[Chronique] Shoah et esclavage : comparaison est déraison
En évoquant la concurrence des mémoires, samedi soir lors d’une émission de grande écoute à la télévision française, la « chroniqueuse » Christine Angot a esquissé une hiérarchie entre le traumatisme de la Shoah et celui de l’esclavage. Certains y ont lu une banalisation de la traite négrière…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 6 juin 2019 Lecture : 2 minutes.
Dans l’émission « On n’est pas couché » diffusée samedi 1er juin sur la chaîne publique France 2, l’écrivain Christine Angot évoquait la « différence fondamentale » induite des déroulements respectifs de l’esclavage et de la Shoah : « le but avec les Juifs pendant la guerre, ça a bien été de les exterminer », alors qu’à l’époque de « l’esclavage des Noirs envoyés aux États-Unis », l’idée « était qu’ils soient en pleine forme, en bonne santé pour pouvoir les vendre ».
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Pour leurs tortionnaires respectifs, les uns auraient été considérés comme des déchets à négliger, les autres comme un capital à entretenir, d’où une différence de traitement des différents déportés. En dénonçant la théorie du « tout se vaut », la chroniqueuse entendait hiérarchiser les traumatismes historiques.
900 saisines du CSA et des excuses
Christine Angot a-t-elle convaincu que la concurrence des mémoires est prétexte à des rancœurs victimaires stériles ? Sans doute peu, alors que d’autres idées plus nauséabondes ont été évoquées lors de cette émission. Il en est ainsi de la formule lapidaire « c’était exactement le contraire », qui peut suggérer plus qu’une banalisation de la Traite.
De même, évoquer des esclaves « en bonne santé » – dans un débat qui ne concernait qu’un livre de Franz-Olivier Giesbert sur la période de l’Holocauste – , ne pouvait que susciter la mise au point des historiens de l’esclavage. Ces derniers rappellent qu’un dixième des Africains enlevés mouraient dans les cales des navires ou que l’espérance de vie dans les plantations était de huit ans. En quoi le souvenir de siècles de coups de fouet est-il devenu moins traumatisant, dès lors que fut inaugurée la première chambre à gaz ?
La controverse aura au moins démontré le risque d’une parole à la lisière de plusieurs disciplines intellectuelles
Si Christine Angot n’est censément pas « négrophobe », sa saillie ne pouvait que débrider d’autres négationnismes tapis dans l’ombre des réseaux sociaux… Après 900 saisines de téléspectateurs auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’intéressée a présenté ses excuses pour des propos « absurdes ». La controverse aura au moins démontré le risque d’une parole à la lisière de plusieurs disciplines intellectuelles. La sienne navigue maladroitement entre licence littéraire et examen historique, ultime ingrédient du ragoût médiatique d’un programme dont on ne sait plus s’il est trop ambitieux ou pas assez.
Peu entendu à force d’être attendu, l’animateur Claudy Siar a souligné avec justesse la nécessité de relier les traumatismes par une solidarité humaniste, sans banaliser certaines douleurs par une hiérarchisation stérile. Et de conclure en faisant remarquer que, bien souvent, les déportés de la Traite ou de la Shoah étaient pareillement chosifiés par des tatouages…
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