[Tribune] Côte d’Ivoire : croissance ou développement ?
Alors qu’Abidjan maintient une prévision de croissance économique à 7,5 % pour 2019 et que les projections du Fonds monétaire international (FMI) tablent sur « seulement » 7,4 %, nombre d’Ivoiriens et d’observateurs étrangers s’interrogent.
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À dix-sept mois de la présidentielle, les manœuvres vont bon train au sein des états-majors politiques, tandis que le gouvernement met les bouchées doubles pour mener à bien les derniers chantiers des « années Ouattara ».
Ragaillardie par la politique de développement engagée depuis la mi-2011, la Côte d’Ivoire se targue d’être considérée comme un pays « pré-émergent », et, pour le budget 2019, ses dépenses d’investissement s’élèvent à plus de 2 099 milliards de F CFA (3,2 milliards d’euros), financés à plus de 55 % par les ressources propres de l’État.
Mais comment se porte vraiment la locomotive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) ? Officiellement, tout va bien. En particulier si l’on s’en tient aux chiffres : les résultats de ces dernières années sont excellents, de même que les perspectives à court terme, tout le monde en convient.
Des ménages au pouvoir d’achat toujours faible
Cependant, sur le terrain, le constat est plus nuancé. En particulier lorsque l’on considère le pouvoir d’achat des ménages, qui pour beaucoup ne s’améliore pas en raison de la cherté de la vie – environ 500 euros, par exemple, pour la location d’un trois-pièces dans le quartier résidentiel de Cocody, à Abidjan. Ou encore lorsqu’on analyse l’évolution du taux de chômage : selon les statistiques officielles, il est passé de 5,3 % en 2013 à 2 % en 2018, mais monte à 20 % de la population active si l’on prend en compte ceux qui ont une rémunération très inférieure au smig ou ceux qui occupent des emplois précaires, notamment dans l’économie informelle.
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« Pour l’instant, c’est plutôt de la croissance que du développement. Les investissements dans les infrastructures sont certes visibles, mais il n’empêche, on a l’impression qu’il y a un délitement de certains services publics, comme la santé ou les transports », estime un patron.
« Les chantiers engagés depuis 2012 ont considérablement changé le visage du pays, reconnaît Faman Touré, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI). Cependant, les entreprises maîtres d’ouvrage de grands chantiers se sont souvent plaintes de ne pas avoir de sous-traitants locaux suffisamment qualifiés et ont dû en faire venir de l’extérieur, qui coûtent plus cher. »
Au lieu d’être une source de revenus pour l’État, les infrastructures exploitées par le privé constituent des sources de dépenses importantes
C’est là que le bât blesse. Qui plus est à la lecture de l’étude de l’unité Évaluation indépendante du développement (Idev) – créée par la Banque africaine de développement –, qui indique que l’État ivoirien a versé, en 2015 et en 2016, 52 millions d’euros à l’exploitant du troisième pont d’Abidjan, le pont Henri-Konan-Bédié, inauguré en 2014.
L’État n’a-t-il pas pris trop d’engagements ?
L’ouvrage, qui est exploité par Socoprim, filiale du groupe français Bouygues, affiche un trafic bien inférieur à celui envisagé par les études préalables (qui prévoyaient 75 000 véhicules par jour), avec un péage à 500 F CFA (0,76 euro) pour les véhicules de tourisme, au lieu des 1 000 F CFA contractuels…
Résultat, sur ces deux années, l’apport du gouvernement ivoirien a représenté près de 40 % des recettes de Socoprim. Une situation alarmante, selon l’Idev, qui conclut que « plutôt que d’être une source de revenus pour l’État, ces infrastructures constituent des sources de dépenses importantes ».
Sans compter que ces dernières ne profitent même pas à un opérateur privé local. Une anomalie de l’économie ivoirienne qui rappelle le mirage des années Houphouët. L’État n’a-t-il pas pris trop d’engagements (exemptions fiscales, concessions, etc.) concernant ces nombreux projets (métro d’Abidjan, aéroport, concessions portuaires…) ?
Voilà qui donne à réfléchir, d’autant que le chantier du quatrième pont d’Abidjan est désormais en cours, pour une livraison prévue en 2020. En reliant la commune populaire de Yopougon et le centre des affaires du Plateau, il soulagera l’autoroute du Nord, actuellement seule voie d’accès à Yopougon, et décongestionnera le trafic dans l’ensemble de la capitale économique… Mais attention ! Ce sera aussi un pont à péage, qui devrait lui aussi – selon les études préalables – être emprunté par quelque 70 000 véhicules par jour.
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