être soumise au feu de la critique. Est-elle légale ? La justice serait plus à même d’y répondre. Mais une réalité demeure : nous ne sommes pas face à une situation où il faudrait limiter les libertés individuelles pour préserver la sécurité collective. Le conflit avec le Droit, ici, est incontestable.
Dès lors, il serait sage que les autorités guinéennes se ravisent. Car les implications d’une telle décision — si elle venait à être appliquée —, surtout sur le plan économique, seront d’autant plus lourdes qu’internet est le biais par lequel certaines entreprises, plus particulièrement celles du e-commerce, font des entrées d’argent. À cela s’ajoute le fait que les télécommunications sont un outil de travail. En les bloquant, le rythme des services à rendre à la clientèle ralentit forcément. A-t-on pensé aux conséquences que cela pourrait avoir sur le secteur bancaire ? Ce manque d’anticipation rend alors équivoque le noble dessein du ministère de l’Éducation d’organiser des examens sans fraude.
Le remède à cette gangrène, qui compromet la gestion future du pays, doit être un programme mûrement réfléchi
Un problème plus profond
Pour avoir passé mon brevet des collèges et mon baccalauréat en Guinée, j’en sais quelque chose de la tricherie des candidats. D’ailleurs, le bac de la session 2018 a (dé)montré l’image terne de l’éducation guinéenne : beaucoup de bacheliers, plutôt que de réussir à la sueur de leur front, avaient opté pour la facilité. Les images de groupes Messenger et WhatsApp, où se partageaient les sujets et leurs traités en intégralité, ont circulé sur la toile. Accablante découverte, au point que l’Association scolaire et estudiantine de Guinée en était venue à demander l’annulation dudit examen.
C’est probablement cela que le ministère de l’Éducation veut empêcher cette année. Mais, je le vois mal y parvenir avec cette décision de couper les réseaux sociaux. Le problème étant beaucoup plus profond, il va sans dire que les candidats ayant envie de tricher vont changer de tactique. Ils passeront par d’autres moyens qu’internet pour parvenir à leurs fins. Le remède à cette gangrène, qui compromet la gestion future du pays, doit être un programme mûrement réfléchi. On combat plus efficacement la fraude en travaillant sur la conscience des individus, par le biais d’une éducation au goût de l’effort, qu’en adoptant des mesures coercitives.
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